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Samedi 8 décembre 1923

7 décembre 1923 | 23 octobre 1924
PRESSE  : L’Ouest-Éclair

L’AFFAIRE SEZNEC

L’Ouest-Éclair, 8 décembre 1923, page 5.

Mme Seznec demande à être confrontée avec quelques témoins

 MORLAIX, 7 décembre. — (De notre correspondant particulier). — Mme Seznec vient de manifester le désir de prendre une part plus active à l’instruction.
«  Je désirerais, dit-elle, être confrontée non seulement avec Mlle Quémeneur, mais avec M. Pouliquen et M. Quémeneur, de Plourivo. Tous deux ont fait, à l’instruction, des déclarations erronées. M. Pouliquen, notaire à Pont-l’Abbé, est venu avec M. Quémeneur, frère, habitant Plourivo1. Ils arrivèrent avec une auto de louage à 6  h.  30. Seznec n’était pas encore levé. C’est Angèle qui ouvrit. Je suis descendue, j’ai fait le café, que j’ai servi en attendant que mon mari soit descendu. On a parlé, comme de juste, de Quémeneur et de l’affaire des autos. J’ai rappelé que Quémeneur avait dit à M. Seznec qu’il n’avait pas beaucoup d’argent liquide à avancer, mais qu’il avait bien sa Cadillac valant 30.000 fr.
 «  Tu auras, ajouta-t-il, quand même la même part que nous dans les bénéfices d’autos, mais, ajouta-t-il, tu te débrouilleras avec le fisc, puisque tu es patenté et que je ne le suis pas  ». Seznec étant descendu, la conversation continua.
 «  A un moment donné Seznec dit à M. Pouliquen et à M. Quémeneur  : «  Est-ce que vous n’avez pas trouvé dans les papiers de votre frère un papier me concernant  ?  » Ils répondirent négativement. «  C’est singulier, car j’ai emprunté 15.000 fr. à M. Quémeneur et vous auriez dû en trouver trace. — Mais ça ne fait rien, je reconnais devoir 15.000 fr. à M. Quéméneur.  »
 M. Pouliquen
, continue Mme Seznec, a déclaré au juge d’instruction qu’il avait été mis au courant du prêt de 15.000 fr. à Seznec. Il ne le savait pas avant d’être venu chez moi. MM. Pouliquen et Quémeneur sont repartis en auto pour Landerneau. Une fois arrivés ils ont téléphoné à Seznec pour lui demander de partir avec eux à Rennes demander des renseignements. Seznec a accepté immédiatement et a pris le premier train de l’après-midi pour se rendre à la police mobile. Est-ce là l’attitude d’un homme qui se cache  ? Seznec est revenu le lendemain. Les Pouliquen-Quémeneur sont-ils allés à Paris comme ils l’avaient annoncé, je ne le sais.  »
 Mme Seznec nous rapporte ensuite une déclaration que lui fit Quémeneur, le conseiller général disparu, d’après laquelle il aurait prêté une certaine somme dont elle se réserve de déclarer le montant à M. le Juge d’instruction.

___
1. Cette visite eut lieu de 10 juin 1923.

Dimanche 2 septembre 1923

1er septembre 1923 | 3 septembre 1923
PRESSE  : L'Ouest-Éclair

L'Ouest-Éclair, 2 septembre 1923, page 2.

UNE ÉTRANGE RÉVÉLATION
D'UN ANCIEN OUVRIER DE SEZNEC

Pourquoi Seznec avait-il garé son auto
auprès de la chaufferie en revenant de Dreux  ?

Comment expliquer que la chaudière qui n'avait
pas été allumée par les ouvriers était chaude  ?

 MORLAIX, 1er septembre. — (De notre envoyé spécial). — Ayant appris ce matin qu'un ancien ouvrier de Seznec serait disposé à des révélations, nous sommes allé l'écouter incontinent. Il s'agit de M. Paul Baron, qui était depuis un an affûteur de scies chez Seznec lorsque les événements obligèrent celui-ci à licencier son personnel. M. Baron nous fait l'exposé suivant  :
 Le lundi 28 mai au matin, en reprenant leur travail, quelques ouvriers et lui-même ont vu l'automobile de leur patron, qu'ils savaient en voyage depuis quelques jours, garée au bas du chantier de la chaufferie, à un endroit où on ne la plaçait jamais d'habitude. Peu après, Angèle Labigou, la domestique, vint donner aux ouvriers les instructions de Seznec. Ils devaient TOUS se rendre au bois de Pennelé, en Saint-Martin-des-Champs, pour y travailler à une coupe de bois. M. Baron lui répondit que son métier n'était pas de remuer du bois et qu'il n'irait pas. Il resta donc au chantier. Angèle lui dit alors que le patron était couché et qu'il ne le verrait sans doute pas. Il était rentré fatigué, n'ayant pas dormi depuis deux jours.
 Dans l'après-midi, Seznec s'étant levé, vint au chantier, se rendit immédiatement près de la voiture, la fit remonter sur le terre-plein et la mit au garage. Dans ce dernier local, M. Baron aida à installer un palan pour soulever l'automobile. Seznec, avec l'aide de son chauffeur, se mit à démonter toute la voiture, capote comprise et à la nettoyer.
 Deux ou trois jours après, il ne se souvient pas exactement, Seznec dit à M. Baron qu'il faudrait vider la chaudière de la chaufferie et, tandis que l'ouvrier terminait le travail qu'il avait en mains, Seznec se mit à faire lui-même la besogne en manches de chemise. M. Baron le vit emporter les cendres avec sa brouette. Ensuite Seznec vint lui dire qu'il fallait entrer dans la chaudière pour la nettoyer à fond et la vider complètement.
M. Baron, en y entrant, fut surpris de la trouver chaude, étant donné qu'elle n'avait pas été allumée depuis le départ de Seznec, une huitaine de jours auparavant. Il fut obligé d'ouvrir le volet d'aération pour ne pas étouffer.
 Rapprochons simplement ce récit des fumées qui auraient été vues peu après le retour de Seznec. M. Campion s'est entretenu avec M. le commissaire François au sujet de ce nouveau témoignage.

Mme Seznec est interrogée

 Mme Seznec fut informée ce matin que M. le Juge d'Instruction Campion désirait la questionner à nouveau dans la matinée même, avant le nouvel interrogatoire de son mari, prévu pour cet après-midi. Bien que légèrement souffrante, Mme Seznec se rendit aussitôt au Palais, vers 10 heures, accompagnée de sa fille cadette.
 Le magistrat instructeur lui demanda de nouvelles précisions au sujet des dollars pour les rapprocher des renseignements que lui avait fournis hier à ce sujet la domestique Angèle Labigou.
 Mme Seznec a confirmé les indications relatives à la boîte des dollars, mais celle-ci pesait au moins 5 kilos. Remarquons que s'il y avait bien une somme de 65.000 francs en dollars, au cours actuel, la boîte devait être d'environ 6  k.  500.
  Le magistrat instructeur a mis sous les yeux de Mme Seznec la longue lettre de son mari, saisie dans le coulisseau du sac à linge et M. Jézéquel, greffier, en a fait la lecture intégrale. M. Campion en a alors exposé toute la gravité à Mme Seznec, ajoutant  : «  Votre mari qui doit bien connaître votre caractère, a-t-il pu croire que vous vous seriez prêtée à de telles manœuvres  ?  »
 «  Jamais je n'y aurais consenti, a répliqué Mme Seznec, avec un accent de sincérité. Mon mari s'est trompé sur ce point parce que tous ces événements ont dû lui troubler l'esprit. Autrement, il n'aurait jamais eu une telle idée.  »
 M. le Juge d'Instruction lui a demandé si avant cette dernière lettre interceptée, elle n'en aurait pas reçu une ou plusieurs autres par ce même stratagème ou par tout autre moyen irrégulier  : elle a affirmé que non.
 Le parquet aurait-il laissé passer volontairement une correspondance frauduleuse reconnue anodine  ? Nous n'avons pas pu pénétrer ce secret.
 Enfin, le magistrat Instructeur a fait savoir à Mme Seznec qu'elle ne pourrait plus voir son mari qui est maintenant en cellule.
 Mme Seznec, que nous voyons à sa sortie du Palais, vers midi, est encore toute émue de cette dernière nouvelle  : «  Guillaume qui est d'une frêle constitution, nous dit-elle, pourrait bien ne pas résister à un pareil régime. Sans parler d'une fièvre typhoïde l'an dernier, il a eu une congestion pulmonaire voici quatre ans et son médecin déclara à ce moment qu il devait prendre de grands ménagements. Or, il couche maintenant sur une paillasse, sans draps, avec une couverture, et il est exposé à l'humidité et aux courants d'air.  »

Me Pouliquen et Mlle Quemeneur sont confrontés avec Seznec

 Les dépositions de Me Pouliquen et de Mlle Quemeneur reportées à cet après-midi n'ont présenté que peu d'intérêt, de même que les confrontations avec Seznec.
 Me Pouliquen, notaire à Pont-l'Abbé, beau-frère du disparu, et Mlle Quemeneur, sœur de celui-ci, expriment au juge d'instruction leur étonnement que leur parent, ait sollicité, sans les prévenir ni les mettre au courant un emprunt de 150.000 francs à la Banque Bretonne de Brest pour réaliser l'affaire d'automobiles américaines.
 Cependant, ce fait est certain puisqu'il est reconnu par M. Salaün, directeur de la Banque, qui n'accorda pas les fonds, n'ayant pas eu confiance en l'affaire. Me Pouliquen pense que son beau-frère songea à ce moment-là à lui demander les 60.000 francs. En arrivant à Rennes, par la train de midi, le 24 mai, M. Quemeneur aurait mis son projet à exécution en lui demandant la somme par télégramme, mais sans lui indiquer où il fallait l'envoyer. Sur ces entrefaites, Seznec serait arrivé à Rennes, en automobile, dans le courant de l'après-midi du même jour et aurait influencé M. Quemeneur qui téléphona alors à son beau-frère pour le prier d'adresser un chèque de 60.000  frs. au bureau de poste du boulevard Malesherbes.
 Seznec, confronté a maintenu ses déclarations antérieures et a soutenu qu'il n'avait nullement conseillé M. Quemeneur en quoi que ce soit et que ce dernier avait pris l'initiative de la demande d'envoi du chèque au bureau du poste du boulevard Malesherbes  ; et même, qu'il avait déjà téléphoné à son beau-frère à ce sujet lorsqu'il est arrivé à Rennes.
 Une foule très dense se pressait aux abords du Tribunal à la sortie du prisonnier qui était entre le maréchal-des-logis Leguen et le gendarme Calvez.
 Ce matin, avant de se rendre au Palais de Justice, Mme Seznec avait reçu la visite de Me Vérant, notaire et Me Belz, avoué liquidateur, au sujet de ses intérêts.
 Me Belz nous a déclaré que, dans le courant de ce mois, deux réunions des créanciers auront lieu à quelques jours d'intervalle. Il reste probable que la situation financière de Seznec se soldera par un actif appréciable.

Fausse alerte dans la région de Houdan

 PARIS, 1er septembre. — M. Vidal a été appelé inopinément à partir pour la région de Houdan, afin d'effectuer certaines vérifications à un endroit où la terre avait été fraîchement remuée et d'où se dégageait une odeur cadavérique. Les recherches n'ont donné aucun résultat  ; les émanations provenaient tout simplement de champignons.

Samedi 1er septembre 1923

11 juillet 1923 | 2 septembre 1923
PRESSE  : L'Ouest-Éclair

L'Ouest-Éclair, 1er septembre 1923, page 2.

APRÈS LA TENTATIVE D'ÉVASION DE SEZNEC

Monsieur Campion poursuit l'audition des témoins

 MORLAIX, 31 août. — (De notre envoyé spécial). — Me Le Hire, avocat de Seznec, avisé par télégramme de la tentative d'évasion de son client, est rentré à Morlaix dès hier soir et s'est aussitôt mis en rapport avec le Parquet. M. Campion, juge d'instruction et Me Le Hire se sont rendus ce matin à la prison de Creach-Joly. L'inculpé qui était abattu, s'est senti réconforté par la présence de son défenseur. Comme le magistrat instructeur le pressait de questions et le poussait dans la voie des aveux il a eu un sursaut d'énergie, en déclarant d'une voix forte  : «  Vous voulez me faire parler, mais je ne dirai rien, car je n'ai rien à dire.  »
 Seznec a seulement fourni des explications sur ses préparatifs de fuite. Comme nous l'avons dit, il aurait escaladé le mur de la prison du côté de la cour  ; il serait monté sur le mur en établissant un échafaudage avec des tables et des étagères, qui se trouvaient dans la salle de travail des détenus et serait descendu sur la rue, en se servant des draps de lit roulés en corde. Il n'a rien voulu dire de ses intentions une fois dehors. Peut-être n'était-il pas lui-même exactement fixé s'il n'avait pas en vue une besogne très précise à Traon-ar-Velin.
 L'inculpé qui, auparavant, se trouvait dans une chambre de prévenu, la plus confortable de l'établissement, est maintenant dans une cellule. Il n'a plus l'usage de ses vêtements, mais il a revêtu la bure et le pantalon de treillis sans bretelles comme tous les détenus, ce qui rend plus difficile toute tentative d'évasion.
 Me Le Hire lui a fait remarquer combien il avait aggravé son cas en commettant cette nouvelle maladresse. Il s'est exprimé de même auprès de Mme Sez[ne]c, qu'il est allé voir sans retard.
 Nous sommes allé dans la matinée recueillir les impressions de Mme Seznec. Connaissant le caractère de son mari, elle s'attendait, dit-elle, surtout depuis une quinzaine de jours, à une tentative d'évasion. Son mari, nerveux, impulsif, ne pouvant rester inactif, doit actuellement trépigner d'impatience. Il n'avait rien à cacher, ni à chercher à Traon-ar-Velin. S'il voulait s'échapper, ce devait être uniquement pour s'enfuir loin, très loin, avec l'automobile, afin de ne pas se laisser condamner injustement puisque une fatalité inexorable semble vouloir l'accabler.
 Telle est la substance des déclarations de Mme Seznec.

Le chauffeur et la domestique de Seznec à l'instruction

 Cet après-midi, le magistrat instructeur a entendu successivement le chauffeur de Seznec, Raymond Samson, âgé de 38 ans, et la domestique, Angèle Labigou. M. Campion s'attache toujours à la date du 20 juin, bien que la présence de Seznec au Havre soit presque aussi bien prouvée maintenant pour la journée du 20 juin que pour celle du 13 juin.
 M. Samson ne se souvient de rien pour le 20 juin, car son patron s'absentait souvent. Mais Angèle Labigou affirme que Seznec était à son domicile ce jour-là, du moins dans l'après-midi, car dans la matinée, M. Lesteven était venu le voir sans le trouver. Elle se souvient que son maître est rentré ce jour-là à midi pour le repas.
 M. le juge d'instruction a questionné le chauffeur sur sa tentative de communication avec Seznec lorsqu'il a tenu d'une manière bien insolite à accompagner le garçon livreur d'une maison de confections qui apportait un costume à Seznec. M. Samson confirme qu'il était chargé par Mme Seznec de demander des instructions à son mari au sujet des pistons neufs à commander pour le camion qui devait être mis promptement en état.
 Le garçon livreur de cette maison d'habillement a été également entendu accessoirement par M. Campion.
 Angèle Labigou affirme n'avoir pas lavé ni nettoyé de vêtements au retour de Seznec le 27 mai. Elles les a seulement brossés et n'a remarqué aucun[e] tache. Quant au pantalon de toile bleue qui avait été remarqué dans l'automobile parmi les accessoires au cours des premières perquisitions et qu'on trouva ensuite derrière un casier à lapins, elle déclare n'avoir pas eu l'intention de le dissimuler.

La boîte aux dollars

 Angèle Labigou a bien vu les dollars en octobre ou novembre et les a soupesés. Il y en avait bien plus d'un kilo, peut-être même deux kilos. Ils étaient dans une boîte en carton de couleur verte, de 40 à 45 centimètres de longueur, de 15 centimètres de largeur environ et de 10 centimètres de hauteur. La boîte n'était pas entièrement remplie  ; cette boîte n'aurait donc pas pu être mise dans la poche d'un pardessus comme il avait été raconté. Mais, il est possible que ce ne soit pas dans cette boîte qu'aient été placés les dollars lorsque Seznec partit en automobile pour Brest avec M. Quemeneur le 22 mai, en vue de l'établissement de l'acte de vente de la propriété de Traon-nez-en-Plourivo.
 Rappelons que d'après Seznec les dollars étaient ce jour-là dans une boîte en carton, de couleur imitant le cuir avec un petit fermoir en métal et une lanière en cuir et les dollars la remplissaient exactement. Elle devait donc être plus petite et de nature à entrer dans la poche d'un pardessus à supposer qu'elle ait existé, ainsi que son contenu. Angèle Labigou a entendu parler des dollars pour la dernière fois au début de mai lorsque Mme Seznec lui dit que son mari allait en employer quelques-uns à des achats à l'occasion de la première communion d'une de leurs filles, ainsi que nous l'avons relaté.
 Demain matin, M. Campion entendra à nouveau Me Pouliquen, notaire à Pont-Labbé, beau-frère du disparu et Mlle Quemeneur, sœur de celui-ci, et il les confrontera dans l'après-midi avec Seznec.

Samedi 30 juin 1923

29 juin 1923 | 1er juillet 1923
PRESSE  : Le Journal

ÉVÉNEMENTS

 Ayant reçu dans la nuit un télégramme de la Sûreté générale concernant les opérations à Dreux et à Houdan de la veille, le juge Binet émet dans la matinée un mandat d’arrêt contre Guillaume Seznec, l’inculpant d’assassinat et de faux, et demande à ce que les recherches sur Bror Oskar Scherdin se poursuivent. Il expédie le mandat d’arrêt à Paris et télégraphie au parquet de Dreux pour que le commissaire Vidal en soit informé. Il envoie également une commission rogatoire au procureur de la République de Morlaix pour qu’il perquisitionne le domicile de Seznec1.
 Vers 8 heures, M. Freund, juge de paix de Landerneau, se présente à la villa Ker-Abri pour demander des renseignements complémentaires à Jenny Quéméner, sur commission rogatoire du juge Binet2.
 Ayant passé la nuit à Dreux, Guillaume Seznec prend son petit déjeuner vers 8 heures dans un café, sous la surveillance de l’inspecteur Bonny. Puis il se lève, disant qu’il veut envoyer une carte postale à sa femme, mais Bonny lui demande d’attendre le commissaire Vidal. Seznec veut tout de même partir et Bonny, aidé par un collègue, le retient de force. Seznec proteste que, n’étant pas inculpé, il devrait être libre de ses mouvements. Il ne sera informé que dans la soirée du mandat d’arrêt lancé contre lui3.
 Pendant ce temps, le commissaire Vidal mène une rapide enquête à Dreux, interrogeant le garagiste Hodey en particulier4. Vers 11 heures, il retrouve Seznec au commissariat et l’interroge à nouveau dans le bureau du commissaire Baumelou5.
 Dans la matinée, un huissier de Brest reçoit un arrêt de saisie provenant de Rennes contre la scierie et le garage de Seznec à Morlaix et décide de procéder à cette saisie dans l’après-midi6.
 Vers 13 ou 14 heures, le commissaire Vidal, Guillaume Seznec et les inspecteurs Bonny, Tissier, Lacouloumère et Paillet déjeunent au restaurant Le Plat d’Étain à Houdan. Seznec ne mange que quelques fraises et un peu de crème7.
 Vers 14 heures 30, tandis que le juge Binet reste à Brest pour étudier le dossier, le procureur de la République et le commissaire François de Morlaix, le commissaire Cunat de Rennes, les inspecteurs Le Gall et Thomas et deux agents de police procèdent à la perquisition du domicile de Guillaume Seznec à Morlaix, en présence de Marie-Jeanne Seznec. La maison d’habitation et les ateliers sont fouillés. Des vêtements sont saisis  : un pantalon, un veston et un gilet en drap portant des traces de cambouis, un pantalon de toile bleue ayant été soigneusement lavé, un pardessus et un chapeau mou. On saisit également vingt-quatre balles de revolver (calibre 8 millimètres) et quatre balles de pistolet automatique (calibre 7,65 millimètres), ainsi qu’une automobile Ford portant la plaque d’une Sizaire-Naudin8.
 Dans la journée, des jounalistes du Matin et du Journal rencontrent Gerd Scherdin, qui affirme que son mari n’est pas en fuite et n’a rien à voir avec la disparition de Pierre Quéméner9.
 Vers 15 heures, les policiers et Seznec quittent Houdan en direction de Paris et s’arrêtent huit ou neuf kilomètres plus loin10 aux Quatre-Piliers, où Seznec pense qu’il a eu sa première panne après le dîner du 25 mai. L’inspecteur Lacouloumère découvre à cet endroit deux feuilles de papier tachées de cambouis, ainsi qu’un chiffon portant des traces semblables à des gouttes de sang, qu’il passe sous le nez de Seznec, sans obtenir de réaction de sa part11.
 Les voitures repartent, toujours en direction de Paris, puis s’arrêtent à nouveau trois kilomètres après La Queue-lez-Yvelines, au niveau du croisement avec un sentier, où Seznec, cette fois-ci formel, indique qu’il a eu sa seconde panne et a fait demi-tour le 26 mai au matin12.
 Le cortège revient ensuite à Houdan. Devant la gare de cette ville, Seznec dit que, le soir du 25 mai, la barrière était ouverte et que Pierre Quéméner est descendu là pour prendre le train. L’employé de chemin de fer Maurice Garnier le contredit alors, affirmant que la barrière était fermée, qu’une seule voiture est venue à la gare ce soir-là, qu’un homme ayant la même silhouette que Seznec en est descendu un instant pour demander la route de Paris et que la voiture est repartie par erreur à l’opposé, sur la route de Berchères, avant de revenir et de s’éloigner vers Paris13.
 Vers 17 heures, Fernand Stutzmann se présente à la Sûreté générale pour déclarer qu’il a été floué financièrement par Guillaume Seznec en 1913. Après sa déposition, il répète ses accusations aux journalistes présents devant le siège de la Sûreté générale14.
 Ayant quitté Houdan vers 17 heures 30, Guillaume Seznec arrive à Paris vers 18 heures 30 ou 19 heures sous escorte policière et se voit notifier son arrestation. On commence à établir sa fiche anthropométrique. Le commissaire Vidal, resté plus longtemps dans la région de Houdan, n’est de retour à son bureau de la rue des Saussaies que vers 20 heures15.
 Vers 19 heures, le commissaire Labouerie de Rennes rejoint les policiers et les magistrats au domicile de Seznec à Morlaix, et la perquisition se termine vers 20 heures 30. Marie-Jeanne Seznec parle ensuite aux journalistes, protestant de l’innocence de son mari16.

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1. Le Petit Journal et La Dépêche de Brest du 1er juillet 1923.
2. La Dépêche de Brest du 2 juillet 1923.
3. Le Journal et La Dépêche de Brest du 1er juillet 1923.
4. Le Petit Journal et Le Quotidien du 1er juillet 1923.
5. Le Quotidien du 1er juillet 1923.
6. Le Journal du 1er juillet 1923.
7. Le Journal et Le Quotidien du 1er juillet 1923.
8. Le Petit Journal du 1er juillet 1923, La Dépêche de Brest des 1er et 2 juillet 1923, et Bernez Rouz, pages 117, 118 et 185. Le calibre exact des balles de revolver était certainement de 0,32 pouce (7,94 millimètres). Leur association avec un revolver Hammerless dans La Dépêche de Brest du 2 juillet 1923 indique qu’il s’agissait probablement de cartouches américaines de type .32 S&W, aux douilles caractéristiques, courtes et larges, conçues pour le revolver Smith & Wesson Safety Hammerless, arme de défense facile à glisser dans une poche en raison de son chien interne et de son mécanisme de sûreté.
9. Le Matin et Le Journal du 1er juillet 1923.
10. Le Petit Journal et La Dépêche de Brest du 1er juillet 1923. Il s’agit certainement de l’endroit où la route de Millemont rejoint la route Dreux-Paris, lieu de la rencontre avec Pierre Dectot.
11. Le Journal du 1er juillet 1923.
12. Le Journal du 1er juillet 1923.
13. Le Journal et La Dépêche de Brest du 1er juillet 1923.
14. Le Petit Journal du 1er juillet 1923.
15. La Dépêche de Brest, Le Petit Journal et Le Quotidien du 1er juillet 1923.
16. La Dépêche de Brest et Le Petit Journal du 1er juillet 1923.

LA JUSTICE EST CONVAINCUE
QUE M. QUÉMENEUR A ÉTÉ ASSASSINÉ

Le Journal, 30 juin 1923, pages 1 et 3.

Elle a identifié le mystérieux Charly

[DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL]

 BREST, 29 juin. — Il n’est plus possible, maintenant, d’attribuer à une fugue la disparition de M. Quémeneur  ; la certitude d’un crime, aujourd’hui, est absolue  : le malheureux a été assassiné. Telles sont les graves paroles par lesquelles le juge d’instruction Binec1 a répondu à mes questions dès son retour de Landerneau, ce soir.
 Le parquet de Brest, en effet, s’était transporté ce matin à Landerneau pour perquisitionner à Ker-Abri, la demeure de M. Quémeneur. C’est précisément le résultat de cette perquisition et aussi, d’autre part, l’examen du dossier de l’affaire apporté de Paris par M. Maté2, inspecteur de la Sûreté générale, qui ont permis au juge Binec de conclure, sur des preuves qu’il juge certaines, à l’assassinat du conseiller général du Finistère.
 Le mystérieux Charly, jusqu’ici introuvable, est, paraît-il, lui-même identifié. Ce fait vous est peut-être déjà connu à Paris. Charly, qui se nomme en réalité Chardin3, est en fuite, mais on suit actuellement sa trace dans les pays Scandinaves.

 En outre, à côté de cet acteur principal, l’inspecteur aurait établi la complicité de plusieurs autres personnes. Depuis cet après-midi, notamment, une piste extrêmement intéressante est suivie, mais aucun nom ne peut encore être prononcé. Tout ce qu’il est permis de savoir, c’est qu’une des personnes suspectées habitait, tout récemment encore, Morlaix.
 La perquisition de Ker-Abri fut faite en présence de MM. Pouliguen et Quémeneur4, beau-frère et frère du disparu. Un désordre complet régnait dans la villa. S’il ne fut possible de retrouver ni comptabilité ni copie de lettres, du moins a-t-on saisi une volumineuse correspondance, et, pêle-mêle, de très nombreuses pièces relatives aux différentes affaires, dont s’occupait M. Quémeneur. Le coffre-fort, situé dans le bureau même de M. Quémeneur, ne contenait aucun argent et, bien entendu, aucune trace ne fut relevée des fameux 4,000 dollars-or que M. Sezenec affirme avoir versés à M. Quémeneur. La perquisition a eu, en outre, ce résultat excellent de permettre enfin au magistrat de confronter avec certitude la véritable écriture de M. Quémeneur d’une part avec les notes relevées sur le carnet trouvé dans la valise du Havre, d’autre part avec l’original du télégramme adressé de cette ville à Mlle Quémeneur5, et, enfin, avec le fameux acte sous-seing privé concernant la propriété de Taou-Nez, que M. Quémeneur aurait «  cédée  » à M. Sezenec, d’après les déclarations de ce dernier, en garantie d’un prêt de 4,000 dollars-or. Il est ressorti de cette confrontation d’écritures  :
 1° Que les notes du carnet sont d’une écriture nettement différente de celle de M. Quémeneur  ;
 2° Que la main qui traça ces notes est la même que celle qui écrivit l’original du télégramme adressé du Havre à Mlle Quémeneur  ;
 3° Que l’acte sous-seing privé est, lui aussi, un faux où il est aisé de reconnaître que la signature de M. Quémeneur est fort grossièrement imitée.
 Enfin, le juge d’instruction Binec, tout en gardant la réserve que doit observer un magistrat instructeur, a bien voulu néanmoins me déclarer qu’il avait relevé sur le carnet une phrase, composée exactement de trois mots, qui permet d’expliquer parfaitement toutes les obscurités qui entouraient jusqu’ici la disparition de M. Quémeneur6.
 «  Je ne puis vous en dire davantage, ajoute M. Binec, mais dans cette déclaration il est permis d’entrevoir enfin la solution de cette mystérieuse affaire et on peut affirmer, d’autre part, que les auteurs de l’assassinat de M. Quémeneur ou plus exactement, que celui qui écrivit ces trois mots sur le carnet signa littéralement sa propre dénonciation  !  »
 Demain, l’enquête, menée parallèlement par le parquet de Brest et par la brigade mobile de Rennes, continuera hors de Brest, et il me sera sans doute possible alors de vous nommer le troisième complice mystérieux qui, avec Charly-Chardin et Sezenec, se trouve intimement mêlé à la disparition tragique de M. Quémeneur.
 Enfin, le juge Binec a manifesté son intention de faire accompagner à Brest M. Sezenec, qu’il désire interroger lui-même. — HENRY BARBY.

L’ENQUÊTE JUDICIAIRE À DREUX
EMBARRASSE M. SEZENEC

 Si M. Sezenec a pu croire que ses longues explications satisferaient la justice et qu’il pourrait reprendre sans encombre pour Morlaix le chemin qu’il eut tant de difficultés à parcourir avec son ami Quémeneur, son illusion aura été de courte durée. En effet, dès hier matin, à 9 heures, M. Vidal le convoquait à son cabinet où, après avoir reçu de lui confirmation de certaines déclarations faites la veille, il le pria de le suivre... jusqu’à Dreux.
 C’est à Dreux, on s’en souvient, que M. Sezenec a prétendu s’être séparé de M. Quémeneur, en précisant même qu’il l’avait accompagné à la gare, après avoir tenté, mais en vain, de poursuivre en automobile le voyage sur Paris.
 Donc, à 10 heures, l’automobile de la Sûreté générale emportait vers les lieux si parfaitement décrits par M. Sezenec au cours de sa déposition, M. Sezenec lui-même, M. Vidal et deux inspecteurs. Ils filèrent directement sur Dreux, où ils arrivèrent deux heures après. Là M. Vidal pria M. Sezenec de lui indiquer le chemin de la gare, où il avait accompagné, avait-il dit, M. Quémeneur7.
 Quel ne fut pas son étonnement alors de voir M. Sezenec rester muet et embarrassé. M. Sezenec ignorait où se trouvait la gare de Dreux  ! De même pour l’hôtel où il déclarait avoir dîné en compagnie de M. Quémeneur, il a été incapable d’en indiquer l’adresse. M. Vidal n’insista pas.
 Mais alors, une question se pose. Où donc les deux voyageurs s’étaient-ils séparés, si ce n’était à Dreux  ?
 M. Sezenec avait dit, lors de sa première déclaration  : «  J’ai dû passer à Houdan, mais je ne m’en souviens pas.  » L’auto de la Sûreté générale roula sur Houdan. Ici, nouvel étonnement du magistrat enquêteur. Il retrouva la trace précise de MM. Sezenec et Quémeneur. Ils avaient dîné tous deux à Houdan, qui se trouve à vingt kilomètres de Dreux, à 9  h.  15 du soir. Et M. Sezenec prétendait ne pas s’en souvenir  !
 Est-ce dans cette localité que les deux hommes se sont quittés  ? Voilà ce qu’on peut difficilement affirmer. Aucun des trains se dirigeant8 sur Paris ne s’arrête à Houdan, et celui que pouvait prendre M. Quémeneur passe en gare de Dreux à 9  h.  45. Il faudrait donc admettre qu’en une demi-heure il aurait dîné et parcouru avec l’automobile de Sezenec — dont on se rappelle l’état défectueux — les vingt kilomètres qui séparent Houdan de Dreux. Une telle hypothèse se dément d’elle-même.
 Poursuivant ses vérifications, M. Vidal revint alors à Millemont, mais ici encore, impossible de retrouver les lieux où se produisit la panne dont a parlé M. Sézenec et qui l’obligea à passer la nuit dans sa voiture.
 Par contre, il est établi qu’il est arrivé en auto, mais seul cette fois, à la Queue-les-Yvelines, le samedi 26 mai, à 8 heures du matin. Il était très abattu  ; il remisa son auto dans la cour d’un hôtel et dormit sur la banquette de l’auto jusqu’à midi. À 2  heures, il repartait pour Morlaix.
 Le point obscur se place maintenant entre la station à Houdan et l’arrêt à la Queue-les-Yvelines. Qu’a fait M. Sezenec à ce moment  ? Qu’est devenu M. Quémeneur à cet endroit  ? Et placé en face de ces contradictions, quelle attitude va prendre M. Sezenec  ? Il est certain que tout cela est bien étrange et fait peser sur lui les plus graves présomptions.
 Un crime a-t-il été commis  ? La question se pose désormais plus que jamais. Sans doute sera-t-elle résolue aujourd’hui. Mais s’il y a eu guet-apens et crime et que M. Sezenec y soit mêlé, il faudra découvrir à celui-ci un complice  : la personne qui, le 26 mai au matin, s’est présentée à deux reprises au bureau de poste du boulevard Malesherbes, pour y toucher le chèque expédié de Pont-l’Abbé par M. Pouliguen  ; car il est actuellement démontré, nous l’avons dit plus haut, que ce jour-là, M. Sezenec se trouvait à la Queue-les-Yvelines. Est-ce, comme on le croit, le mystérieux Chardin dit «  Charly  »  ? C’est ce que l’enquête permettra d’établir avant peu.

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1. Ernest Binet.
2. Henri Mathey.
3. Bror Oskar Scherdin.
4. Jean Pouliquen et Louis Quéméner.
5. Jenny Quéméner.
6. Henry Barby indiquera dans Le Journal du 2 juillet 1923 que cette phrase ne comportait en fait que deux mots, «  Dépenses Quémeneur  », dont le deuxième était superflu, mais cette explication ne tient pas et je pense que le juge Binet faisait plutôt référence à l’indication de la prise de train à Dreux, l’erreur commise par Seznec dans son récit coïncidant avec cette inscription dans le carnet.
7. L’article en première page s’interrompt ici et reprend en troisième page, sous le titre «  Le mystère Quemeneur  » et le sous-titre «  La troublante enquête à Dreux  », que je n’ai pas reproduits.
8. Source  : «  ne se dirigeant  ».

Vendredi 29 juin 1923

28 juin 1923 | 30 juin 1923
DOCUMENT  : Perquisition de Ker-Abri
PRESSE  : La Dépêche de Brest

ÉVÉNEMENTS

 De bonne heure, Guillaume Seznec revient à la Sûreté générale, où il déjeune d’un bol de lait et de deux croissants1. Vers 9 heures, le commissaire Vidal le fait venir dans son bureau pour l’entendre à nouveau, puis lui demande de l’accompagner à Dreux2.
 Vers 9 heures, le juge d’instruction Binet et le procureur de la République Guilmard de Brest arrivent à Landerneau pour effectuer une perquisition de la villa Ker-Abri, assistés par le commissaire Cunat et l’inspecteur Le Gall de Rennes, l’inspecteur Lecerre de la Sûreté générale et le greffier d’instruction Kutschner. La perquisition se déroule en présence de Jean Pouliquen et Louis Quéméner3.
 Vers 10 heures 45, Vidal, Seznec et deux inspecteurs de la Sûreté générale partent pour Dreux en voiture, où ils arrivent vers midi. Seznec ne parvient pas à indiquer le chemin de la gare et ne retrouve pas le restaurant où il a dîné avec Pierre Quéméner4.
 Quittant Dreux, Vidal et ses inspecteurs emmènent Seznec dans la direction de Houdan et interrogent en route les hôteliers. Le propriétaire de l’hôtel-restaurant Le Plat d’Étain à Houdan reconnaît formellement Seznec comme l’un de ses clients. L’hôtelier situe l’arrivée des voyageurs vers 21 heures 30 et leur départ après 22 heures. Seznec admet alors que c’est en effet à Houdan qu’il a dîné le 25 mai et que c’est probablement à la gare de cette ville qu’il a déposé Pierre Quéméner5.
 Dans la soirée, Vidal, ses inspecteurs et Seznec retournent à Dreux, où ils dînent vers 22 heures 30. Rejoint par le juge d’instruction Girod, Vidal reprend l’interrogatoire de Seznec après le repas, vers 23 heures, dans le bureau du commissaire Baumelou de Dreux6. Cette audition ne se termine que vers 2 ou 3 heures du matin7. Tout le monde passe la nuit à Dreux  : Vidal et ses inspecteurs à l’hôtel de France, et Seznec au commissariat8 ou à l’hôtel9, sous surveillance.

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1. Le Petit Parisien du 30 juin 1923.
2. Le Journal du 30 juin 1923.
3. Procès-verbal de transport sur les lieux ci-dessous.
4. Le Petit Parisien et Le Journal du 30 juin 1923.
5. Le Matin du 30 juin 1923.
6. Le Matin et Le Petit Parisien du 30 juin 1923.
7. Le Petit Journal et La Dépêche de Brest du 1er juillet 1923.
8. Le Quotidien du 1er juillet 1923. L’hôtel de France, fermé en 2002, était situé 24, rue Saint-Martin.
9. La Dépêche de Brest du 1er juillet 1923.

PROCÈS-VERBAL DE TRANSPORT
par le juge Binet (perquisition de Ker-Abri)

L’an mil neuf cent vingt trois, le 29 juin, nous soussigné Ernest Binet, juge d’instruction à Brest, accompagné de M. Guilmard, Procureur de la République, et assisté de Me Kustchner1, greffier d’instruction, déclarons nous être transportés à la villa Kerabri, propriété de M. Quémeneur, sise à Landerneau, à l’effet de procéder à une perquisition tendant à rechercher toutes pièces, documents, pouvant servir à la manifestation de la vérité dans l’information ouverte à l’occasion de la disparition du sieur Quémeneur, survenue dans des conditions suspectes et de nature à faire supposer un attentat criminel.
 Arrivés à 9 heures du matin à la villa Kerabri, nous y avons été reçus par M. Pouliquen, notaire à Pont-l’Abbé, beau-frère de M. Quémeneur, et M. Quémeneur Louis, frère du disparu.
 Après leur avoir fait connaître le but et l’objet de notre visite, ces messieurs nous ont introduits dans le bureau de leur beau-frère et frère, sis au rez de chaussée de la villa Kerabri.
 Avant de procéder aux opérations qui déterminaient notre visite, nous avons remarqué, tant sur le bureau de M. Quémeneur que dans les casiers ou armoires diverses qui garnissaient le local, un désordre manifeste  : des papiers, documents divers, registres, agendas, étaient pêle-mêle répandus un peu partout.
 Avec l’assistance de M. Cunat, commissaire de police mobile à Rennes, M. Legall
2, inspecteur de police également à Rennes, et M. Leserre3, inspecteur de la Sûreté générale, attaché au service des Recherches Judiciaires, nous avons procédé à l’examen minutieux du bureau de M. Quémeneur, des tiroirs de sa table de travail, des casiers adhérant au mur de la pièce servant de cabinet de travail, ainsi que du coffre fort s’y trouvant.
 Nous remarquons tout d’abord l’absence de toute comptabilité régulière  : nous ne rencontrons ni livres de commerce, ni copies de lettres, seulement quelques agendas, relatifs à un négoce de vins ou de bois remontant à des années antérieures et dans lesquels on ne saurait rencontrer aucunes indications utiles à l’affaire en cours actuel.
 Toutefois, nous saisissons divers documents pouvant présenter un intérêt quelconque, que nous plaçons sous scellés numérotés 1, 2, 3, 4 et 5, après les avoir revêtus de notre cachet, et qui se réfèrent  : le n°  1 à des tractations de voitures automobiles  ; le n°  2 à des projets de vente de la propriété Traonez  ; le n°  3 à des correspondances diverses, types de signature Quéméneur, photographies et livret militaire du disparu  ; le n°  4 comptes de Quémeneur à la Société Bretonne, carnets de chèques divers  ; le n°  5 dossier de Jaegher.
 Il convient d’observer que dans les investigations auxquelles nous avons procédé il nous a été impossible de découvrir une trace quelconque de correspondance échangée entre Quemeneur, Seznec et l’Américain dit Schardy ou Charly.
 Après avoir minutieusement inventorié le bureau de M. Quemeneur, nous avons parcouru successivement les différentes pièces composant l’appartement du dit, notamment sa chambre à coucher et les armoires ou meubles la garnissant  : nous n’y avons rien découvert.
 Nous ajoutons que notamment, ni dans le coffre fort, ni dans les tiroirs des meubles, nous ne trouvons aucune somme d’argent, ni espèces, ni billets, ni dollars.
 Le coffre fort contient des reconnaissances de dettes, pour des sommes importantes, souscrites au profit de Quemeneur par différents membres de sa famille et pour plusieurs centaines de mille francs.
 En foi de quoi, nous avons signé le présent procès verbal de transport, avec MM. Guilmard, Procureur de la République, Kustchner, greffier, Cunat, commissaire de police mobile à Rennes, Legall, inspecteur de police mobile à Rennes, et Leserre, inspecteur au Contrôle général des recherches à Paris.

Landerneau, le 29 juin 19234

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1. Le juge Binet a inversé deux lettres du nom de son greffier, qui s’appelait en réalité Kutschner, comme le montrent sa signature et un article de L’Ouest-Éclair du 16 juillet 1925, page 5.
2. Pierre Le Gall.
3. Henri André Lecerre, graphie confirmée par sa signature et par des décrets publiés au Journal officiel de la République française.
4. J’ai reproduit ce texte à partir de photographies du procès-verbal manuscrit. J’ai respecté les graphies des noms propres, ainsi que l’absence de traits d’union à «  procès verbal  », «  rez de chaussée  » et «  coffre fort  », qui suit l’ancien usage, mais j’ai modifié la ponctuation erratique et la présentation de la liste des scellés. Il existe une ancienne copie dactylographiée de ce texte, qui est principalement fautive sur la transcription des noms du greffier («  Kusdetunen  ») et de l’inspecteur de la Sûreté générale («  Lesetre  »), et qui a rendu «  Charling  » là où je vois «  Charlie  » corrigé en «  Charly  ».

LA DISPARITION DE M. QUÉMÉNEUR

La Dépêche de Brest & de l’Ouest, 29 juin 1923, pages 1, 2 et 5.

Au conseil municipal de Saint-Sauveur — Une étrange attitude
Les prix exagérés de certains garages — Pour éviter
de payer des droits — M. Seznec longtemps interrogé à Paris

 M. Pierre Quéméneur, on le sait, était conseiller général de Sizun  ; mais il était aussi, et depuis bien plus longtemps encore, [c]onseiller municipal de Saint-Sauveur.
 Venu de Commana, où il participait à l’exploitation d’une ferme avec ses parents, il s’était établi marchand de vins vers 1906 en ce bourg, dont les électeurs le portaient à l’hôtel de ville en mai 1908.
 Depuis cette époque, toujours réélu, on comprend que M. Quéméneur était connu de tous à Saint-Sauveur et que sa disparition y ait causé une profonde émotion. Il devait d’ailleurs se fixer à nouveau en ce pays, où il n’avait connu que des jours heureux et de bons compagnons.
 À cet effet, il avait, en 1922, fait acquisition d’un terrain à l’entrée du bourg, dans l’intention d’y construire un important immeuble qui devait lui servir de résidence. Pourtant, au début de cette année, il en cédait la moitié, partie à Mlle Rolland, dont la maison s’édifie actuellement, partie à M. Picard, qui doit prochainement y faire construire la sienne.
 En dépit de ce morcellement, le conseiller général n’avait pas abandonné l’idée de venir habiter Saint-Sauveur. Il lui restait suffisamment de terrain pour y planter sa tente.
 Le 24 mai, nous l’avons dit, le conseil municipal de Saint-Sauveur se réunissait. Comme tous ses collègues, M. Quéméneur avait été convoqué.
 Dans la soirée du 21, comme il traversait le bourg en automobile, il fit1 la rencontre du secrétaire de mairie, auquel il dit  :
 —  Je ne manquerai certainement pas d’assister jeudi à la séance.
 Son intention ne peut être mise en doute car, on se le rappelle, le mercredi 23 mai, il s’était rendu dans la soirée chez M. Legrand, à Landerneau, et lui avait déclaré  :
 —  Je pars demain à 5 heures pour Saint-Sauveur pour assister à la séance du conseil municipal, qui doit avoir lieu à sept heures. Il est indispensable que j’y sois, car je dois traiter une question de chemins vicinaux. Mais, comme je dois prendre le train pour Rennes, je ne pourrai pas assister au banquet qui suit d’ordinaire ces réunions.
 «  Ce soir-là, ajoutait M. Legrand, M. Quéméneur m’a paru quelque peu anormal. Je trouvai tout d’abord étrange qu’il vint me voir à une heure aussi tardive, puisque la nuit tombait, et puis son attitude m’étonnait. En un mot, il me paraissait drôle.  »
 À Saint-Sauveur, le lendemain, on attendit vainement M. Quéméneur. On l’attendit précisément à cause de la question des chemins et aussi parce qu’il y avait une importante décision à prendre au sujet de la construction d’une nouvelle école. Et ce fut une surprise générale de ne point le voir à l’ouverture de la séance, retardée à son intention jusqu’à 9 heures environ.
 —  Vers 10 heures, nous dit M. J.  F. Abgrall, maire, on me remit une lettre de M. Quéméneur, datée du jour même à Landerneau, 24 mai, s’excusant de ne pouvoir venir à la séance «  car il était très fortement grippé depuis quelques jours.  »
 «  Aucune mention d’un voyage quelconque, mais quelques phrases ayant trait à la question des chemins vicinaux et ruraux. Il me priait d’en donner connaissance au conseil, ce qui fut fait immédiatement.
 «  Notre banquet ordinaire, ajoute M. Abgrall, n’eut pas lieu ce jour-là. En raison des travaux des champs, nous avions résolu de le reporter à un dimanche. La date choisie avait été le 27 mai. Comme tous, M. Quéméneur en avait été avisé et nous fûmes surpris de ne recevoir de lui aucune réponse.
 «  Dans tout cela, ce qui nous étonne le plus, c’est que le disparu ait cru devoir prétexter une indisposition pour ne pas assister à la séance, alors qu’il partait le matin même du jour où il datait sa lettre pour un voyage  !  »
 Chose étrange, au cours de notre enquête, nous croyons devoir le dire, plusieurs de nos interlocuteurs nous ont déclaré tout comme M. Legrand  : «  Depuis quelque temps, l’attitude de Pierre Quéméneur nous semblait drôle  !  »
 À quoi cela tenait-il  ? Vraisemblablement à l’enthousiasme qu’il éprouvait pour cette affaire d’automobiles et qui lui faisait dire à M. Seznec  :
 —  Sois confiant  ; bientôt, mon vieux, nous roulerons sur l’or  !

Pourquoi M. Seznec a cru devoir revenir de Dreux à Morlaix

 Tandis que, par toute la région, pour ne pas dire par tout le pays, bien que cette mystérieuse affaire ait accaparé l’attention générale, on émet inlassablement des hypothèses, on retrouve sur toutes les lèvres la même question  :
 —  Pourquoi M. Seznec, se trouvant à Dreux, c’est-à-dire à 80 kilomètres de Paris, a-t-il jugé plus pratique de rebrousser chemin pour regagner Morlaix, c’est-à-dire de faire à nouveau 480 kilomètres  ?
 À cela, nous avons déjà fourni sommairement la réponse de l’intéressé  ; mais nous croyons utile aujourd’hui de la donner complète. Nous l’avons reçue de nouveau hier de Mme Seznec et elle confirme pleinement ce que nous avait indiqué son mari dès le premier jour  :
 —  Mon mari n’a pas voulu poursuivre son chemin vers Paris après avoir quitté M. Quéméneur à Dreux, car, après la dernière panne qui l’immobilisa durant la nuit, à une dizaine de kilomètres de toute habitation, il ne pouvait songer à présenter la voiture à un acquéreur dans cet état  ; d’autant moins qu’elle était la première de celles que nous devions livrer.
 «  Certes, on pouvait la faire réparer à Paris, mais nous étions fixés depuis déjà longtemps sur les habitudes de certains garagistes parisiens. Nous l’étions d’autant mieux que nous avons dû, il n’y a pas très longtemps, laisser ainsi à Paris, durant un an environ, une limousine Westinghouse en parfait état. Lorsqu’on nous l’a rendue, la carrosserie ne se reconnaissait plus, tellement on s’en était servi.
 «  De plus, nous avons dû payer 2.400 francs de garage et 600 francs environ de transport. C’est pour éviter le renouvellement de semblable fait que mon mari a préféré rentrer à Morlaix, en dépit du mauvais état du véhicule.  »
 Et Mme Seznec nous présente la Cadillac qui fait aujourd’hui l’objet de tant de conversations. On répare en ce moment ses multiples avaries  : coussinets fondus, etc. Comme elle a roulé à plat depuis Le Ponthou jusqu’à Morlaix, la jante droite avant est complètement usée.
 —  Mon mari à son retour, ajoute notre interlocutrice, avait les mains dans un état lamentable, tant il avait dû faire d’efforts pour mener à bien les innombrables réparations entreprises en cours de route.

Une propriété payée en or

 La famille Quéméneur, dit un télégramme venu de Paris, élève des doutes au sujet de certaines inscriptions du carnet et surtout au sujet d’un acte sous seing privé en date du 22 mai, et signé Quéméneur et Seznec. Cet acte concerne la vente d’une propriété.
 Nous avons soumis ce télégramme à Mme Seznec, qui nous a exposé ce qui suit  :
 Je me plaignais depuis déjà longtemps d’habiter Morlaix à cause surtout des injustices qu’on faisait subir à mon mari. Comme je le faisais devant M. Quéméneur, qui fréquentait notre maison où il couchait lorsqu’il venait à Morlaix, il me dit un jour  :
 «  Pourquoi donc n’achetez-vous pas la propriété que je possède à Plourivo, dans les Côtes-du-Nord  ? Elle est très bien située et comporte environ 90 hectares de terrain.  »
 «  Je savais, par lui-même, que M. Quéméneur avait coupé une partie importante de cette propriété et qu’il en avait tiré pour 100.000 francs environ de poteaux de mines  ; aussi nous discutâmes du prix.
 «  Vers la fin d’avril, mon mari et moi nous accompagnions M. Quéméneur à sa propriété, qu’il tenait à nous faire visiter. Elle nous plut. Mais la somme qui nous était demandée nous paraissait trop forte.
 «  Depuis longtemps déjà, de son côté, notre ami eût bien voulu que nous lui cédions des dollars en or que j’avais amassés alors que je blanchissais à Brest le linge des hôpitaux et celui des Américains. J’avais ainsi mis en réserve 19 pièces de 20 dollars et 206 pièces de 10 dollars  ; mais je ne voulais m’en séparer à aucun prix.
 «  Pourtant, pour obtenir la propriété désirée, je me voyais contrainte de m’y résoudre.
 «  —  Quand vous aurez vu la propriété, me répétait M. Quéméneur, vous vous déciderez certainement à vous séparer de votre or.  »
 «  Il avait vu juste. En effet, après la visite faite à Plourivo, je me décidai. Le prix convenu devait être représenté par les dollars, plus une somme de 35.000 francs. Pourtant, afin d’éviter les frais d’enregistrement, on résolut de ne point mentionner les dollars dans l’acte de vente.
 «  Et voilà pourquoi le 22 mai mon mari, portant l’or dans une boîte de carton, se rendait à Brest où il passait marché avec M. Quéméneur. Celui-ci, après accord décidé dans un café, se rendit chez un ami du voisinage où il fit taper à la machine les deux formules  ; puis, à la main, il ajouta  : «  Lu et approuvé, fait en double le 22 mai 1923  », et tous deux signèrent.
 «  M. Quéméneur a-t-il emporté les dollars à Paris  ? Voilà ce qu’il serait important de savoir  !  »

L’interrogatoire de M. Seznec

 Paris. — L’enquête ouverte par le parquet de Brest pourrait bien recevoir une solution prochaine assez inattendue.
 M. Vidal, commissaire de police à la sûreté générale, a interrogé M. Seznec, le camarade de l’infortuné M. Quéméneur pendant son voyage de Landerneau à Dreux.
 Nous disons infortuné, car la sûreté générale a de plus en plus la conviction que le conseiller général du Finist[è]re a été assassiné. Quel serait l’assassin  ? Quel serait le mobile du crime  ? La sûreté générale nous le dira peut-être bientôt, dès que ses soupçons seront devenus certitude.
 Arrivé à sept heures du matin à la gare Montparnasse, M. Seznec fut accompagné à la sûreté générale, où M. Vidal commença un long interrogatoire.
 Interrompue par le déjeuner, l’audition du témoin fut reprise vers deux heures et se prolongea fort avant dans la journée  : les circonstances du voyage en auto, si malencontreusement interrompues, furent rappelées. Puis, le commissaire se livra à un examen minutieux des affaires traitées entre M. Quéméneur et Seznec.
 Cet examen porta notamment sur un acte sous seing privé comportant promesse de vente d’une propriété de 90 hectares appartenant à M. Quéméneur, appelée «  Taou-Nez  »2, dans les Côtes-du-Nord. Cet acte est dactylographié.
 Où fut rédigé cet acte  ? Quel fut le dactylographe  ? À ces questions, M. Seznec a répondu simplement  : «  C’est M. Quéméneur lui-même qui a fait taper cet acte à Brest.  »
 Aucune autre précision ne fut donnée. Ce contrat est signé par M. Quéméneur. Ainsi que l’exige la loi, la signature est précédée des mots Lu et approuvé, de la même écriture. On lit encore, écrit à la main  : «  Fait en double à Landerneau, le 22 mai 1923  ».
 Aucun témoin n’a assisté à la rédaction ni même à la signature de l’acte. Cette signature, d’après M. Seznec, fut donnée par M. Quéméneur, café des Voyageurs, à Brest.
 L’enquête faite par les soins des polices de Brest et de Paris a mis en lumière la mauvaise situation financière de M. Seznec. Il a eu à maintes reprises — il le reconnaît — recours à des emprunts et fut menacé plusieurs fois de saisie.
 Dans ces conditions, M. Vidal s’étonna que M. Seznec ait pu donner à M. Quéméneur 4.040 dollars-or, qui représentent une somme d’environ 65.000 francs. L’enquête n’est d’ailleurs pas terminée sur ce point.
 Notons que M. Seznec fut toujours entendu à titre de témoin.
 On sait que M. Pouliquen, notaire à Pont-l’Abbé, et Mlle Quéméneur, beau-frère et sœur du disparu, sont à Paris depuis quelques jours. Hier, ils avaient déjà émis des doutes sur l’authenticité des notes et inscriptions relevées sur le carnet de M. Quéméneur.
 Aujourd’hui, ils ont déclaré que l’écriture des mots manuscrits tracés au bas de l’acte de promesse de vente de la propriété de Taou-Nez n’était pas celle de M. Quéméneur. Ils ont affirmé leur doute malgré les dénégations de M. Seznec.
 On apprend du Havre que les vérifications se poursuivent.
 Dans cette ville, où la présence de M. Quéméneur aurait été signalée les 11, 12 et 13 juin, aucun indice probant n’a été trouvé.
 D’autre part, M. Vidal a reçu la visite de deux personnes, qui ont fait des déclarations au sujet de l’affaire Quéméneur, déclarations qui vont être vérifiées. Elles portent, croyons-nous, sur des points de détail qui n’ont qu’un rapport lointain avec la disparition du conseiller général.

Autour d’un télégramme

 Landerneau, 28. — Des doutes ont été émis au sujet de l’authenticité de la dépêche  : Ne rentrerai Landerneau que dans quelques jours. Tout va pour le mieux, et soi-disant signée  : Pierre, expédiée du Havre à la date du 13 juin à Quéméneur, négociant à Landerneau. Aujourd’hui, continuant nos recherches, nous apprenons que ce télégramme, qui avait fait cesser pendant quelques heures les recherches, n’était pas signé Pierre, mais bien du nom propre Quéméneur, et qu’à sa réception sa sœur, connaissant les démarches déjà entreprises par son frère Louis, marchand de bois à Paimpol, pour retrouver Pierre, fit immédiatement la remarque suivante à des personnes présentes  : «  Tiens, c’est drôle, des nouvelles de mon frère, mais la dépêche est signée Quéméneur, et je ne sais lequel de mes deux frères me l’expédie  !  »
 L’incertitude ne fut pas de longue durée, car, le soir même, Louis revenait à Landerneau.
 Voilà donc un nouveau fait qui a aussi son importance. Après le titre de négociant que nous avons relevé, hier, sur l’adresse, nous apprenons aujourd’hui que la dépêche est signée Quéméneur, alors que, logiquement, et pour calmer les inquiétudes des siens, qu’il n’avait jamais laissé si longtemps sans nouvelles, il devait, comme d’habitude, signer Pierre.
 Des inspecteurs de la sûreté de Paris et de la brigade mobile de Rennes sont à Landerneau depuis deux jours, et procèdent à des recherches. Ils interrogent ceux qui furent en relations avec M. Quéméneur, pour relever certains détails encore obscurs jusqu’à ce jour.

L’AFFAIRE QUÉMÉNEUR

L’Enquête au Havre

 Le Havre, 28. — Des inspecteurs de la sûreté, continuant leur enquête, ont appris que le dimanche 10 juin un voyageur, répondant au signalement de M. Quéméneur et vêtu d’un costume gris clair, a déjeuné dans un restaurant du boulevard Albert Ier. Il est revenu dans le même établissement le lendemain ou le surlendemain.
 Diverses autres recherches dans la région du Havre n’ont donné aucun résultat.

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1. Une ligne a été insérée par erreur après ce mot  : «  immeuble qui devait lui  ».
2. Traou-Nez.

Jeudi 28 juin 1923

27 juin 1923 | 29 juin 1923
PRESSE  : La Dépêche de Brest - La Croix - Le Journal - Autres articles

ÉVÉNEMENTS

 Vers 7 heures 15, Guillaume Seznec arrive à Paris, gare Montparnasse, par le rapide de Brest. Il porte sa mallette en osier. Suivi discrètement dès son arrivée par deux inspecteurs1, il se rend au café-restaurant À la Ville de Brest, 5 place de Rennes2, près de la gare. Il prend un café et plusieurs croissants, ainsi qu’un verre de vin blanc, et lit la presse avec intérêt. Au moment de payer, il dépose sa mallette à la caisse en disant qu’il repassera la chercher le soir même. Les inspecteurs, qui étaient assis à une table voisine, récupèrent la mallette après son départ3.
 Tôt dans la matinée, deux inspecteurs de la Sûreté générale se rendent à Millemont et interrogent les deux aubergistes et le garagiste du village, sans succès. Puis, à La Queue-lez-Yvelines, ils retrouvent la trace du passage de Seznec le 26 mai4.
 Vers 9 heures 30, Seznec arrive à la Sûreté générale, rue des Saussaies. Il est interrogé toute la journée par le commissaire Achille Vidal. Interrompue par le déjeuner, l’audition reprend vers 14 heures5. Elle est suivie d’une confrontation avec Jean Pouliquen et Jenny Quéméner6.
 Le commissaire Léon Labouérie et quelques inspecteurs de la police mobile de Rennes se rendent à Morlaix chez les Seznec. Audition de Marie-Jeanne, perquisition de la maison et du garage, et mise sous scellés de la Cadillac.
 Audition de Gabriel Saleun.
 Dans la journée, un journaliste du Petit Journal rencontre Jean Marc, père de Marie-Jeanne Seznec, qui donne de très mauvais renseignements sur son gendre7.
 L’audition de Guillaume Seznec dure jusqu’à 22 heures. Il renonce à dîner et passe la nuit dans un hôtel voisin de la rue des Saussaies, accompagné de deux inspecteurs8.

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1. Probablement Pierre Bonny et Alphonse Royère, qui secondent le commissaire Vidal dans son enquête. L’inspecteur Albert Tissier, 25 ans, est présent en arrière-plan sur la photographie de Guillaume Seznec prise ce matin-là devant la Sûreté générale, mais il a les mains vides et l’homme qui l'accompagne ne transporte pas la mallette de Seznec.
2. Aujourd’hui À la Duchesse Anne, 5 place du 18-juin-1940.
3. Le Petit Journal du 29 juin 1923 et Le Petit Parisien du 3 juillet 1923.
4. Le Petit Parisien du 30 juin 1923.
5. La Dépêche de Brest du 29 juin 1923.
6. Le Petit Journal du 29 juin 1923.
7. Le Journal et Le Petit Journal du 1er juillet 1923.
8. Le Petit Parisien et Le Petit Journal du 30 juin 1923.

LA DISPARITION DE M. QUÉMÉNEUR

La Dépêche de Brest & de l’Ouest, 28 juin 1923, pages 1, 2 et 5.

Le conseiller général de Sizun avait eu plusieurs entrevues
avec le mystérieux Charly — S’est-il jamais rendu au Havre  ?
Une véritable mise en scène

 Il est certain aujourd’hui que M. Quéméneur était entré en relations avec l’individu qui lui écrivait sous l’en-tête de la Chambre de commerce américaine de Paris et qu’on désignait sous le nom de Charly par l’intermédiaire d’une annonce répandue dans les journaux.
 Des recherches nous ont permis de retrouver une annonce parue fin novembre dernier et libellée comme suit  :
 «  Automobiles. Suis acheteur comptant toutes voitures et châssis Cadillac et camions U.S.A. provenant des stocks, dans n’importe quel état.  »
 Cela répond parfaitement, on le voit, aux besoins de l’affaire entreprise par M. Quéméneur, U.S.A. et Cadillac, telles étaient les marques qu’il réclamait.
 «  Quel que soit l’état des voitures, disait-il, pourvu qu’elles roulent, cela suffit.  »
 Et l’on recherche à présent l’auteur de cette annonce.
 Quant à Charly lui-même, M. Seznec nous disait, avant-hier, qu’il ne croyait pas que M. Quéméneur l’eût jamais vu  ; mais il ne pouvait rien affirmer à ce sujet.
 Nous avons rencontré, hier, un confident du disparu auquel celui-ci déclarait nettement  :
 — Celui qui me procure l’affaire, je l’ai vu plusieurs fois et puis lui accorder autant de confiance qu’à moi-même. Il m’a d’ailleurs communiqué des documents qui ne me permette d’avoir aucun doute. Ces documents étaient des pièces émanant d’un gouvernement et démontraient qu’il avait assez d’influence pour me permettre non seulement d’obtenir l’affaire, mais de la continuer en la renouvelant.
 «  Mais, ajoutait M. Quéméneur, je n’ai pas l’intention d’accaparer tous les marchés  ; lorsque je les aurais eu trois ou quatre fois, je les passerai à d’autres, car à ce moment le bénéfice obt[e]nu sera suffisant  ».
 Qu’est donc devenu ce Charly qui avait si bien capté la confiance du conseiller général de Sizun et dont on n’a pu découvrir la trace jusqu’à présent  ?
 On avait tout d’abord mis son existence en doute  ; mais il ne peut plus [en]1 être question aujourd’hui, quel que soit son nom, puisque M. Quéméneur déclarait l’avoir rencontré.

Les surprises de la graphologie

 M. Quéméneur était au Havre le 13 juin, nous dit-on, mais sur quoi repose cette affirmation  ? Sur le fait qu’un télégramme signé Pierre aurait été adressé à sa sœur, dans cette ville  ? Sur les inscriptions relevées dans le carnet qui lui permettait de tenir ses comptes au jour le jour  ?
 Qu’est-ce qui démontre tout d’abord que le disparu ait atteint Paris, sinon une simple ligne griffonnée sur ce carnet étroit dont l’encre est délavée et les caractères imprécis au point de n’être pas complètement déchiffrés  ?
 Il n’est pas, en effet, encore établi que M. Quéméneur ait rencontré qui que ce soit dans la capitale. Il est, par contre, certain qu’il n’est pas descendu à l’hôtel de Normandie où devait le retrouver M. Seznet2, comme lui intéressé à cette affaire qui déterminait leur déplacement commun.
 Toujours, se basant sur les inscriptions du carnet, on déclare encore que M. Quéméneur fit un voyage de Paris au Havre, un autre voyage dont on ne peut distinguer le terme, puis revint au Havre d’où il songea seulement le 13 juin à télégraphier à sa sœur. Il était donc à ce moment resté 19 jours sans donner de ses nouvelles.
 Or, il est établi que cela est absolument contraire à ses habitudes. Partout où il se trouvait — nous avons en cela fait appel au témoignage de tous ceux qui l’approchaient — il s’empressait, chaque fois qu’il était retenu à Landerneau même ou qu’il voyageait dans les environs, de téléphoner ou d’écrire à sa sœur. Dans toutes les maisons où il avait coutume de fréquenter, le fait fut maintes fois remarqué.
 Est-il admissible, par suite, qu’au cours de voyages aussi inattendus il soit resté de si longs jours sans adresser le moindre mot  ?
 M. Quéméneur était au Havre le 13 juin  ! Possible, mais ne doit-on pas se souvenir qu’hier encore on déclarait que le télégramme signé de son nom n’était pas écrit de sa main  ?
 L’erreur est donc admise en ce qui concerne l’examen d’une écriture qui a pu se développer normalement sur toute la largeur d’une feuille  ; mais ne serait-elle pas possible lorsqu’il s’agit de l’examen de l’écriture d’une note hâtivement portée sur l’étroitesse d’un carnet qui, de plus, a subi une immersion assez longue  ?
 N’est-il pas encore bien plus difficile, dans ces conditions, de donner à ces lettres une paternité certaine  ?
 Serait-il exagéré d’émettre l’hypothèse que l’écriture du télégramme, comme celle du carnet, fut truquée  ?
 N’est-on pas amené logiquement à le penser lorsque l’on se trouve en présence d’une véritable mise en scène comme celle de la valise  ?
 De cette valise qu’on retrouve — comme par hasard — dans la salle d’attente d’une gare, avec une serrure forcée, quelques taches de sang par ci par là, des papiers d’identité soigneusement collectionnés pour qu’on ne s’y trompe pas, et enfin ce carnet où rien n’est plus simple que d’ajouter quelques lignes en tenant compte de la forme des inscriptions précédentes.
 Ce carnet, fort aimablement rapporté, n’est-il pas là mis au point pour confirmer qu’à la date du 13 juin M. Quéméneur pouvait encore télégraphier à sa sœur  :
 «  Ne rentrerai Landerneau que dans quelques jours. Tout va pour le mieux. — Pierre.  »

DES FAUX DANS LA VALISE  (?)

 Paris, 26. — La famille Quéméneur a reconnu la valise trouvée au Havre, mais elle élève des doutes au sujet de certaines inscriptions du carnet et surtout au sujet d’un acte sous seing privé daté du 22 mai et signé Quéméneur et Seznec. Cet acte concerne la vente d’une propriété.
 La voiture Cadillac dans laquelle M. Seznec s’est rendu à Dreux va être saisie pour expertise.

M. Seznec part pour Paris

 M. Seznec, nous l’avons dit, a été entendu par les délégués de la police mobile  ; puis, dans la soirée, il était convoqué à Paris afin de fournir quelques précisions réclamées par M. Vidal, commissaire de la sûreté générale, section des recherches, chargé de l’enquête.
 L’industriel morlaisien prenait le train hier soir pour Paris.

Un avis de la Sûreté générale

 Paris, 27. — On nous prie d’insérer la note suivante  :
La personne qui a écrit, hier, à la sûreté générale, au sujet de l’affaire Quéméneur, est priée de vouloir bien se présenter à M. Vidal, commissaire de police, au contrôle des services de recherches judiciaires, 11, rue des Saussaies, à Paris, ou lui écrire pour fixer rendez-vous.
 La plus grande discrétion est assurée.

Un point à éclaircir

 Landerneau. — On sait que la famille de M. Quéméneur reçut, le 13 juin au soir, un télégramme ainsi conçu  : «  Tout va bien. Signé  : Pierre.  » et qu’à la suite de cet avis, Mlle G. Quéméneur3 adressait à son tour, à M. et Mme Seznec, courtiers à Morlaix, une carte postale avec ces mots  : «  Reçu hier, 13 au soir, un télégramme de Pierre. Tout va bien, soyez donc rassurés et croyez à mes meilleurs sentiments.  [»]
 Mais comme il existe à Landerneau, rue de la Fontaine-Blanche, une très importante maison de nouveautés et fabrique de parapluies, dirigée par M. Quéméner qu’à la suite de notre premier article concernant la disparition de M. Quéméneur, paru dans la Dépêche de dimanche dernier 24 courant, plusieurs personnes de la ville et aussi des fournisseurs de Paris, ont pensé qu’il s’agissait du propriétaire de la maison de la rue de la Fontaine-Blanche, car nous avions employé le mot «  négociant à Landerneau  » pour indiquer la qualité du disparu  ; nous pensons aujourd’hui que ce mot «  négociant  », qui a prêté à confusion, pourrait aussi servir à éclairer sérieusement un point troublant de cette affaire.
 Les télégrammes adressés Quéméner négociant à Landerneau, sont, d’après ce que nous avons appris, généralement déposés à la maison Quéméner, rue de la Fontaine-Blanche, et comme le disparu connaissait sûrement cette habitude de la poste, il prenait sans aucun doute toujours la précaution de porter comme adresse sur sa correspondance et sur ses télégrammes, les mots  : «  Quéméneur, à Ker-Abri, près Landerneau  », ou encore «  Quéméneur, marchand de bois à Landerneau  ».
 Cette remarque facile à vérifier a donc une importance très grande, si la dépêche du 13 juin a été vraiment libellée par M. Quéméneur, le mot négociant ne doit pas y figurer  ; écrite au contraire par une personne étrangère, on comprend facilement qu’on ait pu l’employer, et elle émanerait donc sans discussion possible d’une personne intéressée à rassurer pour quelques jours les inquiétudes de la famille du disparu. Comme Mlle Quéméneur doit toujours posséder le télégramme, nous apprendrons certainement avant peu si à la date du 13 M. Quéméneur, son frère, lui a bien, en personne, télégraphié de ses nouvelles.

L’enquête se poursuit dans la région de Dreux et au Havre

 Paris, 27. — L’enquête que mène la sûreté générale au sujet de la mystérieuse disparition de M. Quéméneur, se poursuit très activement. Les recherches se sont portées, au cours de la journée, en deux points  : au Havre et dans la région de Dreux.
 On sait que la valise du disparu a été trouvée à la gare du Havre. C’est là qu’on perd les traces du conseiller général  ; mais une première difficulté surgit quant à la dernière journée qu’il a passée dans le chef-lieu de la Seine-Inférieure. Est-ce le 13 ou le 14 [juin]4  ? Son carnet ne donne de renseignements que jusqu’au 13. C’est à cette dernière date que figure la mention de la dernière dépense, mais le télégramme rassurant reçu par la famille Quéméneur est du 145.
 On a émis tout d’abord des doutes sur l’authenticité de ce télégramme. Mais après examens minutieux, il semble bien qu’il a été écrit de la main de M. Quéméneur. La mauvaise qualité des plumes en usage dans les bureaux de poste avait seule motivé la suspicion première.
 M. Quéméneur était-il vivant au Havre le 13 ou le 14 au matin  ? Voici donc la première question que se posent les agents de la sûreté.
 Seconde énigme  : le carnet de dépenses du disparu, ainsi que nous l’avons annoncé, porte une inscription qui est restée indéchiffrable, et qui a trait à un voyage mystérieux qui s’ajouterait au trajet D[r]eux-Paris, Paris-Le Havre. Aucun Œdipe n’est encore parvenu à démêler le sens de cette phrase, qui commence par le mot  : Voyage.
 La famille de M. Quéméneur est arrivée à Paris pour reconnaître la valise, ainsi que les objets et papiers qu’elle renferme encore. Espérons qu’elle sera plus heureuse et qu’elle réussira à déchiffrer la phrase énigmatique.
 L’enquête, en ce qui concerne les événements qui ont eu la région de Dreux pour théâtre, présente également un vif intérêt. Rappelons que c’est à Dreux que M. Seznec, d’après ses déclarations, a vu pour la dernière fois son ami Quéméneur. Ils se rendent à Paris dans une automobile qui leur appartient à tous les deux. A Dreux, une panne les immobilise un instant. Ils repartent après réparation  ; mais sur la grand[’]route une seconde panne se produit. Les deux voyageurs reviennent à Dreux. M. Quéméneur, qui a un rendez-vous avec un mystérieux Américain, avenue du Maine, derrière la gare Mon[tp]arnasse, perd patience et prend le train. C’est le 25 mai.
 M. Seznec ne reverra plus M. Quéméneur. Le mécanicien de Dreux qui dépanna la voiture aux dires de M. Seznec a été recherché. Il donnera vraisemblablement des détails intéressants sur l’odyssée des deux automobilistes venus par la longue route vers un rendez-vous mystérieux auquel ne se présenta que l’un d’eux que l’on n’a plus revu.
 Pendant que M. Quéméneur partait ainsi sur le chemin dont il n’est pas revenu, M. Seznec essayait, a-t-il dit, de se rendre à Paris où M. Quéméneur lui avait dit, à tout hasard, qu’il le rencontrerait à la porte de Versailles le lendemain, sans plus de précision. Mais décidément la voiture à vendre n’était pas vendable, puisqu’elle eut une nouvelle panne à quelques kilomètres de Dreux. M. Seznec revint, de guerre lasse, vers Morlaix, qu’il n’atteignit finalement, après des arrêts provoqués par la mauvaise volonté de la voiture, que le 28.
 Les choses en sont là. M. Seznec, qui ne sera entendu que demain matin par la commissaire Vidal, de la sûreté générale, fournira peut-être quelque lumière supplémentaire sur l’extraordinaire randonnée de ces dernières journées de mai, au cours de laquelle il perdit un ami familier, qu’il tutoyait.

L’AFFAIRE QUÉMÉNEUR

M. Bollon ne connaissait pas M. Quéméneur

 Paris, 27. — M. Bollon, 33, avenue Sainte-Foy, à Neuilly-sur-Seine, nous a fait les déclarations suivantes  : «  Il est exact que j’ai donné une annonce à la Dépêche de Brest et de l’Ouest, ainsi qu’à un journal de Nantes, au sujet d’achat d’automobiles d’occasion. Mais je n’ai jamais été en relations d’affaires avec M. Quéméneur, dont j’ai lu dans les journaux la disparition. Je ne le connais pas.  »

___
1. Mot omis.
2. Sic.
3. Jenny Quéméner (l’initiale est erronée).
4. Source  : «  mai  ».
5. En réalité du 13.

LA DISPARITION DE M. QUÉMENEUR

La Croix, 28 juin 1923, page 5.

 L’affaire de la disparition du conseiller général Quémeneur reste toujours mystérieuse.
 Un point semble maintenant à peu près établi  : le télégramme expédié du Havre le 13 juin à Mlle Quémeneur, aurait bien été rédigé par son frère.
 Donc M. Quémeneur était alors encore vivant. Sa valise fut retrouvée le 20  : que s’est-il passé entre ces deux dates  ?
 Une autre question se pose  : alors que depuis quarante-huit heures tous les journaux consacrent de longs articles à la disparition de M. Quéméneur, pourquoi M. Sherdly, l’Américain avec lequel il était en affaires, ne s’est-il pas encore fait connaître  ?
 L’orthographe de ce nom ne serait peut-être pas très exacte, mais la consonnance permet de rectifier ce point de détail. Aussi la police recherche-t-elle le pseudo Sherdly dont le témoignage lui paraît fort intéressant.
 Par ailleurs, c’est en vain qu’on a jusqu’à ce jour cherché trace du passage à Paris de M. Pierre Quémeneur. Ce dernier n’a été vu, pas plus à l’hôtel où il avait donné rendez-vous à M. Sezenec, qu’avenue du Maine où il devait se rendre.
 Est-il bien venu Paris  ? On ne sait.
 D’autre part, à Morlaix, M. Sezenec, interrogé a déclaré  :
 «  L’affaire que nous devions traiter à Paris avec l’Américain nous semblait excellente et devait rapporter gros  ; il s’agissait de rechercher et d’acheter pour la Russie toutes les automobiles américaines demeurées en Bretagne après le départ de nos alliés. M. Quémeneur, homme politique, ne voulait pas paraître en nom dans l’affaire, c’est moi qui traitais, lui apportait les capitaux.
 Ajoutons que la Sûreté générale a prié M. Sezenec de venir d’urgence à Paris pour déposer au sujet de son voyage en auto de Rennes à Dreux avec M. Quémeneur.

LA MYSTÉRIEUSE DISPARITION DE M. QUÉMÉNEUR
DEVIENT DE PLUS EN PLUS TROUBLANTE

Le Journal, 28 juin 1923, page 3.

[DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL]

 BREST, 27 juin. — L’enquête que mènent parallèlement la Sûreté générale et le parquet de Brest sur la mystérieuse disparition de M. Quémeneur semble devoir aboutir à des résultats assez inattendus. Il serait imprudent de vouloir tirer déjà de certains faits une conclusion assez sensationnelle, mais l’affaire prend, on n’en peut douter, une tournure de plus en plus troublante.
 M. Binet, juge d’instruction, avait, comme nous l’avons dit, lancé à Paris, au Havre, à Dreux, à Rennes et à Morlaix diverses commissions rogatoires, dont les résultats ont commencé d’arriver ce soir. On a appris ainsi que Mlle Quémeneur, sœur du disparu, et M. Pouliguen, son beau-frère, avaient formellement reconnu comme ayant appartenu au conseiller général la valise et les objets trouvés en gare du Havre, mais ces deux personnes ont émis des doutes sur l’authenticité des notes et des inscriptions relevées sur le carnet que contenait également la valise. Ce détail n’est pas le seul à être d’une certaine gravité. En effet, une suspicion a été formulée quant à l’acte sous-seing privé, daté du 22 mai et trouvé en la possession de M. Sezenec, acte que MM. Quémeneur et Sezenec auraient passé entre eux au sujet de la vente d’une propriété. D’après M. Sezenec, cet acte représenterait la garantie que M. Quémeneur lui aurait remise en échange des 4,000 dollars or qu’il lui aurait donnés à Brest, avant leur départ pour Paris, comme on s’en souvient. Enfin, des instructions ont été données pour que soit saisie et mise en lieu sûr la fameuse automobile actuellement garée à Morlaix et dans laquelle MM. Quémeneur et Sezenec se rendirent à Dreux.
 On sait que, d’après les déclarations de M. Sezenec, M. Quémeneur, avant son départ pour Paris, était venu à Brest et s’était rendu à la Société Bretonne pour demander ouverture d’un crédit de 100.000 francs qui, paraît-il, lui étaient nécessaires pour conclure son affaire d’automobiles. M. Saleun a bien reçu, en effet, le 22 mai — date à laquelle l’acte sous-seing privé dont il est question plus haut, aurait été passé entre MM. Quémeneur et Sezenec — la visite du conseiller général.
 «  C’est le mardi matin que M. Quémeneur vint me trouver, m’a déclaré M. Saleun. Il voulait des fonds pour le jeudi 24 mai. Contrairement à ce que M. Sezenec affirme, nous ne les lui avons pas refusés. En effet, la demande d’ouverture de crédit de M. Quémeneur devait être soumise au conseil d’administration qui aurait décidé, le lendemain 23 mai  ; or le même 22 mai, à 1  h.  30 de l’après-midi, M. Quémeneur vint à nouveau me trouver à la banque pour m’informer qu’il n’avait plus besoin de ce crédit. Il me déclara qu’il avait téléphoné à un parent qui lui avancerait les fonds.  »
 Il s’agit là de M. Pouliguen, son beau-frère, qui expédia à Paris le chèque de 60.000 francs.
 «  Néanmoins, reprend M. Saleun, nous continuâmes notre conversation  ; le sujet en était la mirifique affaire d’autos. Je dois vous dire que M. Quémeneur, bon garçon au demeurant, était assez naïf en affaires, et plusieurs fois j’avais eu l’occasion de le tirer des griffes de certains aigrefins qui visaient sa bourse. En apprenant donc qu’il s’agissait de drainer les autos américaines de la région pour les revendre à Paris à un intermédiaire chargé de les acheter pour le compte des soviets, je tentai de détourner M. Qué[m]eneur1.
 Il s’agissait donc bien d’acheter un lot d’autos, réunies sans doute par ce Charly avant de les revendre par l’intermédiaire de cet individu aux soviets, avec le gros bénéfice que l’on avait fait miroiter à mon ami pour l’attirer dans le guet-apens avec la certitude qu’il aurait sur lui une importante somme d’argent. Pourtant, devant la confiance si complète de M. Quemeneur il me semble — contrairement encore à ce qu’affirme M. Sezenec — que mon ami devait être en relations suivies avec l’introuvable Charly. De plus sur une question de moi, j’appris qu’il avait découvert cette affaire par une annonce parue dans les journaux.  »
 J’ouvre ici une parenthèse pour dire que dans les journaux locaux où j’ai fait des recherches, j’ai découvert l’annonce suivante dans le numéro du 30 novembre 1922 de la Dépêche de Brest.
Automobiles. — Suis acheteur comptant toutes voitures et chassis Cadillac et camions U.S.A. provenant des stocks dans n’importe quel état. Ecrire détails Bollon, avenue Sainte-Foy, Neuilly, Seine.
 Cette annonce semblerait être celle qui attira l’attention de M. Quemeneur en raison de ce fait qu’elle demandait des autos quel que soit leur état.
 Enfin M. Saleun termina notre entretien en notant que la plus grande partie des déclarations de M. Sezenec, notamment celles qui concernent l’étrange voyage interrompu à Dreux et la remise des 4.000 dollars par lui paraissent extrêmement étranges  : M. Quemeneur ne lui parla jamais de cet argent. — HENRY BARBY.

L’enquête à Paris

 L’enquête que conduit M. le commissaire Vidal, de la Sûreté générale, s’est poursuivie toute la journée d’hier, à Paris. Aujourd’hui sera entendu, à titre de témoin, M. Sezenec, le négociant de Morlaix. Il sera confronté avec M. Pouliguen, beau-frère du disparu.
 D’autre part, la Sûreté générale fait savoir que la personne qui, avant-hier, écrivit il cette administration au sujet de l’affaire Quemeneur, est priée de vouloir bien se présenter à M. Vidal, commissaire de police au contrôle des services des recherches judiciaires, 11, rue des Saussaies, à Paris, ou de lui écrire pour fixer un rendez-vous  ; la plus grande discrétion sera observée.

Chez M. Bollon

 Nous avons pu voir, hier, M. Bollon, garagiste, domicilié 33, avenue Sainte-Foy, à Neuilly, qui fit paraître dans la Dépêche de Brest l’annonce dont il est question plus haut.
 «  Je n’ai jamais eu de relation, commerciale ou autre, nous dit-il, ni avec M. Quémeneur ni avec M. Sezenec. Les rares personnes touchées par mon avis, dans la région du Finistère, n’habitent d’ailleurs pas Landerneau et Morlaix.  »

Quel est ce noyé  ?

 LE HAVRE, 27 juin. — A 5 heures du matin, le 14 juin dernier, un pêcheur d’Octeville, près du Havre, découvrait le cadavre d’un baigneur. Aucune disparition n’ayant été signalée dans les environs, on l’inhuma au cimetière communal et l’affaire fut classée. Or, hier, en compulsant des dossiers, on constata que la découverte correspondait à un jour près à la disparition de M. Quémeneur et que le signalement du noyé était sensiblement le même que celui du disparu. On se demanda si le 13 juin, M. Quémeneur, se baignant au Havre, ne s’y serait pas noyé et si son corps n’aurait pas été transporté par le courant à Octeville, comme il arrive fréquemment. Toutefois — et c’est aussi l’avis de la Sûreté générale — on croit ne se trouver qu’en présente d’une coïncidence.

___
1. Source  : «  Quémemeneur  ».

AUTRES ARTICLES

La Croix (supra)
La Dépêche de Brest (supra)
Excelsior, page 3.
Le Figaro, page 2.
Le Gaulois, pages 2 et 3.
L’Homme Libre, page 2.
L’Humanité, page 2.
L’Intransigeant, page 3.
Le Journal (supra)
Journal des Débats, page 4.
La Lanterne, page 2.
Le Matin, pages 1 et 3.
L’Ouest-Éclair, pages 1 à 4.
Le Petit Journal, pages 1 et 3.
Le Petit Parisien, page 3.
Le Populaire, page 2.
La Presse, page 1.
Le Radical, page 2.
Le Rappel, page 2.
Le Temps, page 4.

Mercredi 27 juin 1923

26 juin 1923 | 28 juin 1923
DOCUMENTS  : Récit de Pouliquen - Audition de Pouliquen - Audition de Jenny Quéméner - Audition d’Achermann - Audition de Legrand
PRESSE  : La Dépêche de Brest - Le Matin - Autres articles

ÉVÉNEMENTS

 Auditions de Jean Pouliquen, Jenny Quéméner et Ernst Achermann par le commissaire Achille Vidal à Paris.
 Audition de Julien Legrand par le commissaire Jean-Baptiste Cunat à Landerneau.

RÉCIT DE JEAN POULIQUEN

Le mardi [26]1 juin, je reprenais avec ma belle-sœur2 la direction de Paris. M. Vidal nous avait appelé[s] pour reconnaître la valise et les objets de notre malheureux frère3. Ma belle-sœur reconnut sans hésitation la valise ainsi que les quelques menus linges qu’elle contenait  ; il y manquait cependant un complet neuf que mon beau-frère avait emporté. Dans la valise se trouvait également le portefeuille vide de mon beau-frère, un carnet de notes qu’il portait constamment sur lui et qui semblait avoir été trempé dans l’eau, une carte de Seznec recommandant à M. Ackermann de réserver bon accueil à son ami Quemeneur [et] enfin, couronnant toute cette mise en scène, un des originaux du soi-disant acte de vente de Plourivo. M. Vidal me le fit lire en me demandant si j’en avais déjà connaissance. Je lui fis savoir que c’était la première fois que j’en entendais parler, Seznec n’ayant jamais laissé entendre à aucun de nous que cet acte pût exister. Il ne l’avait pas encore non plus déclaré aux journalistes4. Je demeurais stupéfait et ma belle-sœur ne fut pas moins étonnée. Je comparais aussitôt la signature de cet acte à la signature de mon beau-frère que je possédais sur moi et j’en conclus immédiatement que l’acte avait été fabriqué de toutes pièces. Je demandais à M. Vidal de me montrer le télégramme du Havre  ; nul doute, les deux signatures étaient bien de la même main, mais cette main n’était point celle de mon beau-frère. D’ailleurs, comme je le fis remarquer à M. Vidal, mon beau-frère n’avait point de machine à écrire et ne savait pas s’en servir. Seznec n’en possédait pas non plus  ; par conséquent, une tierce personne avait dû taper l’acte. Cette personne ne tarderait pas à se faire connaître si réellement elle existait. D’ailleurs, en admettant que l’acte eût été de mon beau-frère, il l’aurait laissé chez lui dans son coffre-fort avec ses titres de propriété. Dès ce jour, j’osais accuser Seznec, que M. Vidal manda immédiatement à Paris. Ce dernier5 déclarait le même jour aux journalistes6 avoir versé à mon beau-frère le 22 mai à Brest une somme de quatre mille dollars or. Cette somme chez Seznec, poursuivi de tous côtés, ne pouvait s’expliquer.7

___
1. Source  : «  25  ». Il peut s’agir d’une erreur de Jean Pouliquen ou d’une faute de copie de Bernez Rouz. C’est le 26 juin qui était un mardi et les auditions de Jean Pouliquen et de Jenny Quéméner ont eu lieu le 27 juin. Ces derniers ont donc très probablement pris le train le 26 juin au soir de Landerneau pour arriver à Paris le lendemain matin.
2. Jenny Quéméner.
3. Pierre Quéméner, frère de Jenny Quéméner et beau-frère de Jean Pouliquen.
4. Dans les articles parus le 27 juin, Guillaume Seznec justifie ainsi le versement de ses dollars à Pierre Quéméner  : «  pour liquider un compte  » (La Dépêche de Brest) et «  sous certaines garanties  » (Le Matin).
5. Non pas ce dernier, qui serait Achille Vidal, mais Guillaume Seznec.
6. Imprécision de Jean Pouliquen, car si ces déclarations sont parues ce 27 juin dans la presse, c’est qu’elles ont été faites la veille aux journalistes.
7. Bernez Rouz, pages 109 et 110.

AUDITION DE JEAN POULIQUEN
par le commissaire Vidal (extraits)

 [Concernant la soirée du 21 mai 1923 à Landerneau  :]
Mon beau-frère ne m’a nullement fait allusion à son projet de vente de propriété... Il n’aurait pas traité une semblable affaire sans me consulter. Mon beau-frère ne m’a exprimé aucun besoin d’argent. Je m’étonne donc que le lendemain, il m’ait adressé une pareille demande. C’est donc à Brest que la proposition lui a été faite.1

___
1. Bernez Rouz, page 74.

AUDITION DE JENNY QUÉMÉNER
par le commissaire Vidal (extraits)

 [Concernant la préparation de la valise de Pierre Quéméner pour son départ de Landerneau le 24 mai 1923 au matin  :]
Je lui avais mis un complet veston neuf en laine et de couleur gris foncé uni.1

 [Concernant sa visite à Seznec le 8 juin 1923 à Morlaix  :]
Il me fit remarquer que je n’avais pas à m’inquiéter, ajoutant que mon frère gagnait de l’argent à Paris et que peut-être était-il parti en Amérique.2

___
1. Bernez Rouz, page 109.
2. Bernez Rouz, page 100.

AUDITION D’ERNST ACHERMANN
par le commissaire Vidal

 Monsieur Ackerman Ernest1, sujet américain, 43 ans, menuisier en voitures à l’usine Renault, demeurant, 16 rue de l’Asile Popincourt à Paris.

J’ai connu Monsieur Seznec alors que j’étais soldat à Brest et détaché dans un camp américain en 1919. À cette époque, Monsieur Seznec s’est rendu acquéreur de plusieurs voitures.
 Courant mars 1920 je suis venu m’installer à Paris où j’ai d’abord habité 52 rue Richard Lenoir.
 Le 10 avril de la même année, je suis entré au service des Américains pour le «  Service des Tombes
2  ».
 Fin décembre 1922, après avoir terminé mon engagement avec les Américains, j’ai été admis à la maison Renault (automobiles) où je me trouve encore actuellement.
 Je ne suis allé qu’une seule fois à Morlaix voir Monsieur Seznec. J’étais encore à ce moment-là soldat à Brest.
 Monsieur Seznec m’a rendu une seule visite à Paris. C’était en août ou septembre de l’année dernière. Je lui avais écrit pour lui annoncer qu’il y avait quelques occasions intéressantes en voitures automobiles, au camp américain de St Ouen à Paris. Monsieur Seznec est arrivé trop tard et l’affaire n’a pu se conclure.
 Je n’ai plus revu Monsieur Seznec depuis ce moment-là.
 Dans le courant du mois dernier, je lui ai écrit pour lui proposer une affaire de courses. Il s’agissait d’une méthode pour gagner aux courses. Monsieur Seznec ne m’a pas répondu.
 Le 9 courant, j’ai reçu un télégramme avec réponse payée de Monsieur Seznec ainsi conçu  : Avez-vous eu visite d’un nommé Quémeneur — Signé Seznec.

 Le témoin nous remet ce télégramme que nous annexons au présent après l’avoir paraphé ne varietur.
Le même jour j’ai répondu à Monsieur Seznec pour lui dire que je n’avais vu personne.
 Représentons au témoin le télégramme à nous remis par Monsieur Pouliken, notaire à Pont-l’Abbé.
 Ce télégramme est ainsi conçu  : Je n’ai vu personne — Signé — Ackerman.
 Après examen, le témoin nous déclare  : C’est bien le télégramme que j’ai adressé à Monsieur Seznec.
 D — Connaissez-vous Monsieur Quémeneur  ?
 R — Non. J’ai même été surpris du télégramme de M. Seznec qui me parlait d’un nommé Quémeneur.
 D — Connaissez-vous un nommé Scherdin  ?
 R — Non.
 Représentons au témoin les photographies de Monsieur Quémeneur Pierre, le disparu, et du nommé Scherdin Bror Oscar3.
 Le témoin déclare  : Je ne connais pas les personnes que représentent ces photographies. Je ne les ai jamais vues.
 D — Avez-vous effectué un voyage ce mois-ci ou le mois dernier  [?]
 R — J’ai fait un voyage à Coblence au mois d’avril dernier vers le 17 ou 18. Je ne suis resté absent que trois jours. Depuis ce moment-là, je ne me suis plus déplacé même pour vingt-quatre heures, et j’ai travaillé régulièrement tous les jours à la maison Renault.
 S.I.4 — Je ne connais pas la rue Lafontaine à Auteuil5, et j’affirme n’y être jamais allé ni de jour ni de nuit.
 Lecture faite, persiste et signe.
Ernest C. Ackerman
 Le Commissaire de police mobile Vidal

___
1. Ernst Conrad Achermann, né le 12 août 1877 à Zurich (voir mon billet du 10 avril 2018).
2. Graves Registration Service. Selon Wikipédia, il «  a été créé quelques mois après l’entrée en guerre des États-Unis dans la Première Guerre mondiale  » et il était «  chargé de la récupération, de l’identification, du transport et de l’inhumation des militaires morts américains  ».
3. Bror Oskar Scherdin.
4. Abréviations  : D (demande), R (réponse), S.I. (sur interpellation).
5. Scherdin était domicilié au 26 bis, rue La Fontaine, dans le seizième arrondissement de Paris.

AUDITION DE JULIEN LEGRAND
par le commissaire Cunat (extraits)

Quelques jours avant la Toussaint 1922, M. Seznec est venu me trouver pour me demander un prêt de 15.000 francs pour régler un procès qu’il avait perdu contre M. de Lescoët. Pour garantie de cette avance, M. Seznec m’a offert une voiture Cadillac, et si ce n’était pas suffisant, un camion auto en plus. Je lui ai répondu que je ne pouvais pas lui donner satisfaction, mais je lui ai conseillé de s’adresser à M. Quéméneur.1

Dans le courant de l’hiver dernier sans pouvoir préciser la date, j’ai lu une annonce2 dans un journal (La Dépêche de Brest, je crois) par laquelle un monsieur était acheteur de voitures américaines ou camions quel qu’en soit l’état. Or M. Quéméneur m’avait fait part vers la même époque qu’il ne voulait pas garder la voiture Cadillac en question parce qu’elle dépensait trop d’essence et qu’en outre, il possédait une Panhard. En lui communiquant l’annonce je lui ai dit  : puisque vous voulez vous défaire de votre voiture, voici une occasion qui se présente. Les choses en sont restées là.3

J’ai été obligé de faire assigner Seznec au tribunal de commerce de Morlaix, en paiement d’une somme de 2.000 francs qu’il me devait. À la suite de cela, Mme Seznec est venue me trouver pour m’apitoyer sur la situation en me disant  : «  M. Le Grand, si vous voulez, nous possédons des aciers, si vous voulez les accepter, vous vous paierez dessus.  »4

 [Le 22 mai au matin, Seznec rend visite à Legrand pour une signature  :]
M. Quéméneur l’attendait devant chez moi avec son auto pour aller à Brest.5

Le 23 mai au soir, je crois, M. Quéméneur est venu chez moi vers les 8  h.  30 ou 8  h.  45. Il m’a mis au courant de son voyage à Paris en me disant ceci  : J’ai fait une affaire avec Seznec, je pars demain livrer ma Cadillac avec lui6 à Paris où je resterai quelque temps, car nous avons fait une affaire ensemble pour achat7 de camions ou voitures américaines. Comme Seznec ne veut pas faire d’écritures, c’est moi-même qui tiendrai la comptabilité et ferai la réception des voitures.
 Je lui ai dit  : Alors Seznec fera les achats dans la région  ?
 Il m’a répondu  : Il fera les achats dans la France entière
8.
 J’ai continué  : Votre affaire me semble assez drôle, qu’on vienne chercher à Landerneau et
9 à Morlaix deux marchands de bois pour faire des achats de camion10. Mais il n’y a donc plus de connaisseurs à Paris  ? Mais si vous achetez par toute la France, il vous faudra énormément de capitaux.
 Il m’a répondu  : Je possède actuellement de l’argent liquide, de 80 à 100.000 francs, et Seznec de 40 à 50.000 francs.
 Comme Seznec m’avait appris jadis qu’il possédait des dollars-or, j’ai objecté à M. Quéméneur  : Seznec a donc vendu ses dollars  ? Seznec m’avait dit qu’il possédait 3.200 dollars depuis qu’il avait fait du blanchissement pour les Américains au cours de la guerre.
 Continuant la conversation, M. Quéméneur m’a encore dit  : Je pars demain à 5 heures du matin pour assister au conseil municipal de Saint-Sauveur, qui a lieu à 7 heures, j’ai quelques explications à donner au sujet des chemins, puis je partirai vers 8 heures car je dois être à Rennes pour déjeuner. Je repartirai avec Seznec pour Paris pour livrer ma Cadillac, qui est vendue.
 M. Quéméneur m’a dit encore que Seznec avait vendu ses dollars, mais il ne m’a pas dit à qui.
11

J’ai appris la disparition de M. Quéméneur le vendredi 15 juin courant par M. Gestin, garagiste, qui m’a fait la réflexion que c’était assez bizarre d’être parti à deux et de n’être revenu qu’un seul. M. Gestin a eu une conversation téléphonique avec Seznec, hors ma présence, il m’a dit que Seznec avait eu des réticences pour dire où était M. Quéméneur et que le matin même il12 avait reçu une lettre de sa sœur13 lui disant que Pierre était bien.14

___
1. Bernez Rouz, page 66. Le procès perdu par Seznec le 30 septembre 1922 contre le marquis de Lescoët portait sur la somme de 23.000 francs.
2. Source  : «  j’ai lu dans une annonce  ».
3. Bernez Rouz, page 59.
4. Cette déclaration de Julien Legrand fournie par Bernez Rouz, page 66, semble provenir du même procès-verbal d’audition.
5. Bernez Rouz, page 75.
6. Les mots «  avec lui  » sont absents chez Denis Seznec.
7. Denis Seznec  : «  l’achat  ».
8. Source  : «  dans toute la France entière  » (expression redondante).
9. Denis Seznec  : «  ou  ».
10. Denis Seznec  : «  camions  ».
11. Denis Seznec 2009, page 96. Une partie de ce passage est donnée par Bernez Rouz, page 81. Pour chaque variante, j’ai suivi Bernez Rouz et indiqué en note la version de Denis Seznec. J’ai retiré les tirets cadratins, placés différemment chez ces deux auteurs et fautifs dans les deux cas, bien qu’ils soient certainement présents dans le document original.
12. Guillaume Seznec.
13. Jenny Quéméner, la sœur de Pierre Quéméner.
14. Bernez Rouz, page 92.

LA DISPARITION DE M. QUÉMÉNEUR

La Dépêche de Brest & de l’Ouest, 27 juin 1923, pages 1 et 5.

Comment avait-il connu l’introuvable américain  ?
Les automobiles américaines étaient destinées au gouvernement des soviets
M. Seznec convoqué à la sûreté générale

 Les faits que nous avons énoncés dans nos précédents articles nous ont permis d’établir entre autres choses les raisons qui attiraient M. Quéméneur à Paris et, vraisemblablement, de déterminer les causes de sa disparition.
 Cela n’avait pas toute la simplicité que l’on pourrait croire, étant donné que la famille se refusait obstinément à faire la moindre communication sur cette affaire qui émeut si profondément les nombreux amis du disparu et provoque chez tous un douloureux intérêt. D’autre part, M. Quéméneur, lui-même, n’avait guère parlé de façon bien précise de ce projet d’achat et de revente d’automobiles qu’il devait mettre à exécution.
 Il paraissait à tous ceux qui le fréquentaient qu’il avait en cette affaire une confiance illimitée et qu’il craignait qu’on ne la lui enlevât.
 C’est pourquoi, d’ailleurs, on remarquait qu’à ce propos ses conversations étaient pleines de réticences.
 Mais comment était-il entré en relations avec le fameux Sherdly qui, d’ailleurs, aux derniers renseignements, disait se nommer Charly et donnait pour adresse le 6 du boulevard Malesherbes — où, par parenthèse1, la police l’a vainement demandé  ?
 A l’un de ses amis qui lui posait cette question devenue particulièrement importante depuis que l’on soupçonne le rôle tragique joué par l’Américain, M. Quéméneur confiait  :
 — J’ai connu cette affaire par une annonce de journal dont la lecture m’avait fait une impression heureuse. J’avais senti à ce moment que l’affaire devait être bonne et je ne me suis point trompé.
 Pour le démontrer, le conseiller général de Sizun exposait qu’il s’agissait d’acheter des voitures américaines dans toute la France, de les réunir à Paris et de les livrer, par petit nombre, dans un garage dont il ne faisait pas connaître l’adresse.
 Là, dès la livraison, on lui versait les sommes convenues, qui ne devaient pas être inférieures au triple de la mise de fonds. C’est ainsi que pour un achat de 100.000 francs d’automobiles, il se croyait assuré d’un bénéfice de 200.000 francs.
 Mieux  : il n’était nullement nécessaire que ces voitures fussent en parfait état. «  Pourvu qu’elles roulent, disait-il, elles seront acceptées  ».
 Comme on lui objectait qu’une affaire pareille ne paraissait pas sérieuse, il se récriait, déclarant que les automobiles étaient destinées à être livrées au gouvernement russe, et qu’il en fallait, par suite, un grand nombre.
 Il ne faisait pas connaître ceux avec qui il traitait, mais, afin de convaincre son ami, il lui proposait de l’emmener à Paris pour le faire assister à la première livraison.
 Les sages conseils qui lui furent donnés ne purent avoir raison de son enthousiasme.
 Car c’est avec un réel enthousiasme, en effet, qu’il s’était lancé dans cette affaire  ; par quelques précisions nouvelles, M. Seznec nous le rappelait hier encore.
 Il avait tout d’abord reçu directement de Charly une première lettre, puis il avait fait remarquer à M. Seznec que l’enveloppe portait sur l’un de ses angles l’indication  : «  Chambre de commerce américaine de Paris  ». Cela avait été imprimé à l’encre bleue à l’aide d’un cachet de caoutchouc.
 — Quand tu recevras, recommandait-il, des lettres portant cette indication, tu me les remettras, car ce courrier-là me sera adressé chez toi.
 Et par deux fois, M. Quéméneur vint à Morlaix recevoir des lettres du même genre.
 — Les livraisons que nous devions faire, poursuit M. Seznec, comportaient des camions U.S.A. et des Cadillac. Il était entendu qu’un cautionnement de 10.000 francs devait être versé au moment de passer le marché. A cet effet, M. Quéméneur devait être présenté par Charly à l’un des personnages importants de l’affaire.
 «  Le marché dont il s’agissait comprenait cent véhicules, dont les dix premiers devaient être livrés le 2 juin. C’est pourquoi M. Quéméneur s’était empressé d’écrire à de nombreux garagistes de Nantes et de bien d’autres villes pour demander des voitures américaines.
 «  Le 22 mai, je m’étais rendu avec lui à Brest, pour, de là, gagner Lesneven, où nous devions acheter une Cadillac. Après avoir essayé la voiture, nous avons prié le vendeur de nous la réserver avant tout autre.
 «  Ce jour-là, j’ai remis à M. Quéméneur, pour liquider un compte, 4.000 dollars en or  ; je crains qu’il ne les ait emportés à Paris.
 «  Il avait tellement confiance qu’il voulait adresser immédiatement par courrier le cautionnement de 10.000 francs. Je parvins à l’en empêcher, comme je réussis aussi à le convaincre qu’il était imprudent d’aller chez son beau-frère, à Pont-l’Abbé, prendre les fonds nécessaires à la première opération. Il consentit donc, sur mes instances, à se les faire adresser à Paris, en un chèque.  »
 M. Seznec ne sait pas comment le disparu est entré en relations avec Charly. Il croit que jamais il ne l’avait vu avant ce voyage, qui se termina de si mystérieuse façon.

Quelle fut cette conversation téléphonique  ?

 Donc, quant à présent, la personnalité de ce Charly demeure impénétrable. Mais sait-on seulement si M. Quéméneur l’a rencontré et en quel lieu  ?
 Lorsque le conseiller général avait quitté M. Seznec devant la gare de Dreux, où il espérait avoir un train, il lui avait dit  :
 — Efforce-toi de gagner Paris si la chose est possible. Tu me trouveras à l’hôtel de Normandie, près de la gare Saint-Lazare, où je vais descendre.
 Or, en cet hôtel on n’a pas reçu le conseiller général. Le fait a été vérifié par M. Seznec lui-même, qu’une affaire appelait à Paris dans le courant de ce mois.
 D’autre part, on se demande comment, le 26 mai, une personne inconnue a pu se présenter au bureau de poste du boulevard Malesherbes pour demander au guichet de la poste restante si un pli chargé n’était pas arrivé à l’adresse de M. Quéméneur. En effet, qui donc avait connu à Paris l’envoi du chèque et par quel moyen  ?
 M. Seznec nous déclare qu’il croit que le 24 mai, alors qu’il l’attendait à Rennes, M. Quéméneur avait téléphoné à Charly. Il le croit, car tandis qu’ils reprenaient la route, son compagnon lui fournit sur l’affaire des renseignements nouveaux, des précisions qu’il n’avait pu jusqu’alors apporter.
 Cette conversation téléphonique succédant à la demande d’envoi du chèque aurait-elle été fatale à M. Quéméneur  ?
 C’est ce qu’il importe de rechercher.
 Ajoutons que la sœur du disparu, Mlle Quéméneur, de Landerneau, et son beau-frère, M. Pouliquen, notaire à Pont-l’Abbé, se sont rendus à Paris où la valise retrouvée au Havre leur sera présentée.
 Hier soir, également, M. Seznec était invité par la brigade mobile à se rendre d’urgence à Paris pour y être entendu par M. Vidal, commissaire à la sûreté générale2.

L’AFFAIRE QUÉMÉNEUR
L’enquête de la sûreté générale

Quéméneur était au Havre le 13 juin

 Paris, 27. — La Sûreté générale a procédé à l’examen du carnet de dépenses de M. Quéméneur.
 Cet examen semble indiquer que son séjour à Paris a été de courte durée. Une inscription est restée indéchiffrable jusqu’à présent. Elle commence par le mot «  voyage  ».
 Un voyage reste donc à déterminer et doit se placer entre l’arrivée de Quéméneur au Havre et le 13 courant.
 Par ailleurs, contrairement à la première hypothèse, l’examen du télégramme saisi au Havre et expédié à la famille Quéméneur paraît démontrer qu’il a été rédigé par Quéméneur lui-même. Ce dernier était donc encore vivant le 13.
 Au sujet de la découverte de la valise, on a remarqué que celle-ci avait des éraflures nombreuses, des traces de boue et de sang. La serrure a été forcée.
 Le linge ne présente aucune trace d’humidité. Par contre, divers papiers et un carnet auraient été immergés.
 Dans le portefeuille, on constate même des traces de sable de mer.
 D’après l’enquête, Quéméneur aurait été assassiné soit le 13 ou le 20.
 On s’explique assez difficilement si l’on situe la date du crime dans la journée du 13, que l’assassin ait imprudemment conservé par devers lui un bagage compromettant pendant sept jours, c’est-à-dire jusqu’au 20.

___
1. J’ai supprimé un tiret cadratin placé par erreur après ce mot dans la source.
2. Cet article en première page se termine par une section datée du Havre le 25 et intitulée «  Du sang sur la valise  », identique à la section «  Du sang sur la valise du disparu  » parue dans Le Matin du 26 juin 1923.

DIX-HUIT JOURS APRÈS SA DISPARITION
M. QUEMENEUR ÉTAIT ENCORE VIVANT

Le Matin, 27 juin 1923, pages 1 à 3.

On ne sait pas où le conseiller général
logea à Paris le soir de son arrivée, le 25 mai

 Si la disparition de M. Pierre Quemeneur, conseiller général du Finistère, reste toujours aussi mystérieuse, un grand pas, cependant, vient d’être fait par l’enquête, à savoir qu’il semble bien que le 13 juin, c’est-à-dire dix-huit jours après avoir quitté à Dreux M. Sezenec, qui est celui qui le vit et put donner pour la dernière fois de ses nouvelles, M. Quemeneur était encore vivant.
 Contrairement aux hypothèses envisagées par sa famille, il semblerait maintenant que le télégramme envoyé ce 13 juin, du Havre, à Mlle Quemeneur, à Landerneau, aurait bien été expédié par le conseiller général du Finistère.

Les inscriptions d’un carnet de dépenses

 Par ailleurs, les inscriptions portées sur le carnet de comptes du disparu, et, notamment, celle ainsi libellée et qui est la dernière de ce carnet  :
   13 juin 23. — Déjeuner, 8 fr. 75
 paraissent bien également avoir été écrites par M. Quemeneur.
 A l’égard de ce carnet de comptes, il convient de remarquer en outre que, seule cette dernière dépense pour un déjeuner modeste porte une indication de date — celle, précisément de cette journée du 13 juin à partir de laquelle l’ombre et le silence allaient surgir définitivement, autour de M. Quemeneur.
 Mais, si M. Quemeneur était encore vivant le 13 juin, que fit-il depuis le moment où, le 24 mai1, il quitta à Dreux M. Sezenec  ? Si sur son carnet de comptes, on relève, écrites au crayon, maintes autres dépenses, telle, par exemple, celle de 127 francs de frais divers (sic) à Paris, puis de 31 fr. 75 pour billet Paris-Le Havre (c’est le prix d’un billet simple de 2e classe), nulle date ne précède ces inscriptions. Après celle relative à ce billet Paris-Le Havre, et immédiatement avant celle relative au déjeuner du 13 juin, une ligne presque entièrement effacée par l’eau commence par ces mots  : «  Voyage à M...  ». Mais les lettres suivant cette initiale M sont illisibles.
 Ces divers papiers, ainsi que le texte original du télégramme adressé à Mlle Quemeneur, ont été rapportés hier à Paris par l’inspecteur de la Sûreté générale qui était allé enquêter au Havre, et ont été confiés aux services de l’identité judiciaire, à la préfecture de police. Il en a été de même de la valise retrouvée le 20 juin à la gare du Havre, et qui contenait ces papiers. Cette valise, de la forme carrée, plate, dite mallette porte-habits, et en simili-cuir, est de qualité très ordinaire. Sur l’un de ses côtés et sur une partie de son couvercle, on remarque des taches plus sombres que le reste de l’enveloppe. Taches d’humidité ou taches de sang  ? Seule une expertise ultérieure pourra nous fixer sur ce point.

A l’hôtel de Normandie

 Les diverses enquêtes menées jusqu’ici à Paris n’ont point permis d’y retrouver la trace de M. Quemeneur. De même, on ignore toujours quel est le personnage américain, du nom de Scherdly, avec qui, avant de quitter Landerneau, le conseiller général du Finistère avait annoncé qu’il devait traiter à Paris d’importantes affaires.
 — Nous n’avons jamais eu ici de client de ce nom. Le 12 juin dernier, nous avons reçu de Landerneau une lettre d’une demoiselle Quemeneur qui nous écrivait en substance  : «  Je suis sans nouvelles de mon frère qui devait descendre à votre hôtel le 24, 25 ou 26 mai. Il y avait donné rendez-vous à diverses personnes le 26 mai. Nous savons que ces personnes s’y sont présentées et ne l’y ont point rencontré. Je vous serais donc très obligée de me dire si vous l’avez vu...  » Nous n’avons pu que répondre à Mlle Quemeneur que nous n’avions jamais vu son frère et que nous ne le connaissions point.
 Et on se demande, aujourd’hui, quelles raisons avaient déterminé M. Quemeneur à donner comme adresse à Paris cet hôtel de Normandie où il n’était jamais allé et où il ne vint jamais.

LA DISPARITION DE M. QUEMENEUR
Notre enquête à Landerneau

Un récit de M. Sezenec

[DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL]

 BREST, 26 juin. — Par téléphone. — Naturellement, la disparition inexpliquée de M. Quemeneur, conseiller général du Finistère, fait beaucoup de bruit à Landerneau où il résidait en la villa Ker-Abri. La sœur et le beau-frère de M. Quemeneur, notaire à Pont-Labbé, sont partis pour Le Havre, dans l’espoir de recueillir quelques nouveaux indices.

Le mystérieux Américain

 Je me suis longuement entretenu avec M. Sezenec, le marchand de bois qui, dans son automobile, emmena M. Quemeneur de Rennes à Dreux.
 Voici ce qu’il m’a déclaré  :
 — M. Quemeneur est un ami de vieille date. Il y a quelques mois, il m’a rendu un signalé service. Condamné à payer une somme importante, il me manquait 15.000 francs qu’il m’a prêtés, en échange d’une garantie que je lui donnai sur ma voiture torpédo 36 chevaux.
 Il y a deux mois environ. M. Quemeneur était entré en correspondance, comment  ? je ne l’ai jamais su, avec un mystérieux personnage, un Américain, qui lui offrit une affaire superbe, l’achat d’autos de marque à céder au gouvernement russe par l’intermédiaire du même personnage qui proposait l’affaire  !
 Ces propositions intéressèrent très vivement M. Quemeneur qui décida de m’y associer. Je fus chargé de recevoir les lettres que l’Américain envoyait à M. Quemeneur. Deux me parvinrent. Elles portaient l’en-tête de la chambre de commerce américaine, 36, rue Taitbout, à Paris, étaient signées d’un nom commençant par Scher... et se terminant par un «  y  », quelque chose comme Scherzy, Scherky, etc.
 Je remis ces missives sans les décacheter à M. Quemeneur qui m’en lut certains passages. Ils avaient trait au commerce des automobiles et contenaient les conditions offertes. Etant donné sa qualité de conseiller général, M. Quemeneur décida d’accepter l’affaire en participation avec moi. Il fournissait les capitaux, mais c’est sous mon nom que devaient être faites les transactions. La première voiture qui devait être vendue était la mienne, que nous devions conduire à Paris le 24 mai, où l’Américain l’attendait.
 Le 22 mai, je me rendis à Landerneau chez M. Quemeneur, puis tous deux nous partîmes à Lesneven où une autre Cadillac était offerte en vente, pour laquelle M. Quemeneur se fit donner une option, après avoir constaté la bonne marche de la voiture. Avant, nous nous étions arrêtés Brest. M. Quemeneur s’était présenté à la Société bretonne de crédit pour solliciter une avance de 100.000 francs représentant les capitaux dont il avait besoin pour le payement immédiat des premières autos achetées. Cette avance lui fut refusée. C’est alors qu’il décida d’avoir recours à son beau-frère auquel par téléphone il demanda de lui expédier un chèque barré sur la Société générale d’une somme de 60.000 francs et adressé à son nom au bureau de poste 3, boulevard Malesherbes.
 Profitant de ce que je me rendais à Brest, j’avais eu soin d’emporter dans une petite boîte, où je les tenais cachés depuis fort longtemps, 4.000 dollars-or que je comptais échanger à la banque. Je les offris sous certaines garanties à mon ami Quemeneur.
 Ayant accepté mon offre, Quemeneur emporta la boîte contenant mes dollars, puis nous rentrâmes chacun chez nous, lui à Landerneau, et moi à Morlaix.
 Le lendemain, 23 mai, je fus à Landerneau chercher ma voiture. Je la ramenai à Morlaix, et le 24 mai, à 10  h.  30, je quittai cette ville en automobile pour me rendre à Paris. A Rennes, comme convenu, je rejoignis M. Quemeneur. Le 25 mai, nous quittions Rennes pour Paris.
 A Dreux, au centre de la ville, une panne de carburateur nous retint jusqu’à 20 heures. Un mécanicien, M. Hodey, 33, rue d’Horfeuil, vint nous dépanner, mais la voiture n’avançait que difficilement, au point qu’à 5 ou 6 kilomètres de la ville, Quemeneur renonça à gagner la capitale en auto. Il la ramena à la gare de Dreux où il me quitta, disant  :
 — Si tu crois que la voiture soit invendable, tu m’attendras demain il la porte de Versailles où je viendrai te prendre. Quant à moi, je file à Paris par le train, parce que j’ai rendez-vous demain matin, avenue du Maine avec l’Américain.
 Je continuai mon voyage sur Paris mais à 15 ou 16 kilomètres au delà de Dreux, mes chambres à air crevèrent à nouveau. N’ayant pas de phares, je dus attendre sur le bord de la route, assis dans ma voiture, le lever du jour pour effectuer la réparation. Je gagnai Millemont. Je passai la journée à l’hôtel et, auprès avoir réparé et renonçant à aller à Paris, je gagnai un hôtel où je passai la nuit. Le lendemain, je me mis en route pour Morlaix. J’eus à Dreux une nouvelle panne de carburateur. Le même mécanicien dut me remorquer jusque chez lui et réparer ma voiture. Le soir, je couchai à Pré-en-Pail.
 Je repartis le 27 à 8 heures. J’eus encore différentes pannes à Mayenne, à Rennes, ce qui me retarda tellement que je n’arrivai à Morlaix que le 28.

M. Sezenec convoqué à Paris

 M. Sezenec a été prié, hier soir, par la Sûreté générale, de venir d’urgence à Paris pour y être entendu sur les circonstances du voyage en automobile qu’il accomplit en compagnie de M. Quemeneur.

___
1. En réalité le 25 mai.

AUTRES ARTICLES

La Croix, page 5.
La Dépêche de Brest (supra)
L’Écho d’Alger, page 2.
Excelsior, page 5.
Le Figaro, page 3.
Le Gaulois, pages 2 et 3.
L’Homme Libre, page 3.
L’Humanité, page 2.
L’Intransigeant, page 3.
Le Journal, pages 1 et 3.
Journal des Débats, page 3.
La Lanterne, page 3.
Le Matin (supra)
L’Ouest-Éclair, pages 1 et 3.
Le Petit Journal, pages 1 et 3.
Le Petit Parisien, pages 1 et 3.
Le Populaire, pages 1 et 5.
La Presse, page 1.
Le Radical, page 3.
Le Rappel, page 3.
Le Temps, page 4.