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Bror Oskar SCHERDIN

ÉTAT-CIVIL

Nom  : SCHERDIN.
Prénoms  : Bror Oskar.
Naissance  : 27 septembre 1888 à Stockholm (Suède),
 fils d’Oskar SCHERDIN, 39 ans, juge assesseur,
 et d’Anna FREDING, 19 ans.
Nationalité  : suédoise.
Mariage  : vers 1920 avec Gerd BACKER,
 née le 17 août 1895 à Larvik (Norvège),
 décédée le 7 juillet 1961 à Oslo (Norvège).
Enfant  : Bror Oskar Marius Cathrinus Justus SCHERDIN,
 né le 16 mars 1921 à Paris, 15e arrondissement.
Veuf le 7 juillet 1961.
Second mariage  : avec Irma Costanza X,
 née le 21 juillet 1912 en Italie,
 décédée le 3 juin 2001 à Vällingby, Stockholm (Suède).
Domicile  : 26 bis, rue La Fontaine à Paris (c.1921-1931).
Profession  : négociant dans le commerce des pâtes à papier (c.1919-1925).
Adresse professionnelle  : 1, boulevard Malesherbes à Paris (c.1923-1928).
Décès  : 7 janvier 1977 à Stockholm.

Bror Oskar Scherdin
Dans Le Journal du 30 juin 1923.

DANS L’AFFAIRE

 Suspecté par la Sûreté générale à la fin du mois de juin 1923 d’être le Scherdy mentionné par Guillaume Seznec, puis rapidement écarté.

RÉFÉRENCES

Tables décennales des naissances, 1913-1922, Paris, 15e arrondissement, folio 115 recto.
Recensement de 1926, Paris, 16e arrondissement, Auteuil, page 754.
Marc du Ryez, «  Scherdin, boulevard Malesherbes à Paris  », 6 mai 2020.
Marc du Ryez, «  Complément sur Bror Oskar Scherdin  », 17 mai 2020.
Felix Åhrberg, fiche généalogique de Bror Oskar Scherdin.

Lundi 19 octobre 1925

24 juin 1925 | 1er juin 1932
PRESSE  : La Liberté

À PROPOS DE L’AFFAIRE SEZNEC

La Liberté, 19 octobre 1925, page 3.

Un jugement du tribunal de la Seine

 D’un jugement du tribunal de la Seine du 21 juillet 1924, confirmé par arrêt de la Cour d’appel de Paris du 24 juin 1925, rendu entre M. Scherdin, négociant, demeurant à Paris, 26 bis, rue Lafontaine, demandeur par Me Roger Réau, avocat, assisté de M. Paul Barbu, avoué, et 1° la Société du journal la Liberté  ; 2° M.  Auger, pris en qualité de gérant dudit journal, défendeurs, il a été extrait ce qui suit  :

 Le tribunal  ;
 Attendu que dans son numéro du 1er juillet 1923, le journal la Liberté a publié un article ainsi conçu  : «  Seznec a-t-il des complices  ? On semble le croire et on cherche activement l’énigmatique Charly qui, au dire de ce dernier, aurait eu rendez-vous à Paris avec M. Quémeneur. Les plus mauvais renseignements sont donnés sur cet individu qui aurait été vu à Paris le 1er juin et qui a disparu depuis.  »  ;
 Attendu que, au corps de cet article, la Liberté reproduisait deux photographies représentant, côte à côte, Seznec qui venait d’être arrêté et un individu qu’elle appelle Chardin  ;
 Attendu que cette dernière photographie n’est autre que celle d’un sieur Scherdin, d’origine suédoise, négociant en pâtes-papier, demeurant à Paris, de telle sorte que, bien que son nom ne figurât pas dans le journal, les personnes qui connaissaient Scherdin, en voyant publier ses traits à côté de ceux du principal inculpé en lisant les lignes ci-dessus indiquées, ont nécessairement cru que Scherdin était le complice d’un assassinat, qu’il était l’objet des plus mauvais renseignements et qu’il avait disparu  ;
 Attendu que Scherdin assigne le gérant et le directeur et les administrateurs de la Liberté en dommages-intérêts et en insertions à raison du préjudice qui lui a été causé par la publication de sa photographie et par les accusations contenues notamment dans le numéro du 1er juillet 1923  ;
 Attendu qu’il importe de remarquer que les indications du journal sont inexactes  ;
 Attendu que jamais Scherdin n’a dissimulé sa résidence  ;
 Attendu que jamais il n’a été recherché par la police  ;
 Attendu qu’aucun mandat n’a été délivré contre lui, et qu’il n’a même été ni convoqué, ni interrogé par les magistrats  ;
 Attendu que les défendeurs ont bien eu conscience du caractère illégal de l’acte qu’ils commettaient, ce qui suffit pour démontrer leur intention coupable et engager leur responsabilité  ;
 Attendu qu’il faut encore observer qu’aucun grief quelconque n’a pu être relevé contre Scherdin  ;
 Par ces motifs, condamne les défendeurs solidairement à payer au demandeur la somme de quinze mille francs à titre de dommages-intérêts  ;
 Autorise le demandeur à publier le présent jugement  : 1° dans la Liberté  ; 2° dans un autre journal de son choix en France ou à l’étranger  ;
 Condamne les défendeurs solidairement en tous les dépens.

Mercredi 24 juin 1925

23 octobre 1924 | 19 octobre 1925
DOCUMENT  : Scherdin contre Le Petit Parisien

ÉVÉNEMENTS

 La huitième chambre de la Cour d’appel de Paris condamne les quotidiens Le Matin, Le Journal, Le Petit Parisien et La Liberté à verser des dommages-intérêts à Bror Oskar Scherdin, dans le cadre de procès en diffamation1.

___
1. On trouvera ci-dessous le texte de l’arrêt concernant la plainte contre Le Petit Parisien, et la publication de la condamnation du journal La Liberté sur la page du 19 octobre 1925.

ARRÊT DE LA COUR D’APPEL DE PARIS
(huitième chambre)

 LA COUR,
 Statuant sur l’appel relevé par Scherdin d’un jugement rendu par le tribunal civil de la Seine le 21 juillet 1924  :
 Considérant qu’au cours d’une information judiciaire ouverte à raison de la disparition d’un nommé Quémeneur, le bruit se répandit que l’assassin de ce dernier, ou tout au moins le complice de l’assassin, serait un nommé Charly ou Chersky  ; que, par suite d’une erreur demeurée inexplicable, on identifia ce personnage avec un sieur Scherdin, sujet suédois représentant pour le commerce des pâtes en papier, demeurant à Paris, 26 bis, rue La Fontaine, alors que celui-ci n’a jamais été mêlé à cette affaire, qu’à aucun moment il n’a été en relations ni avec la victime, ni avec Sézenec, depuis condamné pour avoir assassiné Quémeneur  ; qu’à aucun moment, non plus, Scherdin n’a été entendu, fût-ce à titre de témoin, et que son honorabilité est constatée par une attestation de M. le consul de Suède à Paris  ;
 Considérant, cependant, que plusieurs journaux ont, sous des formes diverses, fait connaître à leurs lecteurs la nouvelle des prétendus soupçons qui auraient pesé sur Scherdin  ; que le journal Le Petit Parisien a, dans les articles cités aux attendus du jugement et parus dans les numéros des 30 juin et 1er juillet 1923 (édition de province), désigné Scherdin, s’occupant notamment de fabrication de pâtes à papier, comme étant un des acteurs du drame, comme ayant pris la fuite dans les pays scandinaves et y étant recherché  ; que les détails donnés dans ces articles sur la personnalité du demandeur et sur sa profession l’identifiaient aux yeux des lecteurs du journal  ;
 Considérant que, à raison de ces faits, Scherdin a assigné Le Petit Parisien et les sieurs Pannetier, gérant, et Hémery, auteur de l’article, réclamant l’allocation de dommages-intérêts et diverses insertions dans des journaux  ; que le jugement attaqué a rejeté cette demande et que Scherdin a fait appel de cette décision  ;
 Considérant que Le Petit Parisien soutient tout d’abord que sa responsabilité ne saurait être engagée puisqu’il a agi de bonne foi, sans intention de nuire, se bornant à reproduire des renseignements donnés par les autorités les plus qualifiées  ;
 Considérant que ces faits doivent être retenus pour faire écarter la poursuite en tant qu’elle est fondée sur le délit de diffamation  ; qu’il ne suffit pas, en effet, pour que ce délit soit établi, que la personne visée soit atteinte dans son honneur et sa considération  ; qu’il est, en outre, nécessaire que la diffamation ait eu lieu avec mauvaise foi et intention de nuire, et que, si cette intention résulte, en principe, de l’imputation entachant l’honneur ou la considération, cette présomption disparaît en présence de faits suffisants pour faire admettre la bonne foi  ; qu’il est certain que, dans l’espèce actuellement soumise à la Cour, Le Petit Parisien a agi dans le but exclusif de renseigner ses lecteurs, sans aucune intention malveillante à l’égard de Scherdin, dont il ignorait jusque-là l’existence  ;
 Mais considérant qu’il n’en demeure pas moins que le journal a commis une faute qui engage sa responsabilité  ; que, si des décisions de justice, et même un arrêt de cette chambre, ont déclaré que ne commet ni faute ni imprudence le journaliste qui, en dehors de toute polémique et de toute appréciation malveillante du fait matériellement exact qu’il publie, se borne à remplir son rôle d’informateur impartial, il en va tout autrement quand, comme dans l’espèce actuelle, il livre a la malignité publique un fait absolument inexact, à savoir qu’une personne est mêlée à une affaire d’assassinat à laquelle elle est tout à fait étrangère, et qu’elle est l’objet de soupçons assez graves pour qu’elle ait dû prendre la fuite  ; qu’il est sans intérêt de rechercher à quelles sources Le Petit Parisien a puisé son information, le journaliste qui reçoit des confidences, même des personnes les mieux qualifiées, ne pouvant s’en servir que sous sa responsabilité exclusive  ;
 Considérant, il est vrai, que Le Petit Parisien fait encore valoir pour sa défense que, dès le lendemain de l’article incriminé, il a informé ses lecteurs que les soupçons qui avaient pu s’égarer sur Scherdin n’étaient pas fondés et que celui-ci devait être mis hors de cause  ;
 Mais considérant que, s’il y a lieu de tenir un compte tout particulier de cette rectification, qui fait encore mieux ressortir l’absence de toute intention délictueuse, dans l’appréciation du montant des dommages intérêts, elle ne fait disparaître entièrement ni le préjudice, ni la faute génératrice de responsabilité  ; qu’en effet les lecteurs du numéro où l’article dommageable a été inséré n’ont pas nécessairement acheté le numéro qui contenait la rectification  ; que celle-ci n’a réellement produit son effet qu’en ce qui concerne les abonnés du journal  ;
 Considérant que le préjudice moral qui résulte de la faute commise par Le Petit Parisien est évident  ; qu’il s’accompagne d’un préjudice matériel subi par l’appelant dans l’exercice de sa profession, ainsi qu’il résulte des documents fournis à la Cour  ;
 Par ces motifs  :
 Infirme le jugement dont est appel  ;
 Et statuant à nouveau  :
 Condamne conjointement et solidairement la société Le Petit Parisien, Hémery et Pannetier à payer à Scherdin la somme de 1  500  fr. à titre de dommages-intérêts  ;
 Dit n’y avoir lieu d’ordonner d’insertions  ;
 Condamne les intimés aux dépens1.

___
1. Dalloz, Recueil hebdomadaire de jurisprudence, 1925, page 634, et La Publicité, n°  215, janvier 1926, page 826. Informations données par le recueil Dalloz  : MM. Bompard, président  ; Chartrou, avocat général  ; Réau et Coudy, avocats. «  Du même jour, trois autres arrêts de condamnation du Matin, du Journal et de La Liberté en faveur du même Scherdin par les mêmes motifs.  »

Dimanche 1er juillet 1923

30 juin 1923 | 2 juillet 1923
PRESSE  : Le Journal - Le Petit Journal

ÉVÉNEMENTS

 Dans la journée, à Dreux, Maurice Romillat1, procureur de la République, et Paul Girod2, juge d’instruction, recueillent les témoignages d’Henri Patriarche3 et de son fils Maurice4, agriculteurs à Chérisy, de M. Lachaume5, laitier à Dreux, et du gendarme François Abgrall6, de la brigade de Dreux, qui disent avoir remarqué, environ une semaine après la disparition de Pierre Quéméner, une odeur macabre près des carrières de Chérisy7.

___
1. Maurice Romillat, né le 10 août 1884 à Sancergues.
2. Paul Gustave Girod, né le 21 juin 1886 à Clermont-Ferrand.
3. Jules Henri Joseph Patriarche, né le 12 mai 1863 à Chérisy.
4. Jean Maurice Patriarche, né le 24 juin 1897 à Chérisy, mort le 13 juillet 1969 à Saint-Germain-des-Angles.
5. Je n’ai pas encore identifié ce témoin.
6. François Marie Nicolas Abgrall, né le 27 février 1887 à Plouédern.
7. Le Journal, Le Matin et Le Petit Parisien, 3 juillet 1923.

SEZNEC EST ARRÊTÉ SOUS L’INCULPATION
D’AVOIR ASSASSINÉ M. QUÉMENEUR

Le Journal, 1er juillet 1923, pages 1 et 3.

En haut, devant la gare de Houdan, M. MAURICE GARNIER (au premier plan) indique à M. VIDAL la route suivie par SEZENEC (en chapeau mou, au second plan) et par M. Quémeneur. — En bas, à la lisère de la forêt des Quatre-Piliers, M. VIDAL (une cigarette aux lèvres) interroge SEZENEC  ; près d’eux des inspecteurs et des chiens policiers.

(Photos Journal.) 

LE MANDAT D’AMENER

[DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL]

 BREST, 30 juin. — Je vous ai télégraphié hier comment le parquet de Brest avait, dans la journée, acquis la certitude que M. Quémeneur avait été assassiné. Dans la nuit, M. le juge d’instruction Binet, prenant une décision définitive, a lancé contre Sézenec un mandat d’arrestation sous la double inculpation d’assassinat et de faux.
 C’est un dernier détail de l’enquête menée par la Sûreté générale à Dreux qui a déterminé M. Binet à prendre sa décision. Ce dernier détail consiste en la grave déclaration du mécanicien de La Queue-les-Yvelines, près de Dreux, où Sézenec, le lendemain de la disparition mystérieuse de M. Quémeneur, s’est arrêté pour faire de l’essence. Ce mécanicien a déclaré qu’il avait remarqué une large tache de sang sur un des bidons vides que lui échangea M. Sézenec. Questionné, Sézenec se serait montré profondément troublé et incapable d’indiquer une provenance naturelle de cette tache de sang. — HENRY BARBY.

UNE ENQUÊTE DÉCISIVE

[DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL]

 DREUX, 30 juin. — L’affaire Quémeneur est entrée aujourd’hui dans une phase nouvelle. La rapidité d’une enquête comme on en compte peu dans les annales policières, le mandat d’arrêt décerné par le parquet de Brest, l’arrestation notifiée le soir même à Paris, un faisceau de présomptions telles qu’il fallut au «  témoin  » une force de caractère peu commune pour résister aux assauts qui lui étaient livrés, conjuguèrent en une journée des éléments si multiples que l’inculpation de Sezenec apparaissait la seule et logique solution.
 Au reste, la journée fut décisive.
 Silencieux et d’un calme plus apparent que réel, Sezenec examine d’un œil oblique son entourage. Sa face, rongée, tourmentée, où la brûlure a laissé son carmin indélébile, n’exprime ni haine ni crainte. Il a un air lointain et comme étranger aux scènes qui se déroulent, dont il est pourtant le tragique protagoniste. Lorsqu’une question le touche trop vivement ou qu’un fait qu’il a contesté lui est trop brutalement imposé, il a un petit haussement d’épaules, sa bouche ravagée s’entr’ouvre, que des poils courts et rares décorent, et la voix s’écoule, froide et graillante  : «  Je ne comprends pas. Je n’ai rien fait. Je n’ai rien à dire. Si j’ai tué Quémeneur, prouvez-le. Retrouvez son cadavre  !  »
 Cette situation paradoxale d’un témoin qui fait singulièrement figure d’accusé ne pouvait se prolonger. Sezenec le sentait-il  ? Conduit le matin dans un café de Dreux pour y prendre son petit déjeuner, il se leva tout à coup et, prétextant l’envoi d’une carte postale, voulut s’en aller seul. L’inspecteur Bonny, préposé à sa surveillance, le retint. Il s’écria  : «  Eh bien, quoi  ! Suis-je inculpé  ? N’ai-je pas le droit d’aller et venir à ma guise  ?  »
 Un ensemble de constatations ligotaient tout élan défensif  : le bidon d’essence taché de sang et rendu par Sezenec à M. Coulon, le garagiste de la Queue-les-Yvelines  ; cette inscription relevée sur le carnet de Quémeneur  : «  Chemin de fer Dreux-Paris, 11  fr.  40  », quand Sézenec avait affirmé lui-même que Quémeneur s’était embarqué pour Paris à Houdan, dès qu’il lui devint impossible de maintenir la version du départ de Dreux  : enfin sa présence reconnue à Paris le 1er juin, alors que la visite au bureau de poste du boulevard Malesherbes date du 2 juin, autant de rets dans lesquels se fût emprisonné un plaidoyer constant. Sezcnec prit le parti de nier, nier, nier. Il ne restait qu’à le mettre en face de ses propres allégations, pour le forcer peut-être à des arguments où il se fût accusé et démenti lui-même.
 À une heure de l’après-midi deux automobiles de la Sûreté générale où avaient pris place M. Vidal, commissaire de police, une équipe d’inspecteur[s] dévoués composée de MM. Bonny, Tissier, Lacouloumère et Paillet, et Sezenec, stoppaient au seuil d’un restaurant de la petite localité d’Houdan. Une salle, au premier étage, reçut les policiers et leur chef. Dans un coin, près d’une fenêtre basse, un couvert fut disposé pour Sezenec. Le chapeau sur la tête, il s’assit et mangea furtivement quelques fraises. Un énorme chien de police le considérait, la langue pendante.
 Vers 3 heures on entendit ronfler les moteurs. Nos gens se mettaient en route. Quelle randonnée  ! Sur la voie qui s’ouvrait aux voitures trépidantes, on voyait s’arrêter des paysans, étonnés par cette caravane affolée. Les champs fuyaient, les nuages de poussière jaillissaient sous les roues et nos voitures couraient, jusqu’à nous soulever, à la poursuite désordonnée des policiers et de leur proie.
 Soudain les plaines herbues se cachèrent derrière un rideau d’arbres. Les arbres se pressèrent les uns contre les autres. On ne vit plus que leurs branches feuillue qui se confondaient. À la plaine aux horizons de soleil succédait la forêt.
 Les autos s’arrêtèrent. Au lieudit des Quatre-Piliers, Sezenec venait d’indiquer où l’avait surpris sa première panne, après qu’il eut abandonné Quémeneur en gare de Houdan. M. Vidal le pressa  : «  C’est ici  ? Vous êtes sûr  ? — Je ne sais pas... je crois...  » Deux chiens furent lâchés dans les taillis. Déjà l’inspecteur Lacouloumère revenait vers le commissaire. Il avait trouvé au pied d’un arbre deux feuilles de papier durcies par le soleil et enduites de cambouis. De la main droite il montrait une pièce d’étoffe maculée de gouttes de sang. Il passa devant Sezenec à la lui mettre sous le nez. M. Vidal observait d’un œil aigu. Sezenec leva la tête et regarda le ciel. Pas un muscle de son visage n’avait bougé.
 La scène avait duré quelques minutes à peine. Les autos reprenaient leur course. On traversa en trombe la Queue-les-Yvelines. Quelques cailloux giclaient sous les pneus.
 À trois kilomètres au delà du village, nouvel arrêt. Ici, Sezenec avait eu sa seconde panne. Il est cette fois précis  : «  C’est là, voyez-vous  ? sur ce sentier qui s’en va vers les champs, que j’ai tourné pour revenir. Oui, oui, j’affirme.  »
 Les autos tournaient sur elles-mêmes et reprenaient à toute allure la route de Houdan.

Confrontation décisive

 Nous voici sur le terre-plein de la gare de Houdan. Une des autos de la Sûreté générale va aider à la démonstration. Sezenec guide le chauffeur  : «  Voilà. Je suis arrivé sur la barrière. Elle était ouverte. Quémeneur est descendu pour prendre le train. Moi, j’ai tourné et j’ai repris la route de Paris.  »
 Mais M. Vidal a fait appeler M. Maurice Garnier, employé du chemin de fer  ; sa déclaration est absolue  : «  Il n’est venu ici qu’une auto le 25 au soir. La barrière était fermée. Un voyageur est bien descendu de voiture, mais il est aussitôt remonté. L’un d’eux — je ne peux affirmer que ce soit monsieur (il désigne Sezenec), mais il avait la même taille et la même allure — m’a demandé quelle route ils devaient prendre pour aller sur Paris. Je leur désigne celle-ci. Mais voilà qu’ils filent tout droit et s’engagent sur la route de Verchères. Même que je dis à un camarade  : «  Si c’est par là qu’ils vont à Paris, ils ne sont pas encore arrivés.  » Sezenec proteste faiblement  : «  Non, non, ce n’est pas nous, c’est une autre auto.  » Mais M. Vidal l’arrête  : «  C’est bien. Vous avez quitté Houdan avec Quémeneur, nous le savons désormais. Le lendemain, vous êtes arrivé seul à la Queue-les-Yvelines. Qu’avez-vous fait de votre compagnon  ?  » Sezenec regarde devant lui sans répondre, tandis que M. Vidal trace de sa canne un immense cercle sur le pays environnant, comme s’il l’invitait à témoigner du crime.
 Mais la forêt profonde gardera-t-elle son tragique secret  ? — ALIN LAUBREAUX.

L’arrestation

 Une demi-heure après, l’auto de la Sûreté générale roulait sur Paris, emportant Sezenec.
 Arrivé rue des Saussaies, on lui notifia le mandat d’arrêt dont il était l’objet. Il l’accueillit froidement, comme il fit de tout depuis le début de cette affaire.
 C’est ainsi que, après trois jours d’interrogatoires et d’enquêtes, Sezenec fut inculpé d’avoir assassiné son ami Quémeneur.

PERQUISITIONS À MORLAIX

[DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL]

 BREST, 30 juin. — À la suite du mandat d’arrêt qu’il a lancé ce matin contre Sezenec, M. Binec, juge d’instruction de Brest, a fait procéder cet après-midi à une perquisition minutieuse chez l’inculpé. À cet effet, M. Cunart, de la brigade mobile de Rennes, s’est rendu à Morlaix, au carrefour des routes de Brest et de Carhaix, où Sezenec possède un garage d’automobiles, une scierie mécanique et sa maison d’habitation. La perquisition a duré jusqu’au soir. Les policiers n’ont, à vrai dire, recueilli que peu de chose, mais ils ont cependant retrouvé les vêtements et combinaison de chauffeur que l’inculpé portait au cours de son voyage avec M. Quémeneur. Ces vêtements, sur lesquels ont été apposés les scellés, seront remis au juge d’instruction, car ils portent des taches suspectes qui pourraient bien être des taches de sang. Mme Sezenec, présente à la perquisition, ne montra pas trop d’émotion lorsqu’on lui annonça l’arrestation de son mari et la grave inculpation qui pèse sur lui et a expliqué que ces taches étaient certainement causées par la rouille ou le cambouis. Mais M. Binec, peu convaincu, va faire procéder à leur analyse.
 Cependant que la brigade mobile perquisitionnait ainsi, M. Binec continuait à Brest l’étude du dossier et des documents qu’il contient. Son attention s’est portée plus particulièrement sur le fameux acte sous-seing privé passé soi-disant entre M. Quémeneur et Sezenec, et dont le juge a définitivement établi la fausseté. L’examen minutieux de cette pièce a permis à M. Binec de remarquer un détail infime, mais qui très probablement va faire faire un pas énorme à l’enquête.
 Près du timbre sec de la République française qui orne le coin de tous les papiers timbrés, M. Binec a relevé un petit cercle au crayon, portant au centre le numéro 195. Le magistrat téléphona aussitôt à la direction de l’enregistrement à Quimper, et apprit ainsi que le papier timbré sur lequel a été tapé à la machine l’acte incriminé provenait non pas de Brest, mais du débit de tabac Leydoux, de Morlaix. Or, on s’en souvient, Sezenec avait affirmé que cet acte fut passé, tapé à la machine et signé par M. Quémeneur et par lui, à Brest. Dès demain, le juge d’instruction va s’efforcer de savoir à quelle date précise le papier timbré a été vendu par le débitant de tabac de Morlaix. Si cette vente a eu lieu plusieurs jours après la disparition de M. Quémeneur, ce sera la une preuve écrasante de plus contre Sezenec.
 D’autre part, M. Binec a demandé que l’on transfère d’urgence Sézenec à Brest, pour qu’il puisse l’interroger.
 L’arrestation de Sézenec n’étonne personne dans la région, où il jouit d’une réputation extrêmement mauvaise. Sézenec, en effet, a entrepris tous les métiers et les plus divers. C’est ainsi qu’on l’a connu tour à tour acheteur des stocks américains, boulanger, marchand de sabots, blanchisseur, et qu’actuellement il exploite à Morlaix une scierie mécanique et un garage d’automobiles. Il abandonnait, du reste, avec la même facilité qu’il les avait entrepris, ces divers métiers. À trois reprises, d’ailleurs, ce fut l’incendie qui permit à Sézenec de liquider des commerces qui périclitaient. C’est ainsi que se termina, en 1919, son exploitation de Trémillio, où il blanchissait les articles de couchage du camp des travailleurs coloniaux de Brest. Ce sinistre, ainsi que les précédents, parurent extrêmement suspects et Sézenec, par exemple, n’a pas encore pu toucher la prime que devait lui fournir la compagnie d’assurances.
 Sézenec faisait parade de sentiments religieux qu’il manifestait très ostensiblement. En réalité, il n’avait aucun scrupule et passait d’une spéculation malhonnête à des compromissions parfois plus graves encore. Il fut même gravement compromis, à plusieurs reprises, dans des vols d’automobiles. Cependant, s’il avait acquis une réputation détestable, Sézenec avait réussi jusqu’ici à échapper à la justice. Mais ses proches parents eux-mêmes ne célaient pas leur pensée à son égard. Deux jours avant l’arrestation de Sézenec, son beau-père, M. Marc, entrepreneur à Brest, 52, rue Louis-Pasteur, me déclarait  : «  Il y a des gens capables de tout. Sézenec est de ceux-là  !  »
 Les dernières affaires de Sézenec apparaissent aujourd’hui très embrouillées et sont surtout gravement obérées. Précisément, ce matin même, un huissier de Brest vient de recevoir un arrêt de saisie provenant de Rennes contre la scierie et le garage de Sézenec à Morlaix, saisie qui sera exécutée cet après-midi même. Il semble que c’est la situation critique dans laquelle il s’enlisait chaque jour davantage qui aurait déterminé Sézenec à commettre son crime. — HENRY BARBY.

CHARDIN, DIT CHARLY,
SERA À PARIS LE 3 JUILLET

 Toute l’affaire Quémeneur semble tourner autour de ce mystérieux et insaisissable personnage qui a nom Charly-Chardin. Cet étrange négociant peut avoir des raisons personnelles de ne pas se présenter à la police — et ceci autoriserait le doute quant à son honorabilité — mais il y a, avant tout, une impossibilité matérielle  : Charly-Chardin est hors de France. Les policiers le savent bien, aussi considèrent-ils ce voyage à l’étranger comme une fuite, donc comme une raison de plus de croire que Chardin a joué un des principaux rôles, sinon le principal, dans la disparition de M. Quémeneur. En outre, cette hypothèse peut paraître d’autant plus vraisemblable, que Chardin a quitté Paris le lendemain du dernier jour où, d’après le carnet retrouvé dans la valise, M. Quémeneur aurait déjeuné au Havre. Si, comme on le suppose, l’inconnu qui a inscrit les notes sur le carnet, afin de faire croire que M. Quémeneur était au Havre, n’est autre que Chardin, il aurait eu le temps de rentrer à Paris et d’en repartir le lendemain.
 Il n’était donc pas inutile, en présence de ces soupçons, de demander quelques éclaircissements sur les occupations de ce négociant. Et voici ce que sa jeune femme nous a répondu, dans cet appartement d’Auteuil où le ménage habite depuis deux ans et demi  : «  Je suis persuadée que la police fait fausse route en croyant que mon mari est l’X mystérieux avec lequel M. Quémeneur devait traiter une affaire d’autos. D’abord, pour la raison bien simple que mon mari ne s’est jamais occupé d’automobiles  : il fait, et il n’a jamais fait que des affaires de pâtes à papier  ! D’autre part, il n’est pas Américain, mais Suédois. En outre, il n’a jamais mis les pieds en Russie, et n’a jamais été en relations avec des représentants des soviets. Enfin, il n’est jamais allé en Bretagne, et n’a traité aucune affaire avec des personnes du nom de Quémeneur, Sezenec, ou quelque chose d’approchant. Et de cela, j’en suis convaincue, car je suis au courant de toutes les affaires que traite ou doit traiter mon mari. Je connais même celles qu’il fit avant notre mariage, il y a trois ans. Si mon mari voyage, c’est uniquement pour son commerce de pâtes à papier  ; il est actuellement en Autriche, et il sera à Paris mardi prochain, 3 juillet  !  »
 À cette précision ajoutons le témoignage de M. Gylden, journaliste suédois, domicilié 1, rue de la Pépinière, qui, au sujet du négociant, nous a déclaré  : «  J’ai été son camarade de faculté lorsqu’il étudiait le droit, à Stockholm, et je puis vous affirmer que son honorabilité est au-dessus de tout soupçon  !  »

M. QUEMENEUR FUT VICTIME D’UN GUET-APENS

Le Petit Journal, 1er juillet 1923, pages 1 et 3.

C’est aux environs de Houdan qu’il a disparu
Seznec, son compagnon de route, est arrêté

 La journée d’hier a débuté par une nouvelle importante  : Seznec, l’ami de M. Quemeneur et son compagnon de route dans son voyage vers Paris, est arrêté. Bien que l’on eût pu prévoir cet événement en raison des premiers résultats de l’enquête, elle n’en a pas moins produit une certaine sensation.
 Cette arrestation est la conséquence des vérifications entreprises vendredi, ainsi que nous l’avons dit, par M. Vidal, commissaire de police à la Sûreté générale, sur les lieux mêmes où Seznec affirmait avoir quitté le conseiller général du Finistère en raison d’une panne de son auto.
 Ces opérations ont tourné à la confusion de Seznec qui, on le sait, accompagnait M.  Vidal.
 À Dreux, M. Vidal recueillit des renseignements précieux d’agents qui avaient, la veille, refait pas à pas l’itinéraire du 25 mai. Ils avaient établi que Seznec était arrivé le 26 au matin, vers 7 heures, à La Queue-les-Yvelines, qu’il était seul, qu’il avait changé ses pneumatiques chez un mécanicien local, M. Coulon1, et qu’il avait pris onze bidons d’essence. C’est donc sûrement aux environs de Houdan que M. Quemeneur a disparu.
 À quel endroit précis était tendu le guet-apens  ? Par qui fut perpétré le crime  ? Des recherches sont faites aujourd’hui même pour l’établir.

L’impression à Brest

[DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL]

 Brest, 30 Juin. — Voilà donc le fait du jour  : Guillaume Seznec est arrêté et inculpé d’assassinat et de faux par M. Binet, juge d’instruction à Brest. C’est en recevant, dans le courant de la nuit, un télégramme de la Sûreté générale le mettant au courant des opérations auxquelles il fut procédé, dans le courant de la journée, à Dreux, que M. Binet a pris cette décision.
 Le juge fait également continuer les recherches en ce qui concerne Sherdin2, d’abord appelé Scherdly, le complice, qui très certainement expédia les télégrammes de Paris et du Havre. Le juge croit que la Sûreté générale, qui possède le signalement précis et la photographie de cet individu, ne tardera pas à le retrouver. Seznec, qui, dès maintenant, est accusé d’avoir assassiné sur la route, entre Dreux et La Queue-les-Yvelines dans la nuit du 25 au 26 mai dernier, M. Quemeneur, a un passé extrêmement chargé.

Le passé de l’inculpé

 En effet, déjà, à plusieurs reprises, la justice brestoise eut à s’occuper de lui. Deux fois, on dut ouvrir des informations pour des vols d’automobiles dont il était soupçonné  ; malheureusement, on ne put jamais recueillir de preuves suffisantes et, chaque fois, il bénéficia d’un non-lieu. De plus, il fut accusé par la rumeur publique des diverses régions dans lesquelles il tint des commerces différents d’avoir, à trois reprises, mis volontairement le feu chez lui pour toucher une prime d’assurance. C’est au cours de l’un de ces incendies, alors que Seznec tenait, en 1908, à Plomodiern, près de Châteaulin, un magasin de cycles dans lequel il vendait également des graines et des boissons, qu’il reçut à la face les graves brûlures dont il porte encore les traces.
 Alors que ne pesaient encore sur Seznec que les graves soupçons qui viennent de se transformer en une accusation formelle, j’étais allé voir le beau-père de l’industriel morlaisien, installé courtier d’assurances, 52, rue Louis-Pasteur à Brest, M. Marc3, à qui je demandai son impression sur l’affaire. Il me répondit  :
 — Il est des hommes qui sont capables de tout. Seznec est de ceux-là.
 — Le croyez-vous donc coupable  ?
 — Je ne dis pas cela, mais seulement qu’il est capable d’avoir fait le coup. Il est des gens que rien n’arrête lorsqu’ils veulent s’emparer d’une auto ou d’une somme d’argent qui ne leur appartient pas. S’ils trouvent sur leur route un obstacle, ils le suppriment. Seznec est un bon à rien, incapable de s’attacher à une besogne quelle qu’elle soit. Il achète une propriété, un commerce, une usine, puis une lubie lui passe. Il plante tout là et s’en va ailleurs. C’est ainsi qu’il m’a ruiné.

Les dernières constatations sur la route de Dreux

 L’interrogatoire de Seznec s’est poursuivi au commissariat de Dreux hier jusqu’à trois heures du matin. Plus tard dans la matinée, M. Vidal a entendu la déposition du garagiste de Houdan4 chez qui Seznec a fait réparer sa voiture le 25 mai.
 L’après-midi, Seznec a été amené à l’endroit où il prétend avoir eu sa première panne, dans la forêt des Quatre-Piliers, sur la grande route de Dreux à Paris, à neuf kilomètres de Dreux5. À cet endroit, la route est bordée de bois de chaque côté. Dans ces bois, des inspecteurs, accompagnés de chiens policiers, ont fait des recherches. On a trouvé des papiers maculés de cambouis et un chiffon taché de sang. Ces pièces ont été saisies pour être examinées.
 Seznec a ensuite indiqué le lieu de sa seconde panne, qui est à deux kilomètres au-delà de La Queue-les-Yvelines. C’est à cet endroit, reconnaissable à un chemin de traverse qui coupe la route et conduit à des bâtiments distants de 500 mètres environ, que Seznec prétend avoir fait demi-tour vers six heures du matin pour rentrer à La Queue deux heures plus tard. Il résulte que pour parcourir les 20 kilomètres qui séparent Houdan de cet endroit, il lui a fallu de huit à neuf heures.

 De retour à Houdan, le commissaire Vidal a tenu à reconstituer la scène du passage à la gare de cette localité avec le témoignage de l’homme d’équipe Maurice Garnier, qui a assisté à l’arrivée de Seznec et de M. Quemeneur le 25 mai à dix heures un quart du soir.
 Là, une contestation s’élève. Seznec se défend d’avoir pris pour repartir la route indiquée par M. Garnier, mais le témoignage de celui-ci est formel. Seznec est reparti avec M. Quemeneur.
 M. Vidal a ensuite vérifié certains points encore obscurs.
 Il est rentré le soir à Paris et a trouvé le mandat d’arrêt contre Seznec émanant du parquet de Brest qu’il a de suite exécuté. Seznec, maintenant, est accusé d’avoir assassiné son ami Quemeneur. Il a été envoyé au dépôt.

Une perquisition chez Seznec

[DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL]

 Landerneau, 30 Juin. — Aussitôt, après avoir envoyé à Paris un mandat d’arrêt contre Seznec, M. Binet, juge d’instruction, signa une nouvelle commission rogatoire qui fut immédiatement expédiée à Morlaix à M. Cunart6, commissaire de la police mobile de Rennes. Elle avait pour objet de faire procéder dans la maison occupée par Seznec et située à la sortie de Morlaix, au carrefour des routes de Brest et de Carhaix, à une perquisition minutieuse.
 Le juge voulait tout d’abord faire saisir les vêtements que Seznec portait lorsqu’il fit le voyage de Dreux avec M. Quemeneur. Il désirait aussi qu’on recherchât si, dans la maison, ne se trouvait pas encore un objet ou une arme ayant pu servir au crime.
 Ou ne trouva ni papiers ayant trait à l’affaire, ni arme, ni dollars, ni vêtements maculés de sang.
 Malgré cela, les magistrats ont saisi un pardessus et un complet veston que Seznec portait, croit-on, lors de la tragique équipée.

Mme Seznec jure que son mari est innocent

 Dès la fin de la perquisition, j’ai pu voir Mme Seznec qui venait d’apprendre l’arrestation de son mari et qui a aussitôt protesté de son innocence.
 — Guillaume, m’a-t-elle dit, est incapable d’avoir fait un coup pareil. Il n’avait, du reste, aucune raison pour commettre un crime. Quoique nous ayons quatre enfants, nous ne sommes pas dans le besoin  : nous avons pour plus de six cent mille francs de biens et on nous doit, d’autre part, 25.000 francs. Pourquoi donc Guillaume aurait-il tué  ? et avec quoi  ? Mon mari n’a jamais eu aucune arme, ni couteau, ni revolver. On m’a dit que si je ne retrouvais pas les dollars [que]7 Guillaume a donnés à M. Quemeneur, on m’arrêterait. Eh bien  ! qu’on me mette en prison, cela ne m’empêchera pas de jurer que mon mari est innocent.  »


Seznec (Photo Petit Journal.)

 Et Mme Seznec, émue, mais gardant cependant tout son sang-froid, adjure l’inconnu qui tapa à la machine le contrat de vente de se faire connaître, ce qui, dit-elle, disculperait enfin son mari de la terrible accusation qui pèse sur lui.

À LA RECHERCHE DE LA VÉRITÉ DANS L’AFFAIRE QUEMENEUR

Ce que dit M. de Jaegher, ami de l’accusé

 Pendant que la perquisition se poursuivait chez Mme Seznec, je suis allé voir un ancien ami de M. Seznec, M, de Jaegher, qui demeure au lieudit Les Capucins, et fit d’assez nombreuses affaires avec le propriétaire de la scierie. Les premières paroles de M. de Jaegher, qui ne connaissait pas encore la décision prise par la justice à l’égard de Sez[ne]c, furent pour me faire l’éloge de cet homme, d’après lui d’une loyauté parfaite et de plus incapable de faire le moindre mal.
 — Par contre, ajoute M. de Jaegher, Seznec m’avait souvent parlé des 4.000 dollars qu’il possédait. Il attendait pour les vendre, m’avait-il dit, que le taux du change ait encore monté.  »
 Comme j’apprends alors à mon interlocuteur l’arrestation de Seznec, accusé d’assassinat et de faux, il pousse des exclamations et s’écrie  :
 — Jamais je ne me serais douté d’une chose pareille, car Seznec est riche.  »
 De son côté, M. Binet a poursuivi l’étude du dossier  ; puis il a demandé que Seznec soit transféré à Brest où il espère qu’il arrivera lundi matin.
 Enfin les policiers chargés de l’enquête croient que Cherdin aurait pendant la guerre été attaché à Brest à un service de l’armée américaine  ; ce serait ainsi qu’il aurait fait la connaissance de Seznec8.

Un témoin bénévole

 Samedi soir, vers 17 heures, Fernand Stutzmann9, 55 ans, employé au P.-O.10, 47, rue Simon-le-Franc, se présentait à la Sûreté générale pour faire une déclaration au sujet de faits dont il fut la victime de la part de Seznec.


Fernand STUTZMANN

 À sa sortie de la rue des Saussaies, il nous a déclaré  :
 — En 1913, j’étais établi blanchisseur à Brest, lorsque, un jour, Seznec, qui était propriétaire d’une importante ferme à Roseray, vint me trouver et m’offrit de me commanditer pour une somme de 120.000  fr.
 »  Vous pourrez ainsi, me dit-il, monter un stand à l’exposition de Brest qui va s’ouvrir.
 »  Le lendemain, nous nous rendions chez Me Robin, notaire à Brest, afin de dresser l’acte de commandite.
 »  Je pris ce stand et en fit tous les frais durant toute l’exposition. Voyant qu’elle tirait à sa fin et que je n’avais touché aucune somme de Seznec, je me rendis chez lui, à la Roseray. Et là, cyniquement, il m’avoua qu’il n’avait pas un sou et que son bien était hypothéqué pour 150.000 francs. J’étais roulé.
 »  Après conseil de Me Feuillard11, avocat à Brest, j’intentais un procès contre Seznec devant le tribunal de commerce, procès que j’ai gagné, mais qui m’a complètement ruiné et a incité ma femme à m’abandonner.  »
 Et M. Stutzmann, les larmes aux yeux, nous déclare encore, avant de nous quitter  :
 — Je voudrais bien que le juge d’instruction demande à Seznec d’où vient la balafre qu’il porte au bas du visage. Est-ce que ce ne serait pas à la suite de l’incendie de la ferme de son beau-père, située à Plomœderin12  ?  »

Des renseignements sur Sherdin

 Un journaliste suédois s’est présenté hier au cabinet de M. Daru13, commissaire aux délégations judiciaires, pour lui donner quelques renseignements sur Gunnar Sherdin14.
 — Je connais bien, lui a-t-il dit, le Suédois dont on a parlé ce matin. C’est bien un blond, large d’épaules, à physionomie énergique. Il est âgé de 30 à 35 ans. C’est un nommé Gunnar Sherdin.
 »  Je l’ai connu en 1914 et 1915, à Stockholm, pendant que nous faisions nos études de droit. Comme il voulait se rendre on France, c’est mon père, vice-président de la Chambre de commerce de Stockholm, qui lui fit avoir son passeport.
 »  Il s’occupait de pâte à papier et d’autres affaires commerciales.
 »  À Paris, je le revis en 1919. Mais voilà plus de six mois que je ne me suis pas rencontré avec lui. Je crois, cependant, qu’il doit encore habiter Paris. Je ne sache pas qu’il soit marié. C’est un homme très actif, très énergique. Il parle très bien le français.  »
 M. Daru, après avoir reçu ces renseignements qu’il a transmis à son directeur, a envoyé le journaliste à la Sûreté générale pour donner à celle-ci toutes indications dont elle aurait besoin.

___
1. Édouard Coulomb.
2. Bror Oskar Scherdin.
3. Jean Corentin Marc, père de Marie-Jeanne Seznec.
4. Émile Hodey, garagiste à Dreux, et non à Houdan.
5. À neuf kilomètres de Houdan, et non de Dreux.
6. Jean-Baptiste Cunat.
7. Source  : «  de  ».
8. Il peut s’agir d’une confusion avec les renseignements concernant Ernst Achermann.
9. Liliane Langellier, «  Qui est Fernand Stutzmann, la balance du premier jour  ?  », 17 juin 2018.
10. Compagnie du chemin de fer de Paris à Orléans.
11. Ernest Feuillard, qui va devenir l’avocat de Guillaume Seznec. Voir la lettre de Seznec citée par Claude Bal, page 25. Bernez Rouz le nomme Feuillat par erreur. Feuillard avait également été l’avocat de l’ingénieur Pierre durant l’affaire Cadiou. Pour son prénom, voir Le Petit Journal du 28 août 1906, page 3.
12. Plomodiern.
13. Auguste Darru.
14. Bror Oskar Scherdin.

Samedi 30 juin 1923

29 juin 1923 | 1er juillet 1923
PRESSE  : Le Journal

ÉVÉNEMENTS

 Ayant reçu dans la nuit un télégramme de la Sûreté générale concernant les opérations à Dreux et à Houdan de la veille, le juge Binet émet dans la matinée un mandat d’arrêt contre Guillaume Seznec, l’inculpant d’assassinat et de faux, et demande à ce que les recherches sur Bror Oskar Scherdin se poursuivent. Il expédie le mandat d’arrêt à Paris et télégraphie au parquet de Dreux pour que le commissaire Vidal en soit informé. Il envoie également une commission rogatoire au procureur de la République de Morlaix pour qu’il perquisitionne le domicile de Seznec1.
 Vers 8 heures, M. Freund, juge de paix de Landerneau, se présente à la villa Ker-Abri pour demander des renseignements complémentaires à Jenny Quéméner, sur commission rogatoire du juge Binet2.
 Ayant passé la nuit à Dreux, Guillaume Seznec prend son petit déjeuner vers 8 heures dans un café, sous la surveillance de l’inspecteur Bonny. Puis il se lève, disant qu’il veut envoyer une carte postale à sa femme, mais Bonny lui demande d’attendre le commissaire Vidal. Seznec veut tout de même partir et Bonny, aidé par un collègue, le retient de force. Seznec proteste que, n’étant pas inculpé, il devrait être libre de ses mouvements. Il ne sera informé que dans la soirée du mandat d’arrêt lancé contre lui3.
 Pendant ce temps, le commissaire Vidal mène une rapide enquête à Dreux, interrogeant le garagiste Hodey en particulier4. Vers 11 heures, il retrouve Seznec au commissariat et l’interroge à nouveau dans le bureau du commissaire Baumelou5.
 Dans la matinée, un huissier de Brest reçoit un arrêt de saisie provenant de Rennes contre la scierie et le garage de Seznec à Morlaix et décide de procéder à cette saisie dans l’après-midi6.
 Vers 13 ou 14 heures, le commissaire Vidal, Guillaume Seznec et les inspecteurs Bonny, Tissier, Lacouloumère et Paillet déjeunent au restaurant Le Plat d’Étain à Houdan. Seznec ne mange que quelques fraises et un peu de crème7.
 Vers 14 heures 30, tandis que le juge Binet reste à Brest pour étudier le dossier, le procureur de la République et le commissaire François de Morlaix, le commissaire Cunat de Rennes, les inspecteurs Le Gall et Thomas et deux agents de police procèdent à la perquisition du domicile de Guillaume Seznec à Morlaix, en présence de Marie-Jeanne Seznec. La maison d’habitation et les ateliers sont fouillés. Des vêtements sont saisis  : un pantalon, un veston et un gilet en drap portant des traces de cambouis, un pantalon de toile bleue ayant été soigneusement lavé, un pardessus et un chapeau mou. On saisit également vingt-quatre balles de revolver (calibre 8 millimètres) et quatre balles de pistolet automatique (calibre 7,65 millimètres), ainsi qu’une automobile Ford portant la plaque d’une Sizaire-Naudin8.
 Dans la journée, des jounalistes du Matin et du Journal rencontrent Gerd Scherdin, qui affirme que son mari n’est pas en fuite et n’a rien à voir avec la disparition de Pierre Quéméner9.
 Vers 15 heures, les policiers et Seznec quittent Houdan en direction de Paris et s’arrêtent huit ou neuf kilomètres plus loin10 aux Quatre-Piliers, où Seznec pense qu’il a eu sa première panne après le dîner du 25 mai. L’inspecteur Lacouloumère découvre à cet endroit deux feuilles de papier tachées de cambouis, ainsi qu’un chiffon portant des traces semblables à des gouttes de sang, qu’il passe sous le nez de Seznec, sans obtenir de réaction de sa part11.
 Les voitures repartent, toujours en direction de Paris, puis s’arrêtent à nouveau trois kilomètres après La Queue-lez-Yvelines, au niveau du croisement avec un sentier, où Seznec, cette fois-ci formel, indique qu’il a eu sa seconde panne et a fait demi-tour le 26 mai au matin12.
 Le cortège revient ensuite à Houdan. Devant la gare de cette ville, Seznec dit que, le soir du 25 mai, la barrière était ouverte et que Pierre Quéméner est descendu là pour prendre le train. L’employé de chemin de fer Maurice Garnier le contredit alors, affirmant que la barrière était fermée, qu’une seule voiture est venue à la gare ce soir-là, qu’un homme ayant la même silhouette que Seznec en est descendu un instant pour demander la route de Paris et que la voiture est repartie par erreur à l’opposé, sur la route de Berchères, avant de revenir et de s’éloigner vers Paris13.
 Vers 17 heures, Fernand Stutzmann se présente à la Sûreté générale pour déclarer qu’il a été floué financièrement par Guillaume Seznec en 1913. Après sa déposition, il répète ses accusations aux journalistes présents devant le siège de la Sûreté générale14.
 Ayant quitté Houdan vers 17 heures 30, Guillaume Seznec arrive à Paris vers 18 heures 30 ou 19 heures sous escorte policière et se voit notifier son arrestation. On commence à établir sa fiche anthropométrique. Le commissaire Vidal, resté plus longtemps dans la région de Houdan, n’est de retour à son bureau de la rue des Saussaies que vers 20 heures15.
 Vers 19 heures, le commissaire Labouerie de Rennes rejoint les policiers et les magistrats au domicile de Seznec à Morlaix, et la perquisition se termine vers 20 heures 30. Marie-Jeanne Seznec parle ensuite aux journalistes, protestant de l’innocence de son mari16.

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1. Le Petit Journal et La Dépêche de Brest du 1er juillet 1923.
2. La Dépêche de Brest du 2 juillet 1923.
3. Le Journal et La Dépêche de Brest du 1er juillet 1923.
4. Le Petit Journal et Le Quotidien du 1er juillet 1923.
5. Le Quotidien du 1er juillet 1923.
6. Le Journal du 1er juillet 1923.
7. Le Journal et Le Quotidien du 1er juillet 1923.
8. Le Petit Journal du 1er juillet 1923, La Dépêche de Brest des 1er et 2 juillet 1923, et Bernez Rouz, pages 117, 118 et 185. Le calibre exact des balles de revolver était certainement de 0,32 pouce (7,94 millimètres). Leur association avec un revolver Hammerless dans La Dépêche de Brest du 2 juillet 1923 indique qu’il s’agissait probablement de cartouches américaines de type .32 S&W, aux douilles caractéristiques, courtes et larges, conçues pour le revolver Smith & Wesson Safety Hammerless, arme de défense facile à glisser dans une poche en raison de son chien interne et de son mécanisme de sûreté.
9. Le Matin et Le Journal du 1er juillet 1923.
10. Le Petit Journal et La Dépêche de Brest du 1er juillet 1923. Il s’agit certainement de l’endroit où la route de Millemont rejoint la route Dreux-Paris, lieu de la rencontre avec Pierre Dectot.
11. Le Journal du 1er juillet 1923.
12. Le Journal du 1er juillet 1923.
13. Le Journal et La Dépêche de Brest du 1er juillet 1923.
14. Le Petit Journal du 1er juillet 1923.
15. La Dépêche de Brest, Le Petit Journal et Le Quotidien du 1er juillet 1923.
16. La Dépêche de Brest et Le Petit Journal du 1er juillet 1923.

LA JUSTICE EST CONVAINCUE
QUE M. QUÉMENEUR A ÉTÉ ASSASSINÉ

Le Journal, 30 juin 1923, pages 1 et 3.

Elle a identifié le mystérieux Charly

[DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL]

 BREST, 29 juin. — Il n’est plus possible, maintenant, d’attribuer à une fugue la disparition de M. Quémeneur  ; la certitude d’un crime, aujourd’hui, est absolue  : le malheureux a été assassiné. Telles sont les graves paroles par lesquelles le juge d’instruction Binec1 a répondu à mes questions dès son retour de Landerneau, ce soir.
 Le parquet de Brest, en effet, s’était transporté ce matin à Landerneau pour perquisitionner à Ker-Abri, la demeure de M. Quémeneur. C’est précisément le résultat de cette perquisition et aussi, d’autre part, l’examen du dossier de l’affaire apporté de Paris par M. Maté2, inspecteur de la Sûreté générale, qui ont permis au juge Binec de conclure, sur des preuves qu’il juge certaines, à l’assassinat du conseiller général du Finistère.
 Le mystérieux Charly, jusqu’ici introuvable, est, paraît-il, lui-même identifié. Ce fait vous est peut-être déjà connu à Paris. Charly, qui se nomme en réalité Chardin3, est en fuite, mais on suit actuellement sa trace dans les pays Scandinaves.

 En outre, à côté de cet acteur principal, l’inspecteur aurait établi la complicité de plusieurs autres personnes. Depuis cet après-midi, notamment, une piste extrêmement intéressante est suivie, mais aucun nom ne peut encore être prononcé. Tout ce qu’il est permis de savoir, c’est qu’une des personnes suspectées habitait, tout récemment encore, Morlaix.
 La perquisition de Ker-Abri fut faite en présence de MM. Pouliguen et Quémeneur4, beau-frère et frère du disparu. Un désordre complet régnait dans la villa. S’il ne fut possible de retrouver ni comptabilité ni copie de lettres, du moins a-t-on saisi une volumineuse correspondance, et, pêle-mêle, de très nombreuses pièces relatives aux différentes affaires, dont s’occupait M. Quémeneur. Le coffre-fort, situé dans le bureau même de M. Quémeneur, ne contenait aucun argent et, bien entendu, aucune trace ne fut relevée des fameux 4,000 dollars-or que M. Sezenec affirme avoir versés à M. Quémeneur. La perquisition a eu, en outre, ce résultat excellent de permettre enfin au magistrat de confronter avec certitude la véritable écriture de M. Quémeneur d’une part avec les notes relevées sur le carnet trouvé dans la valise du Havre, d’autre part avec l’original du télégramme adressé de cette ville à Mlle Quémeneur5, et, enfin, avec le fameux acte sous-seing privé concernant la propriété de Taou-Nez, que M. Quémeneur aurait «  cédée  » à M. Sezenec, d’après les déclarations de ce dernier, en garantie d’un prêt de 4,000 dollars-or. Il est ressorti de cette confrontation d’écritures  :
 1° Que les notes du carnet sont d’une écriture nettement différente de celle de M. Quémeneur  ;
 2° Que la main qui traça ces notes est la même que celle qui écrivit l’original du télégramme adressé du Havre à Mlle Quémeneur  ;
 3° Que l’acte sous-seing privé est, lui aussi, un faux où il est aisé de reconnaître que la signature de M. Quémeneur est fort grossièrement imitée.
 Enfin, le juge d’instruction Binec, tout en gardant la réserve que doit observer un magistrat instructeur, a bien voulu néanmoins me déclarer qu’il avait relevé sur le carnet une phrase, composée exactement de trois mots, qui permet d’expliquer parfaitement toutes les obscurités qui entouraient jusqu’ici la disparition de M. Quémeneur6.
 «  Je ne puis vous en dire davantage, ajoute M. Binec, mais dans cette déclaration il est permis d’entrevoir enfin la solution de cette mystérieuse affaire et on peut affirmer, d’autre part, que les auteurs de l’assassinat de M. Quémeneur ou plus exactement, que celui qui écrivit ces trois mots sur le carnet signa littéralement sa propre dénonciation  !  »
 Demain, l’enquête, menée parallèlement par le parquet de Brest et par la brigade mobile de Rennes, continuera hors de Brest, et il me sera sans doute possible alors de vous nommer le troisième complice mystérieux qui, avec Charly-Chardin et Sezenec, se trouve intimement mêlé à la disparition tragique de M. Quémeneur.
 Enfin, le juge Binec a manifesté son intention de faire accompagner à Brest M. Sezenec, qu’il désire interroger lui-même. — HENRY BARBY.

L’ENQUÊTE JUDICIAIRE À DREUX
EMBARRASSE M. SEZENEC

 Si M. Sezenec a pu croire que ses longues explications satisferaient la justice et qu’il pourrait reprendre sans encombre pour Morlaix le chemin qu’il eut tant de difficultés à parcourir avec son ami Quémeneur, son illusion aura été de courte durée. En effet, dès hier matin, à 9 heures, M. Vidal le convoquait à son cabinet où, après avoir reçu de lui confirmation de certaines déclarations faites la veille, il le pria de le suivre... jusqu’à Dreux.
 C’est à Dreux, on s’en souvient, que M. Sezenec a prétendu s’être séparé de M. Quémeneur, en précisant même qu’il l’avait accompagné à la gare, après avoir tenté, mais en vain, de poursuivre en automobile le voyage sur Paris.
 Donc, à 10 heures, l’automobile de la Sûreté générale emportait vers les lieux si parfaitement décrits par M. Sezenec au cours de sa déposition, M. Sezenec lui-même, M. Vidal et deux inspecteurs. Ils filèrent directement sur Dreux, où ils arrivèrent deux heures après. Là M. Vidal pria M. Sezenec de lui indiquer le chemin de la gare, où il avait accompagné, avait-il dit, M. Quémeneur7.
 Quel ne fut pas son étonnement alors de voir M. Sezenec rester muet et embarrassé. M. Sezenec ignorait où se trouvait la gare de Dreux  ! De même pour l’hôtel où il déclarait avoir dîné en compagnie de M. Quémeneur, il a été incapable d’en indiquer l’adresse. M. Vidal n’insista pas.
 Mais alors, une question se pose. Où donc les deux voyageurs s’étaient-ils séparés, si ce n’était à Dreux  ?
 M. Sezenec avait dit, lors de sa première déclaration  : «  J’ai dû passer à Houdan, mais je ne m’en souviens pas.  » L’auto de la Sûreté générale roula sur Houdan. Ici, nouvel étonnement du magistrat enquêteur. Il retrouva la trace précise de MM. Sezenec et Quémeneur. Ils avaient dîné tous deux à Houdan, qui se trouve à vingt kilomètres de Dreux, à 9  h.  15 du soir. Et M. Sezenec prétendait ne pas s’en souvenir  !
 Est-ce dans cette localité que les deux hommes se sont quittés  ? Voilà ce qu’on peut difficilement affirmer. Aucun des trains se dirigeant8 sur Paris ne s’arrête à Houdan, et celui que pouvait prendre M. Quémeneur passe en gare de Dreux à 9  h.  45. Il faudrait donc admettre qu’en une demi-heure il aurait dîné et parcouru avec l’automobile de Sezenec — dont on se rappelle l’état défectueux — les vingt kilomètres qui séparent Houdan de Dreux. Une telle hypothèse se dément d’elle-même.
 Poursuivant ses vérifications, M. Vidal revint alors à Millemont, mais ici encore, impossible de retrouver les lieux où se produisit la panne dont a parlé M. Sézenec et qui l’obligea à passer la nuit dans sa voiture.
 Par contre, il est établi qu’il est arrivé en auto, mais seul cette fois, à la Queue-les-Yvelines, le samedi 26 mai, à 8 heures du matin. Il était très abattu  ; il remisa son auto dans la cour d’un hôtel et dormit sur la banquette de l’auto jusqu’à midi. À 2  heures, il repartait pour Morlaix.
 Le point obscur se place maintenant entre la station à Houdan et l’arrêt à la Queue-les-Yvelines. Qu’a fait M. Sezenec à ce moment  ? Qu’est devenu M. Quémeneur à cet endroit  ? Et placé en face de ces contradictions, quelle attitude va prendre M. Sezenec  ? Il est certain que tout cela est bien étrange et fait peser sur lui les plus graves présomptions.
 Un crime a-t-il été commis  ? La question se pose désormais plus que jamais. Sans doute sera-t-elle résolue aujourd’hui. Mais s’il y a eu guet-apens et crime et que M. Sezenec y soit mêlé, il faudra découvrir à celui-ci un complice  : la personne qui, le 26 mai au matin, s’est présentée à deux reprises au bureau de poste du boulevard Malesherbes, pour y toucher le chèque expédié de Pont-l’Abbé par M. Pouliguen  ; car il est actuellement démontré, nous l’avons dit plus haut, que ce jour-là, M. Sezenec se trouvait à la Queue-les-Yvelines. Est-ce, comme on le croit, le mystérieux Chardin dit «  Charly  »  ? C’est ce que l’enquête permettra d’établir avant peu.

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1. Ernest Binet.
2. Henri Mathey.
3. Bror Oskar Scherdin.
4. Jean Pouliquen et Louis Quéméner.
5. Jenny Quéméner.
6. Henry Barby indiquera dans Le Journal du 2 juillet 1923 que cette phrase ne comportait en fait que deux mots, «  Dépenses Quémeneur  », dont le deuxième était superflu, mais cette explication ne tient pas et je pense que le juge Binet faisait plutôt référence à l’indication de la prise de train à Dreux, l’erreur commise par Seznec dans son récit coïncidant avec cette inscription dans le carnet.
7. L’article en première page s’interrompt ici et reprend en troisième page, sous le titre «  Le mystère Quemeneur  » et le sous-titre «  La troublante enquête à Dreux  », que je n’ai pas reproduits.
8. Source  : «  ne se dirigeant  ».

Mercredi 27 juin 1923

26 juin 1923 | 28 juin 1923
DOCUMENTS  : Récit de Pouliquen - Audition de Pouliquen - Audition de Jenny Quéméner - Audition d’Achermann - Audition de Legrand
PRESSE  : La Dépêche de Brest - Le Matin - Autres articles

ÉVÉNEMENTS

 Auditions de Jean Pouliquen, Jenny Quéméner et Ernst Achermann par le commissaire Achille Vidal à Paris.
 Audition de Julien Legrand par le commissaire Jean-Baptiste Cunat à Landerneau.

RÉCIT DE JEAN POULIQUEN

Le mardi [26]1 juin, je reprenais avec ma belle-sœur2 la direction de Paris. M. Vidal nous avait appelé[s] pour reconnaître la valise et les objets de notre malheureux frère3. Ma belle-sœur reconnut sans hésitation la valise ainsi que les quelques menus linges qu’elle contenait  ; il y manquait cependant un complet neuf que mon beau-frère avait emporté. Dans la valise se trouvait également le portefeuille vide de mon beau-frère, un carnet de notes qu’il portait constamment sur lui et qui semblait avoir été trempé dans l’eau, une carte de Seznec recommandant à M. Ackermann de réserver bon accueil à son ami Quemeneur [et] enfin, couronnant toute cette mise en scène, un des originaux du soi-disant acte de vente de Plourivo. M. Vidal me le fit lire en me demandant si j’en avais déjà connaissance. Je lui fis savoir que c’était la première fois que j’en entendais parler, Seznec n’ayant jamais laissé entendre à aucun de nous que cet acte pût exister. Il ne l’avait pas encore non plus déclaré aux journalistes4. Je demeurais stupéfait et ma belle-sœur ne fut pas moins étonnée. Je comparais aussitôt la signature de cet acte à la signature de mon beau-frère que je possédais sur moi et j’en conclus immédiatement que l’acte avait été fabriqué de toutes pièces. Je demandais à M. Vidal de me montrer le télégramme du Havre  ; nul doute, les deux signatures étaient bien de la même main, mais cette main n’était point celle de mon beau-frère. D’ailleurs, comme je le fis remarquer à M. Vidal, mon beau-frère n’avait point de machine à écrire et ne savait pas s’en servir. Seznec n’en possédait pas non plus  ; par conséquent, une tierce personne avait dû taper l’acte. Cette personne ne tarderait pas à se faire connaître si réellement elle existait. D’ailleurs, en admettant que l’acte eût été de mon beau-frère, il l’aurait laissé chez lui dans son coffre-fort avec ses titres de propriété. Dès ce jour, j’osais accuser Seznec, que M. Vidal manda immédiatement à Paris. Ce dernier5 déclarait le même jour aux journalistes6 avoir versé à mon beau-frère le 22 mai à Brest une somme de quatre mille dollars or. Cette somme chez Seznec, poursuivi de tous côtés, ne pouvait s’expliquer.7

___
1. Source  : «  25  ». Il peut s’agir d’une erreur de Jean Pouliquen ou d’une faute de copie de Bernez Rouz. C’est le 26 juin qui était un mardi et les auditions de Jean Pouliquen et de Jenny Quéméner ont eu lieu le 27 juin. Ces derniers ont donc très probablement pris le train le 26 juin au soir de Landerneau pour arriver à Paris le lendemain matin.
2. Jenny Quéméner.
3. Pierre Quéméner, frère de Jenny Quéméner et beau-frère de Jean Pouliquen.
4. Dans les articles parus le 27 juin, Guillaume Seznec justifie ainsi le versement de ses dollars à Pierre Quéméner  : «  pour liquider un compte  » (La Dépêche de Brest) et «  sous certaines garanties  » (Le Matin).
5. Non pas ce dernier, qui serait Achille Vidal, mais Guillaume Seznec.
6. Imprécision de Jean Pouliquen, car si ces déclarations sont parues ce 27 juin dans la presse, c’est qu’elles ont été faites la veille aux journalistes.
7. Bernez Rouz, pages 109 et 110.

AUDITION DE JEAN POULIQUEN
par le commissaire Vidal (extraits)

 [Concernant la soirée du 21 mai 1923 à Landerneau  :]
Mon beau-frère ne m’a nullement fait allusion à son projet de vente de propriété... Il n’aurait pas traité une semblable affaire sans me consulter. Mon beau-frère ne m’a exprimé aucun besoin d’argent. Je m’étonne donc que le lendemain, il m’ait adressé une pareille demande. C’est donc à Brest que la proposition lui a été faite.1

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1. Bernez Rouz, page 74.

AUDITION DE JENNY QUÉMÉNER
par le commissaire Vidal (extraits)

 [Concernant la préparation de la valise de Pierre Quéméner pour son départ de Landerneau le 24 mai 1923 au matin  :]
Je lui avais mis un complet veston neuf en laine et de couleur gris foncé uni.1

 [Concernant sa visite à Seznec le 8 juin 1923 à Morlaix  :]
Il me fit remarquer que je n’avais pas à m’inquiéter, ajoutant que mon frère gagnait de l’argent à Paris et que peut-être était-il parti en Amérique.2

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1. Bernez Rouz, page 109.
2. Bernez Rouz, page 100.

AUDITION D’ERNST ACHERMANN
par le commissaire Vidal

 Monsieur Ackerman Ernest1, sujet américain, 43 ans, menuisier en voitures à l’usine Renault, demeurant, 16 rue de l’Asile Popincourt à Paris.

J’ai connu Monsieur Seznec alors que j’étais soldat à Brest et détaché dans un camp américain en 1919. À cette époque, Monsieur Seznec s’est rendu acquéreur de plusieurs voitures.
 Courant mars 1920 je suis venu m’installer à Paris où j’ai d’abord habité 52 rue Richard Lenoir.
 Le 10 avril de la même année, je suis entré au service des Américains pour le «  Service des Tombes
2  ».
 Fin décembre 1922, après avoir terminé mon engagement avec les Américains, j’ai été admis à la maison Renault (automobiles) où je me trouve encore actuellement.
 Je ne suis allé qu’une seule fois à Morlaix voir Monsieur Seznec. J’étais encore à ce moment-là soldat à Brest.
 Monsieur Seznec m’a rendu une seule visite à Paris. C’était en août ou septembre de l’année dernière. Je lui avais écrit pour lui annoncer qu’il y avait quelques occasions intéressantes en voitures automobiles, au camp américain de St Ouen à Paris. Monsieur Seznec est arrivé trop tard et l’affaire n’a pu se conclure.
 Je n’ai plus revu Monsieur Seznec depuis ce moment-là.
 Dans le courant du mois dernier, je lui ai écrit pour lui proposer une affaire de courses. Il s’agissait d’une méthode pour gagner aux courses. Monsieur Seznec ne m’a pas répondu.
 Le 9 courant, j’ai reçu un télégramme avec réponse payée de Monsieur Seznec ainsi conçu  : Avez-vous eu visite d’un nommé Quémeneur — Signé Seznec.

 Le témoin nous remet ce télégramme que nous annexons au présent après l’avoir paraphé ne varietur.
Le même jour j’ai répondu à Monsieur Seznec pour lui dire que je n’avais vu personne.
 Représentons au témoin le télégramme à nous remis par Monsieur Pouliken, notaire à Pont-l’Abbé.
 Ce télégramme est ainsi conçu  : Je n’ai vu personne — Signé — Ackerman.
 Après examen, le témoin nous déclare  : C’est bien le télégramme que j’ai adressé à Monsieur Seznec.
 D — Connaissez-vous Monsieur Quémeneur  ?
 R — Non. J’ai même été surpris du télégramme de M. Seznec qui me parlait d’un nommé Quémeneur.
 D — Connaissez-vous un nommé Scherdin  ?
 R — Non.
 Représentons au témoin les photographies de Monsieur Quémeneur Pierre, le disparu, et du nommé Scherdin Bror Oscar3.
 Le témoin déclare  : Je ne connais pas les personnes que représentent ces photographies. Je ne les ai jamais vues.
 D — Avez-vous effectué un voyage ce mois-ci ou le mois dernier  [?]
 R — J’ai fait un voyage à Coblence au mois d’avril dernier vers le 17 ou 18. Je ne suis resté absent que trois jours. Depuis ce moment-là, je ne me suis plus déplacé même pour vingt-quatre heures, et j’ai travaillé régulièrement tous les jours à la maison Renault.
 S.I.4 — Je ne connais pas la rue Lafontaine à Auteuil5, et j’affirme n’y être jamais allé ni de jour ni de nuit.
 Lecture faite, persiste et signe.
Ernest C. Ackerman
 Le Commissaire de police mobile Vidal

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1. Ernst Conrad Achermann, né le 12 août 1877 à Zurich (voir mon billet du 10 avril 2018).
2. Graves Registration Service. Selon Wikipédia, il «  a été créé quelques mois après l’entrée en guerre des États-Unis dans la Première Guerre mondiale  » et il était «  chargé de la récupération, de l’identification, du transport et de l’inhumation des militaires morts américains  ».
3. Bror Oskar Scherdin.
4. Abréviations  : D (demande), R (réponse), S.I. (sur interpellation).
5. Scherdin était domicilié au 26 bis, rue La Fontaine, dans le seizième arrondissement de Paris.

AUDITION DE JULIEN LEGRAND
par le commissaire Cunat (extraits)

Quelques jours avant la Toussaint 1922, M. Seznec est venu me trouver pour me demander un prêt de 15.000 francs pour régler un procès qu’il avait perdu contre M. de Lescoët. Pour garantie de cette avance, M. Seznec m’a offert une voiture Cadillac, et si ce n’était pas suffisant, un camion auto en plus. Je lui ai répondu que je ne pouvais pas lui donner satisfaction, mais je lui ai conseillé de s’adresser à M. Quéméneur.1

Dans le courant de l’hiver dernier sans pouvoir préciser la date, j’ai lu une annonce2 dans un journal (La Dépêche de Brest, je crois) par laquelle un monsieur était acheteur de voitures américaines ou camions quel qu’en soit l’état. Or M. Quéméneur m’avait fait part vers la même époque qu’il ne voulait pas garder la voiture Cadillac en question parce qu’elle dépensait trop d’essence et qu’en outre, il possédait une Panhard. En lui communiquant l’annonce je lui ai dit  : puisque vous voulez vous défaire de votre voiture, voici une occasion qui se présente. Les choses en sont restées là.3

J’ai été obligé de faire assigner Seznec au tribunal de commerce de Morlaix, en paiement d’une somme de 2.000 francs qu’il me devait. À la suite de cela, Mme Seznec est venue me trouver pour m’apitoyer sur la situation en me disant  : «  M. Le Grand, si vous voulez, nous possédons des aciers, si vous voulez les accepter, vous vous paierez dessus.  »4

 [Le 22 mai au matin, Seznec rend visite à Legrand pour une signature  :]
M. Quéméneur l’attendait devant chez moi avec son auto pour aller à Brest.5

Le 23 mai au soir, je crois, M. Quéméneur est venu chez moi vers les 8  h.  30 ou 8  h.  45. Il m’a mis au courant de son voyage à Paris en me disant ceci  : J’ai fait une affaire avec Seznec, je pars demain livrer ma Cadillac avec lui6 à Paris où je resterai quelque temps, car nous avons fait une affaire ensemble pour achat7 de camions ou voitures américaines. Comme Seznec ne veut pas faire d’écritures, c’est moi-même qui tiendrai la comptabilité et ferai la réception des voitures.
 Je lui ai dit  : Alors Seznec fera les achats dans la région  ?
 Il m’a répondu  : Il fera les achats dans la France entière
8.
 J’ai continué  : Votre affaire me semble assez drôle, qu’on vienne chercher à Landerneau et
9 à Morlaix deux marchands de bois pour faire des achats de camion10. Mais il n’y a donc plus de connaisseurs à Paris  ? Mais si vous achetez par toute la France, il vous faudra énormément de capitaux.
 Il m’a répondu  : Je possède actuellement de l’argent liquide, de 80 à 100.000 francs, et Seznec de 40 à 50.000 francs.
 Comme Seznec m’avait appris jadis qu’il possédait des dollars-or, j’ai objecté à M. Quéméneur  : Seznec a donc vendu ses dollars  ? Seznec m’avait dit qu’il possédait 3.200 dollars depuis qu’il avait fait du blanchissement pour les Américains au cours de la guerre.
 Continuant la conversation, M. Quéméneur m’a encore dit  : Je pars demain à 5 heures du matin pour assister au conseil municipal de Saint-Sauveur, qui a lieu à 7 heures, j’ai quelques explications à donner au sujet des chemins, puis je partirai vers 8 heures car je dois être à Rennes pour déjeuner. Je repartirai avec Seznec pour Paris pour livrer ma Cadillac, qui est vendue.
 M. Quéméneur m’a dit encore que Seznec avait vendu ses dollars, mais il ne m’a pas dit à qui.
11

J’ai appris la disparition de M. Quéméneur le vendredi 15 juin courant par M. Gestin, garagiste, qui m’a fait la réflexion que c’était assez bizarre d’être parti à deux et de n’être revenu qu’un seul. M. Gestin a eu une conversation téléphonique avec Seznec, hors ma présence, il m’a dit que Seznec avait eu des réticences pour dire où était M. Quéméneur et que le matin même il12 avait reçu une lettre de sa sœur13 lui disant que Pierre était bien.14

___
1. Bernez Rouz, page 66. Le procès perdu par Seznec le 30 septembre 1922 contre le marquis de Lescoët portait sur la somme de 23.000 francs.
2. Source  : «  j’ai lu dans une annonce  ».
3. Bernez Rouz, page 59.
4. Cette déclaration de Julien Legrand fournie par Bernez Rouz, page 66, semble provenir du même procès-verbal d’audition.
5. Bernez Rouz, page 75.
6. Les mots «  avec lui  » sont absents chez Denis Seznec.
7. Denis Seznec  : «  l’achat  ».
8. Source  : «  dans toute la France entière  » (expression redondante).
9. Denis Seznec  : «  ou  ».
10. Denis Seznec  : «  camions  ».
11. Denis Seznec 2009, page 96. Une partie de ce passage est donnée par Bernez Rouz, page 81. Pour chaque variante, j’ai suivi Bernez Rouz et indiqué en note la version de Denis Seznec. J’ai retiré les tirets cadratins, placés différemment chez ces deux auteurs et fautifs dans les deux cas, bien qu’ils soient certainement présents dans le document original.
12. Guillaume Seznec.
13. Jenny Quéméner, la sœur de Pierre Quéméner.
14. Bernez Rouz, page 92.

LA DISPARITION DE M. QUÉMÉNEUR

La Dépêche de Brest & de l’Ouest, 27 juin 1923, pages 1 et 5.

Comment avait-il connu l’introuvable américain  ?
Les automobiles américaines étaient destinées au gouvernement des soviets
M. Seznec convoqué à la sûreté générale

 Les faits que nous avons énoncés dans nos précédents articles nous ont permis d’établir entre autres choses les raisons qui attiraient M. Quéméneur à Paris et, vraisemblablement, de déterminer les causes de sa disparition.
 Cela n’avait pas toute la simplicité que l’on pourrait croire, étant donné que la famille se refusait obstinément à faire la moindre communication sur cette affaire qui émeut si profondément les nombreux amis du disparu et provoque chez tous un douloureux intérêt. D’autre part, M. Quéméneur, lui-même, n’avait guère parlé de façon bien précise de ce projet d’achat et de revente d’automobiles qu’il devait mettre à exécution.
 Il paraissait à tous ceux qui le fréquentaient qu’il avait en cette affaire une confiance illimitée et qu’il craignait qu’on ne la lui enlevât.
 C’est pourquoi, d’ailleurs, on remarquait qu’à ce propos ses conversations étaient pleines de réticences.
 Mais comment était-il entré en relations avec le fameux Sherdly qui, d’ailleurs, aux derniers renseignements, disait se nommer Charly et donnait pour adresse le 6 du boulevard Malesherbes — où, par parenthèse1, la police l’a vainement demandé  ?
 A l’un de ses amis qui lui posait cette question devenue particulièrement importante depuis que l’on soupçonne le rôle tragique joué par l’Américain, M. Quéméneur confiait  :
 — J’ai connu cette affaire par une annonce de journal dont la lecture m’avait fait une impression heureuse. J’avais senti à ce moment que l’affaire devait être bonne et je ne me suis point trompé.
 Pour le démontrer, le conseiller général de Sizun exposait qu’il s’agissait d’acheter des voitures américaines dans toute la France, de les réunir à Paris et de les livrer, par petit nombre, dans un garage dont il ne faisait pas connaître l’adresse.
 Là, dès la livraison, on lui versait les sommes convenues, qui ne devaient pas être inférieures au triple de la mise de fonds. C’est ainsi que pour un achat de 100.000 francs d’automobiles, il se croyait assuré d’un bénéfice de 200.000 francs.
 Mieux  : il n’était nullement nécessaire que ces voitures fussent en parfait état. «  Pourvu qu’elles roulent, disait-il, elles seront acceptées  ».
 Comme on lui objectait qu’une affaire pareille ne paraissait pas sérieuse, il se récriait, déclarant que les automobiles étaient destinées à être livrées au gouvernement russe, et qu’il en fallait, par suite, un grand nombre.
 Il ne faisait pas connaître ceux avec qui il traitait, mais, afin de convaincre son ami, il lui proposait de l’emmener à Paris pour le faire assister à la première livraison.
 Les sages conseils qui lui furent donnés ne purent avoir raison de son enthousiasme.
 Car c’est avec un réel enthousiasme, en effet, qu’il s’était lancé dans cette affaire  ; par quelques précisions nouvelles, M. Seznec nous le rappelait hier encore.
 Il avait tout d’abord reçu directement de Charly une première lettre, puis il avait fait remarquer à M. Seznec que l’enveloppe portait sur l’un de ses angles l’indication  : «  Chambre de commerce américaine de Paris  ». Cela avait été imprimé à l’encre bleue à l’aide d’un cachet de caoutchouc.
 — Quand tu recevras, recommandait-il, des lettres portant cette indication, tu me les remettras, car ce courrier-là me sera adressé chez toi.
 Et par deux fois, M. Quéméneur vint à Morlaix recevoir des lettres du même genre.
 — Les livraisons que nous devions faire, poursuit M. Seznec, comportaient des camions U.S.A. et des Cadillac. Il était entendu qu’un cautionnement de 10.000 francs devait être versé au moment de passer le marché. A cet effet, M. Quéméneur devait être présenté par Charly à l’un des personnages importants de l’affaire.
 «  Le marché dont il s’agissait comprenait cent véhicules, dont les dix premiers devaient être livrés le 2 juin. C’est pourquoi M. Quéméneur s’était empressé d’écrire à de nombreux garagistes de Nantes et de bien d’autres villes pour demander des voitures américaines.
 «  Le 22 mai, je m’étais rendu avec lui à Brest, pour, de là, gagner Lesneven, où nous devions acheter une Cadillac. Après avoir essayé la voiture, nous avons prié le vendeur de nous la réserver avant tout autre.
 «  Ce jour-là, j’ai remis à M. Quéméneur, pour liquider un compte, 4.000 dollars en or  ; je crains qu’il ne les ait emportés à Paris.
 «  Il avait tellement confiance qu’il voulait adresser immédiatement par courrier le cautionnement de 10.000 francs. Je parvins à l’en empêcher, comme je réussis aussi à le convaincre qu’il était imprudent d’aller chez son beau-frère, à Pont-l’Abbé, prendre les fonds nécessaires à la première opération. Il consentit donc, sur mes instances, à se les faire adresser à Paris, en un chèque.  »
 M. Seznec ne sait pas comment le disparu est entré en relations avec Charly. Il croit que jamais il ne l’avait vu avant ce voyage, qui se termina de si mystérieuse façon.

Quelle fut cette conversation téléphonique  ?

 Donc, quant à présent, la personnalité de ce Charly demeure impénétrable. Mais sait-on seulement si M. Quéméneur l’a rencontré et en quel lieu  ?
 Lorsque le conseiller général avait quitté M. Seznec devant la gare de Dreux, où il espérait avoir un train, il lui avait dit  :
 — Efforce-toi de gagner Paris si la chose est possible. Tu me trouveras à l’hôtel de Normandie, près de la gare Saint-Lazare, où je vais descendre.
 Or, en cet hôtel on n’a pas reçu le conseiller général. Le fait a été vérifié par M. Seznec lui-même, qu’une affaire appelait à Paris dans le courant de ce mois.
 D’autre part, on se demande comment, le 26 mai, une personne inconnue a pu se présenter au bureau de poste du boulevard Malesherbes pour demander au guichet de la poste restante si un pli chargé n’était pas arrivé à l’adresse de M. Quéméneur. En effet, qui donc avait connu à Paris l’envoi du chèque et par quel moyen  ?
 M. Seznec nous déclare qu’il croit que le 24 mai, alors qu’il l’attendait à Rennes, M. Quéméneur avait téléphoné à Charly. Il le croit, car tandis qu’ils reprenaient la route, son compagnon lui fournit sur l’affaire des renseignements nouveaux, des précisions qu’il n’avait pu jusqu’alors apporter.
 Cette conversation téléphonique succédant à la demande d’envoi du chèque aurait-elle été fatale à M. Quéméneur  ?
 C’est ce qu’il importe de rechercher.
 Ajoutons que la sœur du disparu, Mlle Quéméneur, de Landerneau, et son beau-frère, M. Pouliquen, notaire à Pont-l’Abbé, se sont rendus à Paris où la valise retrouvée au Havre leur sera présentée.
 Hier soir, également, M. Seznec était invité par la brigade mobile à se rendre d’urgence à Paris pour y être entendu par M. Vidal, commissaire à la sûreté générale2.

L’AFFAIRE QUÉMÉNEUR
L’enquête de la sûreté générale

Quéméneur était au Havre le 13 juin

 Paris, 27. — La Sûreté générale a procédé à l’examen du carnet de dépenses de M. Quéméneur.
 Cet examen semble indiquer que son séjour à Paris a été de courte durée. Une inscription est restée indéchiffrable jusqu’à présent. Elle commence par le mot «  voyage  ».
 Un voyage reste donc à déterminer et doit se placer entre l’arrivée de Quéméneur au Havre et le 13 courant.
 Par ailleurs, contrairement à la première hypothèse, l’examen du télégramme saisi au Havre et expédié à la famille Quéméneur paraît démontrer qu’il a été rédigé par Quéméneur lui-même. Ce dernier était donc encore vivant le 13.
 Au sujet de la découverte de la valise, on a remarqué que celle-ci avait des éraflures nombreuses, des traces de boue et de sang. La serrure a été forcée.
 Le linge ne présente aucune trace d’humidité. Par contre, divers papiers et un carnet auraient été immergés.
 Dans le portefeuille, on constate même des traces de sable de mer.
 D’après l’enquête, Quéméneur aurait été assassiné soit le 13 ou le 20.
 On s’explique assez difficilement si l’on situe la date du crime dans la journée du 13, que l’assassin ait imprudemment conservé par devers lui un bagage compromettant pendant sept jours, c’est-à-dire jusqu’au 20.

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1. J’ai supprimé un tiret cadratin placé par erreur après ce mot dans la source.
2. Cet article en première page se termine par une section datée du Havre le 25 et intitulée «  Du sang sur la valise  », identique à la section «  Du sang sur la valise du disparu  » parue dans Le Matin du 26 juin 1923.

DIX-HUIT JOURS APRÈS SA DISPARITION
M. QUEMENEUR ÉTAIT ENCORE VIVANT

Le Matin, 27 juin 1923, pages 1 à 3.

On ne sait pas où le conseiller général
logea à Paris le soir de son arrivée, le 25 mai

 Si la disparition de M. Pierre Quemeneur, conseiller général du Finistère, reste toujours aussi mystérieuse, un grand pas, cependant, vient d’être fait par l’enquête, à savoir qu’il semble bien que le 13 juin, c’est-à-dire dix-huit jours après avoir quitté à Dreux M. Sezenec, qui est celui qui le vit et put donner pour la dernière fois de ses nouvelles, M. Quemeneur était encore vivant.
 Contrairement aux hypothèses envisagées par sa famille, il semblerait maintenant que le télégramme envoyé ce 13 juin, du Havre, à Mlle Quemeneur, à Landerneau, aurait bien été expédié par le conseiller général du Finistère.

Les inscriptions d’un carnet de dépenses

 Par ailleurs, les inscriptions portées sur le carnet de comptes du disparu, et, notamment, celle ainsi libellée et qui est la dernière de ce carnet  :
   13 juin 23. — Déjeuner, 8 fr. 75
 paraissent bien également avoir été écrites par M. Quemeneur.
 A l’égard de ce carnet de comptes, il convient de remarquer en outre que, seule cette dernière dépense pour un déjeuner modeste porte une indication de date — celle, précisément de cette journée du 13 juin à partir de laquelle l’ombre et le silence allaient surgir définitivement, autour de M. Quemeneur.
 Mais, si M. Quemeneur était encore vivant le 13 juin, que fit-il depuis le moment où, le 24 mai1, il quitta à Dreux M. Sezenec  ? Si sur son carnet de comptes, on relève, écrites au crayon, maintes autres dépenses, telle, par exemple, celle de 127 francs de frais divers (sic) à Paris, puis de 31 fr. 75 pour billet Paris-Le Havre (c’est le prix d’un billet simple de 2e classe), nulle date ne précède ces inscriptions. Après celle relative à ce billet Paris-Le Havre, et immédiatement avant celle relative au déjeuner du 13 juin, une ligne presque entièrement effacée par l’eau commence par ces mots  : «  Voyage à M...  ». Mais les lettres suivant cette initiale M sont illisibles.
 Ces divers papiers, ainsi que le texte original du télégramme adressé à Mlle Quemeneur, ont été rapportés hier à Paris par l’inspecteur de la Sûreté générale qui était allé enquêter au Havre, et ont été confiés aux services de l’identité judiciaire, à la préfecture de police. Il en a été de même de la valise retrouvée le 20 juin à la gare du Havre, et qui contenait ces papiers. Cette valise, de la forme carrée, plate, dite mallette porte-habits, et en simili-cuir, est de qualité très ordinaire. Sur l’un de ses côtés et sur une partie de son couvercle, on remarque des taches plus sombres que le reste de l’enveloppe. Taches d’humidité ou taches de sang  ? Seule une expertise ultérieure pourra nous fixer sur ce point.

A l’hôtel de Normandie

 Les diverses enquêtes menées jusqu’ici à Paris n’ont point permis d’y retrouver la trace de M. Quemeneur. De même, on ignore toujours quel est le personnage américain, du nom de Scherdly, avec qui, avant de quitter Landerneau, le conseiller général du Finistère avait annoncé qu’il devait traiter à Paris d’importantes affaires.
 — Nous n’avons jamais eu ici de client de ce nom. Le 12 juin dernier, nous avons reçu de Landerneau une lettre d’une demoiselle Quemeneur qui nous écrivait en substance  : «  Je suis sans nouvelles de mon frère qui devait descendre à votre hôtel le 24, 25 ou 26 mai. Il y avait donné rendez-vous à diverses personnes le 26 mai. Nous savons que ces personnes s’y sont présentées et ne l’y ont point rencontré. Je vous serais donc très obligée de me dire si vous l’avez vu...  » Nous n’avons pu que répondre à Mlle Quemeneur que nous n’avions jamais vu son frère et que nous ne le connaissions point.
 Et on se demande, aujourd’hui, quelles raisons avaient déterminé M. Quemeneur à donner comme adresse à Paris cet hôtel de Normandie où il n’était jamais allé et où il ne vint jamais.

LA DISPARITION DE M. QUEMENEUR
Notre enquête à Landerneau

Un récit de M. Sezenec

[DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL]

 BREST, 26 juin. — Par téléphone. — Naturellement, la disparition inexpliquée de M. Quemeneur, conseiller général du Finistère, fait beaucoup de bruit à Landerneau où il résidait en la villa Ker-Abri. La sœur et le beau-frère de M. Quemeneur, notaire à Pont-Labbé, sont partis pour Le Havre, dans l’espoir de recueillir quelques nouveaux indices.

Le mystérieux Américain

 Je me suis longuement entretenu avec M. Sezenec, le marchand de bois qui, dans son automobile, emmena M. Quemeneur de Rennes à Dreux.
 Voici ce qu’il m’a déclaré  :
 — M. Quemeneur est un ami de vieille date. Il y a quelques mois, il m’a rendu un signalé service. Condamné à payer une somme importante, il me manquait 15.000 francs qu’il m’a prêtés, en échange d’une garantie que je lui donnai sur ma voiture torpédo 36 chevaux.
 Il y a deux mois environ. M. Quemeneur était entré en correspondance, comment  ? je ne l’ai jamais su, avec un mystérieux personnage, un Américain, qui lui offrit une affaire superbe, l’achat d’autos de marque à céder au gouvernement russe par l’intermédiaire du même personnage qui proposait l’affaire  !
 Ces propositions intéressèrent très vivement M. Quemeneur qui décida de m’y associer. Je fus chargé de recevoir les lettres que l’Américain envoyait à M. Quemeneur. Deux me parvinrent. Elles portaient l’en-tête de la chambre de commerce américaine, 36, rue Taitbout, à Paris, étaient signées d’un nom commençant par Scher... et se terminant par un «  y  », quelque chose comme Scherzy, Scherky, etc.
 Je remis ces missives sans les décacheter à M. Quemeneur qui m’en lut certains passages. Ils avaient trait au commerce des automobiles et contenaient les conditions offertes. Etant donné sa qualité de conseiller général, M. Quemeneur décida d’accepter l’affaire en participation avec moi. Il fournissait les capitaux, mais c’est sous mon nom que devaient être faites les transactions. La première voiture qui devait être vendue était la mienne, que nous devions conduire à Paris le 24 mai, où l’Américain l’attendait.
 Le 22 mai, je me rendis à Landerneau chez M. Quemeneur, puis tous deux nous partîmes à Lesneven où une autre Cadillac était offerte en vente, pour laquelle M. Quemeneur se fit donner une option, après avoir constaté la bonne marche de la voiture. Avant, nous nous étions arrêtés Brest. M. Quemeneur s’était présenté à la Société bretonne de crédit pour solliciter une avance de 100.000 francs représentant les capitaux dont il avait besoin pour le payement immédiat des premières autos achetées. Cette avance lui fut refusée. C’est alors qu’il décida d’avoir recours à son beau-frère auquel par téléphone il demanda de lui expédier un chèque barré sur la Société générale d’une somme de 60.000 francs et adressé à son nom au bureau de poste 3, boulevard Malesherbes.
 Profitant de ce que je me rendais à Brest, j’avais eu soin d’emporter dans une petite boîte, où je les tenais cachés depuis fort longtemps, 4.000 dollars-or que je comptais échanger à la banque. Je les offris sous certaines garanties à mon ami Quemeneur.
 Ayant accepté mon offre, Quemeneur emporta la boîte contenant mes dollars, puis nous rentrâmes chacun chez nous, lui à Landerneau, et moi à Morlaix.
 Le lendemain, 23 mai, je fus à Landerneau chercher ma voiture. Je la ramenai à Morlaix, et le 24 mai, à 10  h.  30, je quittai cette ville en automobile pour me rendre à Paris. A Rennes, comme convenu, je rejoignis M. Quemeneur. Le 25 mai, nous quittions Rennes pour Paris.
 A Dreux, au centre de la ville, une panne de carburateur nous retint jusqu’à 20 heures. Un mécanicien, M. Hodey, 33, rue d’Horfeuil, vint nous dépanner, mais la voiture n’avançait que difficilement, au point qu’à 5 ou 6 kilomètres de la ville, Quemeneur renonça à gagner la capitale en auto. Il la ramena à la gare de Dreux où il me quitta, disant  :
 — Si tu crois que la voiture soit invendable, tu m’attendras demain il la porte de Versailles où je viendrai te prendre. Quant à moi, je file à Paris par le train, parce que j’ai rendez-vous demain matin, avenue du Maine avec l’Américain.
 Je continuai mon voyage sur Paris mais à 15 ou 16 kilomètres au delà de Dreux, mes chambres à air crevèrent à nouveau. N’ayant pas de phares, je dus attendre sur le bord de la route, assis dans ma voiture, le lever du jour pour effectuer la réparation. Je gagnai Millemont. Je passai la journée à l’hôtel et, auprès avoir réparé et renonçant à aller à Paris, je gagnai un hôtel où je passai la nuit. Le lendemain, je me mis en route pour Morlaix. J’eus à Dreux une nouvelle panne de carburateur. Le même mécanicien dut me remorquer jusque chez lui et réparer ma voiture. Le soir, je couchai à Pré-en-Pail.
 Je repartis le 27 à 8 heures. J’eus encore différentes pannes à Mayenne, à Rennes, ce qui me retarda tellement que je n’arrivai à Morlaix que le 28.

M. Sezenec convoqué à Paris

 M. Sezenec a été prié, hier soir, par la Sûreté générale, de venir d’urgence à Paris pour y être entendu sur les circonstances du voyage en automobile qu’il accomplit en compagnie de M. Quemeneur.

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1. En réalité le 25 mai.

AUTRES ARTICLES

La Croix, page 5.
La Dépêche de Brest (supra)
L’Écho d’Alger, page 2.
Excelsior, page 5.
Le Figaro, page 3.
Le Gaulois, pages 2 et 3.
L’Homme Libre, page 3.
L’Humanité, page 2.
L’Intransigeant, page 3.
Le Journal, pages 1 et 3.
Journal des Débats, page 3.
La Lanterne, page 3.
Le Matin (supra)
L’Ouest-Éclair, pages 1 et 3.
Le Petit Journal, pages 1 et 3.
Le Petit Parisien, pages 1 et 3.
Le Populaire, pages 1 et 5.
La Presse, page 1.
Le Radical, page 3.
Le Rappel, page 3.
Le Temps, page 4.