Mercredi 24 juin 1925

23 octobre 1924 | 19 octobre 1925
DOCUMENT  : Scherdin contre Le Petit Parisien

ÉVÉNEMENTS

 La huitième chambre de la Cour d’appel de Paris condamne les quotidiens Le Matin, Le Journal, Le Petit Parisien et La Liberté à verser des dommages-intérêts à Bror Oskar Scherdin, dans le cadre de procès en diffamation1.

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1. On trouvera ci-dessous le texte de l’arrêt concernant la plainte contre Le Petit Parisien, et la publication de la condamnation du journal La Liberté sur la page du 19 octobre 1925.

ARRÊT DE LA COUR D’APPEL DE PARIS
(huitième chambre)

 LA COUR,
 Statuant sur l’appel relevé par Scherdin d’un jugement rendu par le tribunal civil de la Seine le 21 juillet 1924  :
 Considérant qu’au cours d’une information judiciaire ouverte à raison de la disparition d’un nommé Quémeneur, le bruit se répandit que l’assassin de ce dernier, ou tout au moins le complice de l’assassin, serait un nommé Charly ou Chersky  ; que, par suite d’une erreur demeurée inexplicable, on identifia ce personnage avec un sieur Scherdin, sujet suédois représentant pour le commerce des pâtes en papier, demeurant à Paris, 26 bis, rue La Fontaine, alors que celui-ci n’a jamais été mêlé à cette affaire, qu’à aucun moment il n’a été en relations ni avec la victime, ni avec Sézenec, depuis condamné pour avoir assassiné Quémeneur  ; qu’à aucun moment, non plus, Scherdin n’a été entendu, fût-ce à titre de témoin, et que son honorabilité est constatée par une attestation de M. le consul de Suède à Paris  ;
 Considérant, cependant, que plusieurs journaux ont, sous des formes diverses, fait connaître à leurs lecteurs la nouvelle des prétendus soupçons qui auraient pesé sur Scherdin  ; que le journal Le Petit Parisien a, dans les articles cités aux attendus du jugement et parus dans les numéros des 30 juin et 1er juillet 1923 (édition de province), désigné Scherdin, s’occupant notamment de fabrication de pâtes à papier, comme étant un des acteurs du drame, comme ayant pris la fuite dans les pays scandinaves et y étant recherché  ; que les détails donnés dans ces articles sur la personnalité du demandeur et sur sa profession l’identifiaient aux yeux des lecteurs du journal  ;
 Considérant que, à raison de ces faits, Scherdin a assigné Le Petit Parisien et les sieurs Pannetier, gérant, et Hémery, auteur de l’article, réclamant l’allocation de dommages-intérêts et diverses insertions dans des journaux  ; que le jugement attaqué a rejeté cette demande et que Scherdin a fait appel de cette décision  ;
 Considérant que Le Petit Parisien soutient tout d’abord que sa responsabilité ne saurait être engagée puisqu’il a agi de bonne foi, sans intention de nuire, se bornant à reproduire des renseignements donnés par les autorités les plus qualifiées  ;
 Considérant que ces faits doivent être retenus pour faire écarter la poursuite en tant qu’elle est fondée sur le délit de diffamation  ; qu’il ne suffit pas, en effet, pour que ce délit soit établi, que la personne visée soit atteinte dans son honneur et sa considération  ; qu’il est, en outre, nécessaire que la diffamation ait eu lieu avec mauvaise foi et intention de nuire, et que, si cette intention résulte, en principe, de l’imputation entachant l’honneur ou la considération, cette présomption disparaît en présence de faits suffisants pour faire admettre la bonne foi  ; qu’il est certain que, dans l’espèce actuellement soumise à la Cour, Le Petit Parisien a agi dans le but exclusif de renseigner ses lecteurs, sans aucune intention malveillante à l’égard de Scherdin, dont il ignorait jusque-là l’existence  ;
 Mais considérant qu’il n’en demeure pas moins que le journal a commis une faute qui engage sa responsabilité  ; que, si des décisions de justice, et même un arrêt de cette chambre, ont déclaré que ne commet ni faute ni imprudence le journaliste qui, en dehors de toute polémique et de toute appréciation malveillante du fait matériellement exact qu’il publie, se borne à remplir son rôle d’informateur impartial, il en va tout autrement quand, comme dans l’espèce actuelle, il livre a la malignité publique un fait absolument inexact, à savoir qu’une personne est mêlée à une affaire d’assassinat à laquelle elle est tout à fait étrangère, et qu’elle est l’objet de soupçons assez graves pour qu’elle ait dû prendre la fuite  ; qu’il est sans intérêt de rechercher à quelles sources Le Petit Parisien a puisé son information, le journaliste qui reçoit des confidences, même des personnes les mieux qualifiées, ne pouvant s’en servir que sous sa responsabilité exclusive  ;
 Considérant, il est vrai, que Le Petit Parisien fait encore valoir pour sa défense que, dès le lendemain de l’article incriminé, il a informé ses lecteurs que les soupçons qui avaient pu s’égarer sur Scherdin n’étaient pas fondés et que celui-ci devait être mis hors de cause  ;
 Mais considérant que, s’il y a lieu de tenir un compte tout particulier de cette rectification, qui fait encore mieux ressortir l’absence de toute intention délictueuse, dans l’appréciation du montant des dommages intérêts, elle ne fait disparaître entièrement ni le préjudice, ni la faute génératrice de responsabilité  ; qu’en effet les lecteurs du numéro où l’article dommageable a été inséré n’ont pas nécessairement acheté le numéro qui contenait la rectification  ; que celle-ci n’a réellement produit son effet qu’en ce qui concerne les abonnés du journal  ;
 Considérant que le préjudice moral qui résulte de la faute commise par Le Petit Parisien est évident  ; qu’il s’accompagne d’un préjudice matériel subi par l’appelant dans l’exercice de sa profession, ainsi qu’il résulte des documents fournis à la Cour  ;
 Par ces motifs  :
 Infirme le jugement dont est appel  ;
 Et statuant à nouveau  :
 Condamne conjointement et solidairement la société Le Petit Parisien, Hémery et Pannetier à payer à Scherdin la somme de 1  500  fr. à titre de dommages-intérêts  ;
 Dit n’y avoir lieu d’ordonner d’insertions  ;
 Condamne les intimés aux dépens1.

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1. Dalloz, Recueil hebdomadaire de jurisprudence, 1925, page 634, et La Publicité, n°  215, janvier 1926, page 826. Informations données par le recueil Dalloz  : MM. Bompard, président  ; Chartrou, avocat général  ; Réau et Coudy, avocats. «  Du même jour, trois autres arrêts de condamnation du Matin, du Journal et de La Liberté en faveur du même Scherdin par les mêmes motifs.  »

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