Jeudi 28 juin 1923

27 juin 1923 | 29 juin 1923
PRESSE  : La Dépêche de Brest - La Croix - Le Journal - Autres articles

ÉVÉNEMENTS

 Vers 7 heures 15, Guillaume Seznec arrive à Paris, gare Montparnasse, par le rapide de Brest. Il porte sa mallette en osier. Suivi discrètement dès son arrivée par deux inspecteurs1, il se rend au café-restaurant À la Ville de Brest, 5 place de Rennes2, près de la gare. Il prend un café et plusieurs croissants, ainsi qu’un verre de vin blanc, et lit la presse avec intérêt. Au moment de payer, il dépose sa mallette à la caisse en disant qu’il repassera la chercher le soir même. Les inspecteurs, qui étaient assis à une table voisine, récupèrent la mallette après son départ3.
 Tôt dans la matinée, deux inspecteurs de la Sûreté générale se rendent à Millemont et interrogent les deux aubergistes et le garagiste du village, sans succès. Puis, à La Queue-lez-Yvelines, ils retrouvent la trace du passage de Seznec le 26 mai4.
 Vers 9 heures 30, Seznec arrive à la Sûreté générale, rue des Saussaies. Il est interrogé toute la journée par le commissaire Achille Vidal. Interrompue par le déjeuner, l’audition reprend vers 14 heures5. Elle est suivie d’une confrontation avec Jean Pouliquen et Jenny Quéméner6.
 Le commissaire Léon Labouérie et quelques inspecteurs de la police mobile de Rennes se rendent à Morlaix chez les Seznec. Audition de Marie-Jeanne, perquisition de la maison et du garage, et mise sous scellés de la Cadillac.
 Audition de Gabriel Saleun.
 Dans la journée, un journaliste du Petit Journal rencontre Jean Marc, père de Marie-Jeanne Seznec, qui donne de très mauvais renseignements sur son gendre7.
 L’audition de Guillaume Seznec dure jusqu’à 22 heures. Il renonce à dîner et passe la nuit dans un hôtel voisin de la rue des Saussaies, accompagné de deux inspecteurs8.

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1. Probablement Pierre Bonny et Alphonse Royère, qui secondent le commissaire Vidal dans son enquête. L’inspecteur Albert Tissier, 25 ans, est présent en arrière-plan sur la photographie de Guillaume Seznec prise ce matin-là devant la Sûreté générale, mais il a les mains vides et l’homme qui l'accompagne ne transporte pas la mallette de Seznec.
2. Aujourd’hui À la Duchesse Anne, 5 place du 18-juin-1940.
3. Le Petit Journal du 29 juin 1923 et Le Petit Parisien du 3 juillet 1923.
4. Le Petit Parisien du 30 juin 1923.
5. La Dépêche de Brest du 29 juin 1923.
6. Le Petit Journal du 29 juin 1923.
7. Le Journal et Le Petit Journal du 1er juillet 1923.
8. Le Petit Parisien et Le Petit Journal du 30 juin 1923.

LA DISPARITION DE M. QUÉMÉNEUR

La Dépêche de Brest & de l’Ouest, 28 juin 1923, pages 1, 2 et 5.

Le conseiller général de Sizun avait eu plusieurs entrevues
avec le mystérieux Charly — S’est-il jamais rendu au Havre  ?
Une véritable mise en scène

 Il est certain aujourd’hui que M. Quéméneur était entré en relations avec l’individu qui lui écrivait sous l’en-tête de la Chambre de commerce américaine de Paris et qu’on désignait sous le nom de Charly par l’intermédiaire d’une annonce répandue dans les journaux.
 Des recherches nous ont permis de retrouver une annonce parue fin novembre dernier et libellée comme suit  :
 «  Automobiles. Suis acheteur comptant toutes voitures et châssis Cadillac et camions U.S.A. provenant des stocks, dans n’importe quel état.  »
 Cela répond parfaitement, on le voit, aux besoins de l’affaire entreprise par M. Quéméneur, U.S.A. et Cadillac, telles étaient les marques qu’il réclamait.
 «  Quel que soit l’état des voitures, disait-il, pourvu qu’elles roulent, cela suffit.  »
 Et l’on recherche à présent l’auteur de cette annonce.
 Quant à Charly lui-même, M. Seznec nous disait, avant-hier, qu’il ne croyait pas que M. Quéméneur l’eût jamais vu  ; mais il ne pouvait rien affirmer à ce sujet.
 Nous avons rencontré, hier, un confident du disparu auquel celui-ci déclarait nettement  :
 — Celui qui me procure l’affaire, je l’ai vu plusieurs fois et puis lui accorder autant de confiance qu’à moi-même. Il m’a d’ailleurs communiqué des documents qui ne me permette d’avoir aucun doute. Ces documents étaient des pièces émanant d’un gouvernement et démontraient qu’il avait assez d’influence pour me permettre non seulement d’obtenir l’affaire, mais de la continuer en la renouvelant.
 «  Mais, ajoutait M. Quéméneur, je n’ai pas l’intention d’accaparer tous les marchés  ; lorsque je les aurais eu trois ou quatre fois, je les passerai à d’autres, car à ce moment le bénéfice obt[e]nu sera suffisant  ».
 Qu’est donc devenu ce Charly qui avait si bien capté la confiance du conseiller général de Sizun et dont on n’a pu découvrir la trace jusqu’à présent  ?
 On avait tout d’abord mis son existence en doute  ; mais il ne peut plus [en]1 être question aujourd’hui, quel que soit son nom, puisque M. Quéméneur déclarait l’avoir rencontré.

Les surprises de la graphologie

 M. Quéméneur était au Havre le 13 juin, nous dit-on, mais sur quoi repose cette affirmation  ? Sur le fait qu’un télégramme signé Pierre aurait été adressé à sa sœur, dans cette ville  ? Sur les inscriptions relevées dans le carnet qui lui permettait de tenir ses comptes au jour le jour  ?
 Qu’est-ce qui démontre tout d’abord que le disparu ait atteint Paris, sinon une simple ligne griffonnée sur ce carnet étroit dont l’encre est délavée et les caractères imprécis au point de n’être pas complètement déchiffrés  ?
 Il n’est pas, en effet, encore établi que M. Quéméneur ait rencontré qui que ce soit dans la capitale. Il est, par contre, certain qu’il n’est pas descendu à l’hôtel de Normandie où devait le retrouver M. Seznet2, comme lui intéressé à cette affaire qui déterminait leur déplacement commun.
 Toujours, se basant sur les inscriptions du carnet, on déclare encore que M. Quéméneur fit un voyage de Paris au Havre, un autre voyage dont on ne peut distinguer le terme, puis revint au Havre d’où il songea seulement le 13 juin à télégraphier à sa sœur. Il était donc à ce moment resté 19 jours sans donner de ses nouvelles.
 Or, il est établi que cela est absolument contraire à ses habitudes. Partout où il se trouvait — nous avons en cela fait appel au témoignage de tous ceux qui l’approchaient — il s’empressait, chaque fois qu’il était retenu à Landerneau même ou qu’il voyageait dans les environs, de téléphoner ou d’écrire à sa sœur. Dans toutes les maisons où il avait coutume de fréquenter, le fait fut maintes fois remarqué.
 Est-il admissible, par suite, qu’au cours de voyages aussi inattendus il soit resté de si longs jours sans adresser le moindre mot  ?
 M. Quéméneur était au Havre le 13 juin  ! Possible, mais ne doit-on pas se souvenir qu’hier encore on déclarait que le télégramme signé de son nom n’était pas écrit de sa main  ?
 L’erreur est donc admise en ce qui concerne l’examen d’une écriture qui a pu se développer normalement sur toute la largeur d’une feuille  ; mais ne serait-elle pas possible lorsqu’il s’agit de l’examen de l’écriture d’une note hâtivement portée sur l’étroitesse d’un carnet qui, de plus, a subi une immersion assez longue  ?
 N’est-il pas encore bien plus difficile, dans ces conditions, de donner à ces lettres une paternité certaine  ?
 Serait-il exagéré d’émettre l’hypothèse que l’écriture du télégramme, comme celle du carnet, fut truquée  ?
 N’est-on pas amené logiquement à le penser lorsque l’on se trouve en présence d’une véritable mise en scène comme celle de la valise  ?
 De cette valise qu’on retrouve — comme par hasard — dans la salle d’attente d’une gare, avec une serrure forcée, quelques taches de sang par ci par là, des papiers d’identité soigneusement collectionnés pour qu’on ne s’y trompe pas, et enfin ce carnet où rien n’est plus simple que d’ajouter quelques lignes en tenant compte de la forme des inscriptions précédentes.
 Ce carnet, fort aimablement rapporté, n’est-il pas là mis au point pour confirmer qu’à la date du 13 juin M. Quéméneur pouvait encore télégraphier à sa sœur  :
 «  Ne rentrerai Landerneau que dans quelques jours. Tout va pour le mieux. — Pierre.  »

DES FAUX DANS LA VALISE  (?)

 Paris, 26. — La famille Quéméneur a reconnu la valise trouvée au Havre, mais elle élève des doutes au sujet de certaines inscriptions du carnet et surtout au sujet d’un acte sous seing privé daté du 22 mai et signé Quéméneur et Seznec. Cet acte concerne la vente d’une propriété.
 La voiture Cadillac dans laquelle M. Seznec s’est rendu à Dreux va être saisie pour expertise.

M. Seznec part pour Paris

 M. Seznec, nous l’avons dit, a été entendu par les délégués de la police mobile  ; puis, dans la soirée, il était convoqué à Paris afin de fournir quelques précisions réclamées par M. Vidal, commissaire de la sûreté générale, section des recherches, chargé de l’enquête.
 L’industriel morlaisien prenait le train hier soir pour Paris.

Un avis de la Sûreté générale

 Paris, 27. — On nous prie d’insérer la note suivante  :
La personne qui a écrit, hier, à la sûreté générale, au sujet de l’affaire Quéméneur, est priée de vouloir bien se présenter à M. Vidal, commissaire de police, au contrôle des services de recherches judiciaires, 11, rue des Saussaies, à Paris, ou lui écrire pour fixer rendez-vous.
 La plus grande discrétion est assurée.

Un point à éclaircir

 Landerneau. — On sait que la famille de M. Quéméneur reçut, le 13 juin au soir, un télégramme ainsi conçu  : «  Tout va bien. Signé  : Pierre.  » et qu’à la suite de cet avis, Mlle G. Quéméneur3 adressait à son tour, à M. et Mme Seznec, courtiers à Morlaix, une carte postale avec ces mots  : «  Reçu hier, 13 au soir, un télégramme de Pierre. Tout va bien, soyez donc rassurés et croyez à mes meilleurs sentiments.  [»]
 Mais comme il existe à Landerneau, rue de la Fontaine-Blanche, une très importante maison de nouveautés et fabrique de parapluies, dirigée par M. Quéméner qu’à la suite de notre premier article concernant la disparition de M. Quéméneur, paru dans la Dépêche de dimanche dernier 24 courant, plusieurs personnes de la ville et aussi des fournisseurs de Paris, ont pensé qu’il s’agissait du propriétaire de la maison de la rue de la Fontaine-Blanche, car nous avions employé le mot «  négociant à Landerneau  » pour indiquer la qualité du disparu  ; nous pensons aujourd’hui que ce mot «  négociant  », qui a prêté à confusion, pourrait aussi servir à éclairer sérieusement un point troublant de cette affaire.
 Les télégrammes adressés Quéméner négociant à Landerneau, sont, d’après ce que nous avons appris, généralement déposés à la maison Quéméner, rue de la Fontaine-Blanche, et comme le disparu connaissait sûrement cette habitude de la poste, il prenait sans aucun doute toujours la précaution de porter comme adresse sur sa correspondance et sur ses télégrammes, les mots  : «  Quéméneur, à Ker-Abri, près Landerneau  », ou encore «  Quéméneur, marchand de bois à Landerneau  ».
 Cette remarque facile à vérifier a donc une importance très grande, si la dépêche du 13 juin a été vraiment libellée par M. Quéméneur, le mot négociant ne doit pas y figurer  ; écrite au contraire par une personne étrangère, on comprend facilement qu’on ait pu l’employer, et elle émanerait donc sans discussion possible d’une personne intéressée à rassurer pour quelques jours les inquiétudes de la famille du disparu. Comme Mlle Quéméneur doit toujours posséder le télégramme, nous apprendrons certainement avant peu si à la date du 13 M. Quéméneur, son frère, lui a bien, en personne, télégraphié de ses nouvelles.

L’enquête se poursuit dans la région de Dreux et au Havre

 Paris, 27. — L’enquête que mène la sûreté générale au sujet de la mystérieuse disparition de M. Quéméneur, se poursuit très activement. Les recherches se sont portées, au cours de la journée, en deux points  : au Havre et dans la région de Dreux.
 On sait que la valise du disparu a été trouvée à la gare du Havre. C’est là qu’on perd les traces du conseiller général  ; mais une première difficulté surgit quant à la dernière journée qu’il a passée dans le chef-lieu de la Seine-Inférieure. Est-ce le 13 ou le 14 [juin]4  ? Son carnet ne donne de renseignements que jusqu’au 13. C’est à cette dernière date que figure la mention de la dernière dépense, mais le télégramme rassurant reçu par la famille Quéméneur est du 145.
 On a émis tout d’abord des doutes sur l’authenticité de ce télégramme. Mais après examens minutieux, il semble bien qu’il a été écrit de la main de M. Quéméneur. La mauvaise qualité des plumes en usage dans les bureaux de poste avait seule motivé la suspicion première.
 M. Quéméneur était-il vivant au Havre le 13 ou le 14 au matin  ? Voici donc la première question que se posent les agents de la sûreté.
 Seconde énigme  : le carnet de dépenses du disparu, ainsi que nous l’avons annoncé, porte une inscription qui est restée indéchiffrable, et qui a trait à un voyage mystérieux qui s’ajouterait au trajet D[r]eux-Paris, Paris-Le Havre. Aucun Œdipe n’est encore parvenu à démêler le sens de cette phrase, qui commence par le mot  : Voyage.
 La famille de M. Quéméneur est arrivée à Paris pour reconnaître la valise, ainsi que les objets et papiers qu’elle renferme encore. Espérons qu’elle sera plus heureuse et qu’elle réussira à déchiffrer la phrase énigmatique.
 L’enquête, en ce qui concerne les événements qui ont eu la région de Dreux pour théâtre, présente également un vif intérêt. Rappelons que c’est à Dreux que M. Seznec, d’après ses déclarations, a vu pour la dernière fois son ami Quéméneur. Ils se rendent à Paris dans une automobile qui leur appartient à tous les deux. A Dreux, une panne les immobilise un instant. Ils repartent après réparation  ; mais sur la grand[’]route une seconde panne se produit. Les deux voyageurs reviennent à Dreux. M. Quéméneur, qui a un rendez-vous avec un mystérieux Américain, avenue du Maine, derrière la gare Mon[tp]arnasse, perd patience et prend le train. C’est le 25 mai.
 M. Seznec ne reverra plus M. Quéméneur. Le mécanicien de Dreux qui dépanna la voiture aux dires de M. Seznec a été recherché. Il donnera vraisemblablement des détails intéressants sur l’odyssée des deux automobilistes venus par la longue route vers un rendez-vous mystérieux auquel ne se présenta que l’un d’eux que l’on n’a plus revu.
 Pendant que M. Quéméneur partait ainsi sur le chemin dont il n’est pas revenu, M. Seznec essayait, a-t-il dit, de se rendre à Paris où M. Quéméneur lui avait dit, à tout hasard, qu’il le rencontrerait à la porte de Versailles le lendemain, sans plus de précision. Mais décidément la voiture à vendre n’était pas vendable, puisqu’elle eut une nouvelle panne à quelques kilomètres de Dreux. M. Seznec revint, de guerre lasse, vers Morlaix, qu’il n’atteignit finalement, après des arrêts provoqués par la mauvaise volonté de la voiture, que le 28.
 Les choses en sont là. M. Seznec, qui ne sera entendu que demain matin par la commissaire Vidal, de la sûreté générale, fournira peut-être quelque lumière supplémentaire sur l’extraordinaire randonnée de ces dernières journées de mai, au cours de laquelle il perdit un ami familier, qu’il tutoyait.

L’AFFAIRE QUÉMÉNEUR

M. Bollon ne connaissait pas M. Quéméneur

 Paris, 27. — M. Bollon, 33, avenue Sainte-Foy, à Neuilly-sur-Seine, nous a fait les déclarations suivantes  : «  Il est exact que j’ai donné une annonce à la Dépêche de Brest et de l’Ouest, ainsi qu’à un journal de Nantes, au sujet d’achat d’automobiles d’occasion. Mais je n’ai jamais été en relations d’affaires avec M. Quéméneur, dont j’ai lu dans les journaux la disparition. Je ne le connais pas.  »

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1. Mot omis.
2. Sic.
3. Jenny Quéméner (l’initiale est erronée).
4. Source  : «  mai  ».
5. En réalité du 13.

LA DISPARITION DE M. QUÉMENEUR

La Croix, 28 juin 1923, page 5.

 L’affaire de la disparition du conseiller général Quémeneur reste toujours mystérieuse.
 Un point semble maintenant à peu près établi  : le télégramme expédié du Havre le 13 juin à Mlle Quémeneur, aurait bien été rédigé par son frère.
 Donc M. Quémeneur était alors encore vivant. Sa valise fut retrouvée le 20  : que s’est-il passé entre ces deux dates  ?
 Une autre question se pose  : alors que depuis quarante-huit heures tous les journaux consacrent de longs articles à la disparition de M. Quéméneur, pourquoi M. Sherdly, l’Américain avec lequel il était en affaires, ne s’est-il pas encore fait connaître  ?
 L’orthographe de ce nom ne serait peut-être pas très exacte, mais la consonnance permet de rectifier ce point de détail. Aussi la police recherche-t-elle le pseudo Sherdly dont le témoignage lui paraît fort intéressant.
 Par ailleurs, c’est en vain qu’on a jusqu’à ce jour cherché trace du passage à Paris de M. Pierre Quémeneur. Ce dernier n’a été vu, pas plus à l’hôtel où il avait donné rendez-vous à M. Sezenec, qu’avenue du Maine où il devait se rendre.
 Est-il bien venu Paris  ? On ne sait.
 D’autre part, à Morlaix, M. Sezenec, interrogé a déclaré  :
 «  L’affaire que nous devions traiter à Paris avec l’Américain nous semblait excellente et devait rapporter gros  ; il s’agissait de rechercher et d’acheter pour la Russie toutes les automobiles américaines demeurées en Bretagne après le départ de nos alliés. M. Quémeneur, homme politique, ne voulait pas paraître en nom dans l’affaire, c’est moi qui traitais, lui apportait les capitaux.
 Ajoutons que la Sûreté générale a prié M. Sezenec de venir d’urgence à Paris pour déposer au sujet de son voyage en auto de Rennes à Dreux avec M. Quémeneur.

LA MYSTÉRIEUSE DISPARITION DE M. QUÉMÉNEUR
DEVIENT DE PLUS EN PLUS TROUBLANTE

Le Journal, 28 juin 1923, page 3.

[DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL]

 BREST, 27 juin. — L’enquête que mènent parallèlement la Sûreté générale et le parquet de Brest sur la mystérieuse disparition de M. Quémeneur semble devoir aboutir à des résultats assez inattendus. Il serait imprudent de vouloir tirer déjà de certains faits une conclusion assez sensationnelle, mais l’affaire prend, on n’en peut douter, une tournure de plus en plus troublante.
 M. Binet, juge d’instruction, avait, comme nous l’avons dit, lancé à Paris, au Havre, à Dreux, à Rennes et à Morlaix diverses commissions rogatoires, dont les résultats ont commencé d’arriver ce soir. On a appris ainsi que Mlle Quémeneur, sœur du disparu, et M. Pouliguen, son beau-frère, avaient formellement reconnu comme ayant appartenu au conseiller général la valise et les objets trouvés en gare du Havre, mais ces deux personnes ont émis des doutes sur l’authenticité des notes et des inscriptions relevées sur le carnet que contenait également la valise. Ce détail n’est pas le seul à être d’une certaine gravité. En effet, une suspicion a été formulée quant à l’acte sous-seing privé, daté du 22 mai et trouvé en la possession de M. Sezenec, acte que MM. Quémeneur et Sezenec auraient passé entre eux au sujet de la vente d’une propriété. D’après M. Sezenec, cet acte représenterait la garantie que M. Quémeneur lui aurait remise en échange des 4,000 dollars or qu’il lui aurait donnés à Brest, avant leur départ pour Paris, comme on s’en souvient. Enfin, des instructions ont été données pour que soit saisie et mise en lieu sûr la fameuse automobile actuellement garée à Morlaix et dans laquelle MM. Quémeneur et Sezenec se rendirent à Dreux.
 On sait que, d’après les déclarations de M. Sezenec, M. Quémeneur, avant son départ pour Paris, était venu à Brest et s’était rendu à la Société Bretonne pour demander ouverture d’un crédit de 100.000 francs qui, paraît-il, lui étaient nécessaires pour conclure son affaire d’automobiles. M. Saleun a bien reçu, en effet, le 22 mai — date à laquelle l’acte sous-seing privé dont il est question plus haut, aurait été passé entre MM. Quémeneur et Sezenec — la visite du conseiller général.
 «  C’est le mardi matin que M. Quémeneur vint me trouver, m’a déclaré M. Saleun. Il voulait des fonds pour le jeudi 24 mai. Contrairement à ce que M. Sezenec affirme, nous ne les lui avons pas refusés. En effet, la demande d’ouverture de crédit de M. Quémeneur devait être soumise au conseil d’administration qui aurait décidé, le lendemain 23 mai  ; or le même 22 mai, à 1  h.  30 de l’après-midi, M. Quémeneur vint à nouveau me trouver à la banque pour m’informer qu’il n’avait plus besoin de ce crédit. Il me déclara qu’il avait téléphoné à un parent qui lui avancerait les fonds.  »
 Il s’agit là de M. Pouliguen, son beau-frère, qui expédia à Paris le chèque de 60.000 francs.
 «  Néanmoins, reprend M. Saleun, nous continuâmes notre conversation  ; le sujet en était la mirifique affaire d’autos. Je dois vous dire que M. Quémeneur, bon garçon au demeurant, était assez naïf en affaires, et plusieurs fois j’avais eu l’occasion de le tirer des griffes de certains aigrefins qui visaient sa bourse. En apprenant donc qu’il s’agissait de drainer les autos américaines de la région pour les revendre à Paris à un intermédiaire chargé de les acheter pour le compte des soviets, je tentai de détourner M. Qué[m]eneur1.
 Il s’agissait donc bien d’acheter un lot d’autos, réunies sans doute par ce Charly avant de les revendre par l’intermédiaire de cet individu aux soviets, avec le gros bénéfice que l’on avait fait miroiter à mon ami pour l’attirer dans le guet-apens avec la certitude qu’il aurait sur lui une importante somme d’argent. Pourtant, devant la confiance si complète de M. Quemeneur il me semble — contrairement encore à ce qu’affirme M. Sezenec — que mon ami devait être en relations suivies avec l’introuvable Charly. De plus sur une question de moi, j’appris qu’il avait découvert cette affaire par une annonce parue dans les journaux.  »
 J’ouvre ici une parenthèse pour dire que dans les journaux locaux où j’ai fait des recherches, j’ai découvert l’annonce suivante dans le numéro du 30 novembre 1922 de la Dépêche de Brest.
Automobiles. — Suis acheteur comptant toutes voitures et chassis Cadillac et camions U.S.A. provenant des stocks dans n’importe quel état. Ecrire détails Bollon, avenue Sainte-Foy, Neuilly, Seine.
 Cette annonce semblerait être celle qui attira l’attention de M. Quemeneur en raison de ce fait qu’elle demandait des autos quel que soit leur état.
 Enfin M. Saleun termina notre entretien en notant que la plus grande partie des déclarations de M. Sezenec, notamment celles qui concernent l’étrange voyage interrompu à Dreux et la remise des 4.000 dollars par lui paraissent extrêmement étranges  : M. Quemeneur ne lui parla jamais de cet argent. — HENRY BARBY.

L’enquête à Paris

 L’enquête que conduit M. le commissaire Vidal, de la Sûreté générale, s’est poursuivie toute la journée d’hier, à Paris. Aujourd’hui sera entendu, à titre de témoin, M. Sezenec, le négociant de Morlaix. Il sera confronté avec M. Pouliguen, beau-frère du disparu.
 D’autre part, la Sûreté générale fait savoir que la personne qui, avant-hier, écrivit il cette administration au sujet de l’affaire Quemeneur, est priée de vouloir bien se présenter à M. Vidal, commissaire de police au contrôle des services des recherches judiciaires, 11, rue des Saussaies, à Paris, ou de lui écrire pour fixer un rendez-vous  ; la plus grande discrétion sera observée.

Chez M. Bollon

 Nous avons pu voir, hier, M. Bollon, garagiste, domicilié 33, avenue Sainte-Foy, à Neuilly, qui fit paraître dans la Dépêche de Brest l’annonce dont il est question plus haut.
 «  Je n’ai jamais eu de relation, commerciale ou autre, nous dit-il, ni avec M. Quémeneur ni avec M. Sezenec. Les rares personnes touchées par mon avis, dans la région du Finistère, n’habitent d’ailleurs pas Landerneau et Morlaix.  »

Quel est ce noyé  ?

 LE HAVRE, 27 juin. — A 5 heures du matin, le 14 juin dernier, un pêcheur d’Octeville, près du Havre, découvrait le cadavre d’un baigneur. Aucune disparition n’ayant été signalée dans les environs, on l’inhuma au cimetière communal et l’affaire fut classée. Or, hier, en compulsant des dossiers, on constata que la découverte correspondait à un jour près à la disparition de M. Quémeneur et que le signalement du noyé était sensiblement le même que celui du disparu. On se demanda si le 13 juin, M. Quémeneur, se baignant au Havre, ne s’y serait pas noyé et si son corps n’aurait pas été transporté par le courant à Octeville, comme il arrive fréquemment. Toutefois — et c’est aussi l’avis de la Sûreté générale — on croit ne se trouver qu’en présente d’une coïncidence.

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1. Source  : «  Quémemeneur  ».

AUTRES ARTICLES

La Croix (supra)
La Dépêche de Brest (supra)
Excelsior, page 3.
Le Figaro, page 2.
Le Gaulois, pages 2 et 3.
L’Homme Libre, page 2.
L’Humanité, page 2.
L’Intransigeant, page 3.
Le Journal (supra)
Journal des Débats, page 4.
La Lanterne, page 2.
Le Matin, pages 1 et 3.
L’Ouest-Éclair, pages 1 à 4.
Le Petit Journal, pages 1 et 3.
Le Petit Parisien, page 3.
Le Populaire, page 2.
La Presse, page 1.
Le Radical, page 2.
Le Rappel, page 2.
Le Temps, page 4.

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