Mardi 26 juin 1923

25 juin 1923 | 27 juin 1923
PRESSE  : Excelsior - L’Ouest-Éclair - La Dépêche de Brest - La Presse - Le Matin - Autres articles

ÉVÉNEMENTS

 Audition de Guillaume Seznec par le commissaire Jean-Baptiste Cunat à Morlaix.

QU’EST DEVENU M. QUEMENEUR, CONSEILLER GÉNÉRAL
DU FINISTÈRE DISPARU DEPUIS LE 25 MAI  ?

Excelsior, 26 juin 1923, page 3.

 Nous avons annoncé la disparition de M. Pierre Quemeneur, industriel à Landerneau, conseiller général du Finistère, qui, parti de chez lui le 24 mai, n’a pas été revu depuis le lendemain 25, date à laquelle il quittait, à Dreux, un de ses amis, négociant à Morlaix, M. Bezenec.
 La sûreté générale communique au sujet de cette mystérieuse affaire les renseignements qu’elle a pu recueillir jusqu’ici.
 Dans la journée du 25 mai, alors que M. Quemeneur se trouvait à Dreux, une personne se présenta au bureau de postes numéro 3, boulevard Malesherbes, à Paris, et demanda au guichet de la poste restante s’il n’était pas arrivé un pli chargé à l’adresse de M. Pierre Quemeneur. Cette personne étant inconnue et, d’autre part, un pli chargé ayant été, en effet, envoyé à M. Quemeneur par son beau-frère, M. Pouliguen, notaire à Pont-l’Abbé, le contrôle général des services de recherches judiciaires ouvrit une enquête. Elle suivait son cours lorsque, par un avis téléphonique parti du Havre, M. Pouliguen fit savoir que son beau-frère lui avait télégraphié pour lui annoncer son arrivée prochaine  : «  Rentrerai à Landerneau dans quelques jours. Tout va pour le mieux. Quemeneur.  »
 Les familles Pouliguen et Quemeneur ne croient pas à l’authenticité de ce télégramme. Elles en ont avisé le contrôle et l’on est à peu près certain aujourd’hui que ce télégramme n’est pas de la main de M. Quemeneur. Qui donc a pu l’écrire  ? Première question.
 En second lieu, on a découvert dans la salle d’attente des troisièmes classes de la gare du Havre une valise abandonnée et forcée renfermant un peu de linge ainsi qu’un portefeuille avec les papiers d’identité du disparu. Ces papiers paraissent avoir séjourné dans l’eau, l’écriture en est délavée et, dans le portefeuille, il y a du sable de mer. Cependant, parmi ces papiers, on a trouvé un petit carnet de dépenses quotidiennes, tenu à jour jusqu’au 13 courant.
 L’enquête en est là et le contrôle général des recherches judiciaires, 11, rue des Saussaies, recevra toutes les indications qui pourraient lui permettre de faire la lumière sur la mystérieuse disparition de M. Quemeneur.
 On sait encore que M. Bezenec devait venir vendre son automobile à Paris et que M. Quemeneur, lui ayant prêté une assez forte somme, s’intéressait tout naturellement à cette vente. L’automobile ayant eu une panne de moteur, M. Bezenec se chargea de l’aller faire réparer à Morlaix, tandis que M. Quemeneur déclarait vouloir prendre le premier train pour Paris. Mais M. Quemeneur est-il réellement parti pour Paris  ? C’est la seconde question que l’enquête essaie d’élucider.

UN CONSEILLER GÉNÉRAL DU FINISTÈRE
AURAIT ÉTÉ ASSASSINÉ

L’Ouest-Éclair, 26 juin 1923, pages 1 à 3.

 LANDERNEAU, 25 juin. — Depuis le jeudi 24 mai, M. Pierre Quéméneur, conseiller général de Sizun, négociant à Landerneau, âgé de 45 ans, a disparu et, depuis cette date, sa famille vit dans l’angoisse, redoutant à chaque moment, l’annonce d’un malheur.
 Le 24 mai, M. Quemeneur qui habite avec sa jeune sœur, villa Ker Abri, près de Landerneau, partit par l’express du matin pour Paris. Il s’arrêta à Rennes où il descendit à l’Hôtel Parisien, place de la Gare. Là, il fut rejoint par M. Seznec, courtier à Morlaix, venu dans une automobile qu’ils devaient livrer à Paris.
 De Rennes, ils gagnèrent, par automobile, Ernée, Mayenne, Mortagne et Dreux, retardés par un nombre considérable de pannes.
 A Dreux, M. Quémeneur monta dans l’express pour Paris et M. Seznec regagna Morlaix, désespérant d’atteindre jamais la capitale.

Le rendez-vous

 Voilà donc le conseiller général à Paris  ; du moins on le suppose. Le 26 mai, il avait rendez-vous avenue du Maine et devait traiter une grosse affaire de vente d’automobiles avec un américain nommé Scherldy.
 On ignore si l’entrevue eut lieu, en tout cas, la famille Quémeneur n’en entendit jamais parler.

Un singulier télégramme

 On se désespérait lorsque le 13 juin, un télégramme signé Pierre Quémeneur, parvint du Havre, à la jeune sœur du conseiller général. Tout allait bien, disait en substance, la dépêche.
 Ce fut une grande surprise, mêlée d’effroi, quand on apprit, quelques jours plus tard, que ce télégramme n’avait pas été écrit par M. Quémeneur.
 D’autre part. M. Seznec affirma que son compagnon avait, à Rennes, télégraphié à son beau-frère, notaire à Pont-l’Abbé, pour se faire envoyer à Paris, poste restante, un chèque de 80.000 francs.
 L’affaire, on le voit, est vraiment ténébreuse  ; mais ce n’est pas ici que l’on pourra percer ce mystère  ; aussi, attend-on impatiemment les résultats de l’enquête qui est conduite à Paris.

L’ENQUÊTE À PARIS

 PARIS, 25 juin. — A la suite de l’enquête qu’elle a ouverte, sur la disparition de M. Pierre Quémeneur, conseiller général du Finistère, la Sûreté générale a pu établir à peu près les faits et gestes du disparu, durant les deux jours qui ont suivi son départ.
 M. Quémeneur est parti de Landerneau, à destination de Paris, le 24 mai dernier. On perd sa trace, le 25 au soir, date à laquelle il a quitté, à Dreux, un de ses amis, M. Sézenec, négociant domicilié à Morlaix.

Le chèque de 80.000 francs

 Le lendemain de ce jour le 26, une personne se présentait au bureau de poste du boulevard Malesherbes et demandait au guichet de la poste restante, si un pli chargé n’était pas arrivé à l’adresse de M. Quémeneur. Cette personne n’a pu encore être identifiée. Il est exact, par ailleurs, qu’un pli chargé a été expédié par M. Pouliquen, notaire à Pont-l’Abbé, à son beau-frère M. Quémeneur. A ce moment, l’enquête fut arrêtée par un avis téléphonique de M. Pouliquen, faisant connaître que son beau-frère venait de télégraphier du Havre à sa famille, pour annoncer sa rentrée prochaine.
 Puis, les 16 et 18 juin, deux lettres et un télégramme des familles Quémeneur et Pouliquen, arrivèrent à la Sûreté générale, émettant des doutes sur l’authenticité du signataire du télégramme expédié du Havre.
 Le Parquet de Brest, saisi à ce moment, a ouvert une information et plusieurs commissions rogatoires sont en voie d’exécution. Le télégramme, expédié du Havre, paraît, en effet, n’avoir pas été écrit par M. Quémeneur.

La valise du disparu retrouvée à la gare du Havre

 En outre, le 20 juin, une valise était découverte, abandonnée et forcée, dans la salle d’attente des troisièmes classes du Havre. Cette valise, qui fut tout d’abord déposée aux objets trouvés, renfermait du menu linge et un portefeuille contenant les papiers d’identité du disparu. Ces papiers paraissaient avoir été immergés  ; l’écriture en était délavée et l’on constatait, dans les plis du portefeuille, des traces de sable de mer.
 Enfin, parmi les papiers, se trouvait un petit carnet de dépenses, tenu au jour le jour, au 13 juin. A cette date, on relève encore une dépense afférente à un repas.
 La Sûreté générale poursuit son enquête, tant à Paris que dans la région du Havre.

ON CROIT À UN CRIME

 LE HAVRE, 25 juin. — La Sûreté générale fait des recherches au Havre pour retrouver la trace du passage de l’Américain qui, d’après ce qu’on croit, aurait assassiné M. Quémeneur et aurait envoyé du Havre le télégramme  : «  Tout va bien. — Pierre  » qui rassura la famille pendant quelques jours et ralentit les recherches.
 Le télégramme est retrouvé. L’écriture est allongée  : des experts vont être commis pour en examiner le texte.
 M. Quémeneur, âgé de 45 ans, était célibataire et était donc parfaitement libre de ses actes. C’était de plus un homme difficilement influençable, incapable d’un coup de tête dont on ne voit pas la raison.
 En tous cas, on écarte l’hypothèse d’une fugue.
 La police s’arrête donc de plus en plus à l’hypothèse d’un crime. Mais où aurait-il été consommé  ? On ne pense pas que ce soit au Havre où M. Quémeneur n’avait aucun motif d’aller. On se demande si le disparu, ayant été tué à Paris par exemple, l’assassin ne se serait pas embarqué au Havre après avoir lancé son télégramme pour retarder les recherches et se donner le temps de débarquer en Angleterre ou aux Etats-Unis.
 La Sûreté a avisé le Parquet de Brest qui a commis un juge d’instruction, lequel fait procéder à des recherches de son côté.

LA TROUBLANTE DISPARITION DE M. QUEMENEUR

 LANDERNEAU, 25 juin. — A Landerneau et dans tout le canton de Sizun, on ne s’entretient que de la disparition de M. Quémeneur, qui cause une grosse émotion.
 Nous nous sommes présenté la villa «  Ker Abri  », maison tranquille tapie dans la verdure, un peu en retrait de la route de Landerneau, où M. Quémeneur vivait avec sa plus jeune sœur. Mlle Quemeneur a bien voulu nous recevoir, mais ne put rien nous apprendre. Elle se borna à nous déclarer que l’on avait vainement recherché son frère et qu’elle ignorait les résultats de l’enquête qui se poursuit actuellement à Paris et au Havre.
 Nous avons interrogé plusieurs personnes  ; toutes ont le pressentiment que M. Quéméneur a été victime d’un attentat. On a émis l’hypothèse que M. Quéméneur serait subitement parti pour l’Amérique où il aurait été appelé par ses affaires, mais il aurait prévenu sa sœur qu’il tenait toujours au courant de ses déplacements et à qui il avait l’habitude d’écrire presque journellement au cours de ses voyages.
 Dans le pays, où l’on n’a pas oublié le mystère de la Grande Palud, on répète  : «  C’est une seconde affaire Cadiou.  »
 M. Quémeneur était de taille petite  ; il avait1 1  m.  60 environ  ; il avait les cheveux châtains, le visage respirait la franchise. Il portait plusieurs dents aurifiées à la mâchoire supérieure2.

___
1. On employait parfois le verbe «  avoir  » pour indiquer la taille.
2. En réalité, selon son dentiste, un bridge de trois dents en or à la mâchoire inférieure.

LA DISPARITION DE M. QUEMENEUR

La Dépêche de Brest & de l’Ouest, 26 juin 1923, page 1.

Il semble se confirmer que le conseiller
général de Sizun a été assassiné

L’émotion dans la région — Où l’on peut voir le mobile d’un crime
On découvre au Havre la valise du disparu

 On connaissait parfaitement dans toute la région M. Pierre Quéméneur, et l’on n’avait pas manqué de s’étonner à plusieurs fois de ne point le rencontrer en divers endroits, où il avait coutume de fréquenter. Des lettres qu’on lui écrivait demeuraient sans réponse, des invitations lui avaient été faites, et il ne s’y était pas rendu  ; des faits semblables surprenaient de la part d’un homme dont la conduite était si régulière.
 Partout, on se demandait ce qu’était devenu le conseiller général de Sizun. Agé de 45 ans, originaire de Saint-Sauveur, il n’avait jamais, en effet, abandonné notre contrée, où ses relations n’avaient cessé de se développer. Après s’être longtemps occupé de culture, il s’établissait marchand de vins, vers 1910. A l’époque de la guerre, il entreprit le travail du bois et des chevaux. C’est vers 1919, année au cours de laquelle il fut élu conseiller général, qu’il vint se fixer à Landerneau dans une belle propriété appelée Ker-Abri.
 A Brest également, il avait des relations très suivies avec de nombreux industriels, et il était très connu dans notre cité.
 On comprend après cela pourquoi sa disparition cause un si vif émoi. Peut-on l’attribuer à une fugue  ? Nul n’y croit parmi ceux qui connaissent la conduite régulière de M. Quéméneur.
 Alors, qu’est-il devenu depuis le moment où, le 25 mai, à la nuit tombante, M. Seznec l’a vu disparaître sous l’entrée de la gare de Dreux  ?
 A-t-il seulement gagné Paris  ? On ne le sait pas encore. C’est ainsi qu’il devait se rendre chez M. Ackerman, 16, rue de l’asile Popincourt, après avoir fait visite au mystérieux Sherldy, et qu’il ne s’y est pas présenté.

Une bande de malfaiteurs internationaux  (?)

 Mais l’attention se fixe sur les faits inquiétants que nous avons signalés hier. C’est d’abord l’impossibilité de retrouver le personnage qui, sous le nom de Sherldy, correspondait avec M. Quéméneur. Puis, c’est cet inconnu qui se présente au guichet de la poste restante de Paris pour réclamer le chèque de 80.000 fr. que M. Pouliquen, notaire à Pont-l’Abbé, n’a pas encore eu le temps d’y faire parvenir pour son beau-frère. Enfin, c’est ce télégramme du Havre qui avait pour but de calmer les inquiétudes de la famille au moment où elle faisait appel au concours de la justice.
 L’impression très nette qui se dégage de ces faits est que M. Quéméneur a été attiré dans un guet-apens et que la police se trouve à présent en face de malfaiteurs habiles et redoutables.
 Des constatations faites au cours d’enquêtes menées afin d’éclaircir maintes affaires, on a déjà établi qu’il existait en France une bande organisée de bandits internationaux comptant surtout parmi ses membres des Américains  ; faut-il admettre que notre compatriote en a été la victime  ?
 C’est ce que recherchent actuellement des inspecteurs de la Sûreté générale.

Une trop belle affaire

 Pour notre part, nous nous efforçons d’établir sur place quelles étaient les relations d’affaires de M. Quéméneur et de l’Américain Sherldy.
 Tout d’abord, comment l’avait-il connu  ? Pour le moment, nous l’ignorons, mais nous croyons pouvoir l’établir bientôt.
 Nous savons, par contre, que ce mystérieux individu n’écrivait pas directement au conseiller général de Sizun. Ses lettres, à en-tête d’une Chambre de commerce américaine, vraisemblablement ainsi faites pour surprendre la confiance du destinataire, étaient adressées à M. Seznec, à Morlaix.
 M. Seznec, qui devait être associé en cette affaire, les remettait à M. Quéméneur, puis en prenait ensuite lecture. C’est ainsi qu’il pouvait remarquer que les phrases étaient écrites en un français qui rappelait parfaitement celui d’autres correspondants américains.
 Mais qu’était donc cette affaire qui enthousiasmait si fort le disparu, au point qu’il répétait fréquemment à son associé, en lui frappant l’épaule  :
 «  Mon cher Seznec, sois tranquille, nous allons pouvoir bientôt rouler sur l’or.  »
 Il s’agissait d’acquérir des automobiles américaines dans le pays tout entier pour les revendre bon prix à une adresse que Sherldy allait indiquer. Celui-ci, qui se prétendait attaché à la Chambre de commerce, dont ses lettres portaient le nom, réclamait une somme de 2.000 francs par voiture pour avoir procuré l’affaire. Comme tous les véhicules U.S.A. devaient être acceptés, le bénéfice à réaliser était considérable.

Un guet-apens bien préparé

 C’est ainsi, qu’enchanté de l’aubaine, M. Quéméneur se présentait le 24 mai, à la nuit tombante, chez M. Legrand, à Landerneau, et lui exposait l’affaire dans ses grandes lignes, sans toutefois, lui faire connaître le personnage avec lequel il était entré en relations.
 — Moi, disait le visiteur, je me charge de la réception, à Paris, des voitures que Seznec pourra acheter dans toute la France.
 — Mais, objectait M. Legrand, il faudra pour cela des capitaux considérables.
 — Non, car les livraisons se feront par dix voitures immédiatement payées. Pour ma part, j’avance 80.000 francs  ; quant à Seznec, il met dans l’affaire environ 40.000 francs.
 «  Après m’avoir ainsi longuement parlé de ce projet, dit M. Legrand, M. Quéméneur me dit qu’il quittait Landerneau le lendemain, à 5 heures, pour se rendre à Saint-Sauveur, où le conseil municipal se réunissait à 7 heures.
 «  Je dois exposer là, disait-il, une question de chemins vicinaux, mais je n’assisterai pas au déjeuner qui suit d’ordinaire ces séances, car il me faudra prendre le train pour Rennes, où je dois retrouver Seznec.  »
 Et M. Quéméneur quittait M. Legrand après lui avoir promis de revenir bientôt déjeuner en sa compagnie.

Les découvertes de la Sûreté

 La justice, avons-nous dit, procède à des recherches minutieuses, dans le but d’éclaircir le mystère. Ces recherches ne sont pas demeurées vaines. Elles ont même fourni des résultats de première importance, à en juger par le télégramme suivant que nous recevons par notre fil spécial  :

 Paris, 25. — A la suite de l’enquête qu’elle a ouverte sur la disparition de M. P. Quéméneur, 45 ans, négociant à Landerneau, conseiller général du Finistère, la sûreté a pu établir à peu près les faits et gestes du disparu durant les jours qui ont suivi son départ.
 M. Quéméneur est parti de Landerneau à destination de Paris le 24 mai dernier. On perd sa trace le 25 au soir, date à laquelle il a été vu à Dreux avec un de ses amis, M. Seznec, négociant, domicilié à Morlaix.
 Le lendemain de ce jour, le 26, une personne se présentait au bureau de poste du boulevard Malesherbes et demandait au guichet de la poste restante si un pli chargé n’était pas arrivé à l’adresse de M. Quéméneur. Cette personne n’a pu encore être identifiée.
 Il est exact, par ailleurs, qu’un pli chargé a été expédié par M. Pouliquen, notaire à Pont-l’Abbé, à son beau-frère, M. Quéméneur.
 A ce moment, l’enquête fut arrêtée par un avis téléphonique de M. Pouliquen, faisant connaître que son beau-frère venait de télégraphier du Havre à sa famille pour annoncer sa rentrée prochaine. Puis, les 16 et 18 juin, deux lettres et un télégramme des familles Quéméneur et Pouliquen arrivèrent à la sûreté générale, émettant des doutes sur l’authenticité du signataire du télégramme expédié du Havre.
 Le Parquet de Brest, saisi à ce moment, a ouvert une information et plusieurs commissions rogatoires sont en voie d’exécution.
 Le télégramme expédié du Havre paraît, en effet, n’avoir pas été écrit par M. Quéméneur.

M. Quéméneur aurait-il été jeté à la mer  ?

En outre, le 20 juin, une valise était découverte abandonnée et forcée dans la salle d’attente de 3e classe du Havre. Cette valise, qui fut tout d’abord déposée aux objets trouvés, renfermait du menu linge et un portefeuille contenant les papiers d’identité du disparu.
 Les papiers paraissaient avoir été immergés, l’écriture en était délayée et l’on constatait dans les plis du portefeuille des traces de sable de mer.
 Enfin, parmi les papiers se trouvait un petit carnet de dépenses tenu au jour le jour jusqu’au 13 juin. A cette date, on relève encore une dépense afférente à un repas.
 La sûreté générale poursuit sont enquête tant à Paris que dans la région du Havre.

LA DISPARITION DE M. QUEMENEUR

La Presse, 26 juin 1923, page 1.

Le conseiller général aurait été assassiné au Havre

Les circonstances du crime demeurent enveloppées d’un épais mystère

 Les recherches faites à la suite de la disparition singulière de M. Que[men]eur1, marchand de bois à Landerneau, conseiller général du Finistère, semblent établir, à l’heure actuelle, que l’on se trouve en présence d’un crime.

L’Enquête

 On s’est tout d’abord demandé, une fois la valise de M. Quemeneur retrouvée au Havre, dans l’état et dans les conditions que l’on connaît, si son assassin, une fois le crime accompli, n’était pas venu au Havre, pour s’embarquer à destination de l’Amérique.
 On pouvait penser en même temps que pour gagner du temps et détourner les soupçons, le criminel avait envoyé à Mlle Quemeneur, une dépêche tendant à rassurer la famille, sur une absence prolongée de l’intéressé.
 Or, il apparaît comme certain aujourd’hui, que la dépêche a bien été libellée de la main même de M. Quemeneur2.
 Un expert en écriture a été commis, qui établira le fait d’une manière définitive.
 Donc, pour l’instant, on peut admettre que M. Quemeneur était encore au Havre le 13 juin.
 Dans quel but le disparu serait-il venu au Havre  ? Voilà ce que l’enquête cherche à établir.
 On sait que le conseiller général du Finistère était venu de Dreux à Paris, par le train, ayant à y régler des affaires importantes. Est-ce la réalisation d’une de ces affaires qui l’a conduit au Havre  [?]
 Sa famille a fait savoir qu’il était depuis quelque temps désireux de se rendre à Cardiff, pour y terminer une affaire de poteaux de mines.
 Avait-il décidé de s’embarquer au Havre pour l’Angleterre  ?
 On ne tardera pas à être fixé sur ces différents points.

Les Circonstances du Meurtre

 Dans quelles conditions M. Quemeneur a-t-il été assassiné  ? Voilà ce qui demeure encore dans l’obscurité la plus complète.
 Une hypothèse se présente et qui va donner lieu à une enquête particulière.
 Amoureux de la mer, comme tous les Bretons, M. Quemeneur a-t-il été se promener, sur le bord de la falaise, avant de chercher une chambre d’hôtel, et aura-t-il été précipité dans les flots où il aurait été achevé  ? C’est ce que semblent établir les papiers retrouvés dans son portefeuille, qui paraissant avoir été immergés.

Obscurités

 Achevé dans la mer par son ou ses agresseurs, dépoui[l]lé de l’argent contenu dans son portefeuille, qu’il portait dans sa poche, pour quelles raisons l’assassin aurait-il placé dans la valise de sa victime, des papiers susceptibles d’établir son identité  ?
 Pour quelles raisons également le meurtrier aurait-il abandonné la compromettante valise sous une banquette de salle d’attente, où il devait bien supposer qu’elle serait rapidement découverte  ?
 [Tels]3 sont les deux points que cherchent à élucider les policiers chargés de l’enquête.
 Les moindres replis de la côte sont soigneusement visités, dans le but de retrouver le corps du disparu.
 Un autre point demeure obscur, c’est la date même du crime.

Le Train de Paris

 On peut la situer entre le 13 et le 20 juin. La valise a été trouvée le 20 au soir, quelques instants après le départ du train 144, à destination de Paris.
 Il ne serait pas impossible que le meurtrier ait pris ce train après avoir abandonné la valise dans la salle d’attente.
 Toutes ces hypothèses vont être soigneusement examinées et contrôlées.
 Pour l’instant une vingtaine de photographies du disparu ont été envoyées au Havre. La police locale divisée en équipes, va se répandre dans les hôtels de la ville et rechercher au moyen de ces photographies, l’hôtel dans lequel M. Quemeneur aurait séjourné entre le 13 et le 20.
 Il est possible que demain, à la suite de ces diverses vérifications, une piste sérieuse puisse être suivie.

___
1. Source  : «  Quenemeur  ».
2. Ce point, en contradiction avec les autres articles du jour, amène le journaliste à émettre des hypothèses originales.
3. Source  : «  Telles  ».

L’INEXPLICABLE DISPARITION

Le Matin, 26 juin 1923, pages 1 et 3.

On découvre au Havre la valise de M. Quemeneur,
conseiller général du Finistère

Elle contient du menu linge et les papiers d’identité du disparu

 Nous avons relaté hier les circonstances bizarres dans lesquelles un conseiller général du Finistère, M. Pierre Quemeneur, marchand de bois à Landerneau, avait disparu depuis un mois.
 Au cour de l’enquête, actuellement menée au Havre par les soins de la Sûreté générale à la suite de l’étrange dépêche adressée de cette ville, le 13 juin, à la sœur du disparu, une découverte non moins étrange a été faite, hier, dans cette ville. C’est celle, au bureau des objets perdus du Havre, de la valise de M. Quemeneur. Cette valise, il y a six jours, le 20 juin, avait été trouvée abandonnée dans la salle d’attente des deuxièmes classes de la gare du Havre. Elle paraissait avoir été forcée, mais renfermait néanmoins du menu linge et un portefeuille contenant les divers papiers d’identité de M. Quemeneur, ainsi que diverses notes, dont un petit carnet de dépenses, tenu au jour le jour jusqu’au 13 juin. A cette date, on y relevait encore une dépense afférente à un repas. Mais là s’arrêtaient les comptes. Il y a lieu de noter que c’est ce même jour du 13 juin, que fut expédié du Havre, à Mlle Quemeneur, le télégramme que nous signalions hier et qui était ainsi conçu  :
Ne rentrerai Landerneau que dans quelques jours. Tout va pour le mieux — Pierre.

Qui ? Pourquoi ? Comment ?

 Porteur d’un mandat régulier du juge d’instruction de Brest, l’inspecteur de la Sûreté générale chargé d’aller enquêter au Havre a saisi le texte original de cette dépêche, dont l’écriture, hâtive, paraît légèrement différente de celle de M. Quemeneur. Il a saisi également la valise trouvée dans la salle d’attente, ainsi que le linge et les documents qui y étaient enfermés. Le tout va être mis à la disposition du juge d’instruction de Brest, qui fera examiner les textes du carnet de dépenses et du télégramme par un expert en écriture. Si ces textes sont bien de la main de M. Quemeneur, il y aura lieu de rechercher comment et pourquoi celui-ci s’est rendu au Havre où nulles raisons ne semblaient devoir l’amener  ; par qui et pourquoi il y aurait alors été entraîné, et, que serait-il devenu depuis le 13 juin, date où, pour la dernière fois, il aurait donné de ses nouvelles par le télégramme adressé à Mlle Quemeneur  ?
 Dans le cas contraire, c’est-à-dire si le texte original de la dépêche, et si les inscriptions portées sur le carnet de dépenses trouvé dans la valise, ne sont point de l’écriture du disparu, quel est l’homme qui, après avoir fait disparaître le conseiller général du Finistère, se rendit au Havre où il vint abandonner dans la gare de cette ville la valise de M. Quemeneur, après avoir eu le soin étrange d’y laisser les papiers d’identité de celui-ci et son carnet de dépenses  ? Dans quel but, ensuite, envoya-t-il une dépêche à Mlle Quemeneur  ? Quelles hypothèses, par ces gestes successifs, voulait-il faire naître et quels soupçons voulait-il détourner  ? Autant de questions, singulièrement complexes, on le voit, que se pose actuellement la justice sur ces gestes encore inexpliqués et qui se compliquent d’un autre détail non moins singulier  :
Les papiers d’identité de M. Quemeneur, trouvés dans la valise abandonnée à la gare du Havre, paraissent avoir été immergés. L’écriture en est délavée, et l’on constate dans les replis du portefeuille des traces de sable de mer.
 Et alors, une autre question se pose. Quels mobiles amenèrent l’X mystérieux, autour duquel gravite l’énigme actuelle, à retirer de l’eau où ils avaient été jetés, ces papiers et ce portefeuille, pour venir les replacer, bien en évidence, dans la valise abandonnée, non moins en évidence, dans la salle d’attente de la gare du Havre  ? Quel intérêt si puissant avait-il à ce que nul ne doutât que M. Quemeneur avait été assassiné  ?

Du sang sur la valise du disparu

[DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER]

 LE HAVRE, 25 juin. — Par téléphone. — Voici des détails complémentaires sur la découverte de la valise de M. Quemeneur. C’est mercredi dernier, 10 heures, après le départ du train de 6  h.  35 partant pour Paris qu’un employé découvrit dans la salle d’attente des troisièmes classes, sous une banquette une petite valise rectangulaire. Elle fut remise à M. Lecrocq, chargé du service des objets trouvés.
 L’employé en prenant la valise remarqua que la serrure était brisée. Il fit un rapide inventaire des objets qu’elle contenait. Il trouva du linge sale, un dém[ê]loir de poche, un portefeuille contenant divers papiers et un carnet sur lequel étaient notés des comptes. On remarquait sur ce carnet les indications suivantes, faites au crayon-encre  [:] «  voyage de Paris au Havre  : 32 francs  ; déjeuner 8 francs  ; voyage.....  » Le mot était illisible, car ce carnet avait séjourné dans l’eau et il était tout m[â]churé. M. Lecrocq trouva encore dans la valise une adresse.
 Le service de la gare écrivit à M. Quemeneur à Landerneau pour lui demander ce qu’il fallait faire de cette valise. On ne reçut aucune réponse.
 Ce n’est qu’aujourd’hui par les journaux, que les employés se souvinrent du nom du propriétaire de la valise. On ouvrit de nouveau la valise et l’on refit l’inventaire.
 On constata, cette fois que la serrure de cette mallette était tachée de sang.
 Aura-t-elle été laissée par un voyageur qui s’est embarqué pour les Etats-Unis et a cherché, en la laissant à la gare du Havre, à détourner les soupçons  ?
 Il est intéressant de signaler que le 14 juin, le lendemain du jour où une dépêche fut adressée du Havre à Mlle Quemeneur, est parti pour New-York le transatlantique Chicago.

Le récit de M. Sezenec

 BREST, 25 juin. — Telégr. Matin. — Voici ce que déclare M. Sezenec, le commerçant de Morlaix, qui, le 24 mai, quitta, en automobile, Landerneau en compagnie de M. Quemeneur  :
Le 24 mai, j’ai retrouvé à Rennes M. Quemeneur. Je me rendais à Paris pour y vendre une voiture automobile, vente dans laquelle était intéressé pour une part M. Quemeneur. Le soir de notre rencontre à Rennes. M. Quemeneur télégraphia de cette ville à M. Pouliguen, son beau-frère, notaire à Morlaix, pour le prier de lui adresser à Paris, au bureau restant du boulevard Malesherbes, un chèque de 80.000 francs sur la Société générale, somme dont il avait besoin pour traiter à Paris diverses affaires. Nous devions repartir de Rennes en automobile le lendemain 25 mai, à 5 heures du matin.
 Nous prîmes notre petit déjeuner une heure plus tard, à Ernée, 28 kilomètres après Vitré. Puis, à midi, nous avons déjeuné au Mesle, dans la Sarthe, et en sommes repartis à 13  h.  30. Mais, à partir de Mortagne, nous eûmes des pannes successives, et, à 16 heures, une nouvelle panne nous immobilisa en pleine ville de Dreux. M. Quemeneur alla chercher un mécanicien local. On répara et nous repartîmes. Cependant, au bout de cinq ou six kilomètres, nous comprîmes que nous ne pourrions aller bien loin, car la voiture n’avançait pas, et nous revînmes à Dreux.
 M. Quemeneur qui, de son côté, avait des rendez-vous urgents pour le lendemain, à Paris, où il devait se rencontrer avec quelqu’un à 8 heures du matin, avenue du Maine, décida de me quitter et de prendre le train.
 — Tâchez de gagner Paris, me dit-il, si vous croyez la chose possible, avec la voiture. Vous m’y retrouverez à l’hôtel de Normandie, près de la gare Saint-Lazare.
 La nuit tombait. Il était 21  h.  30 environ. Je pris la route de Paris, mais, hélas  ! pour rester de nouveau en panne à 12 kilomètres de Dreux. Il était tard, et après avoir vainement tenté de réparer, je m’endormis dans la voiture, ayant abandonné tout espoir d’atteindre Paris. Je repartis le lendemain et revins à Morlaix, où je comptais faire réparer la voiture par mon mécanicien habituel, plutôt que de la faire réparer à Paris, où cela m’eût coûté beaucoup plus cher. Depuis, je n’ai plus eu de nouvelles de M. Quemeneur.

 De son côté, M. Le Grand, industriel à Landerneau, nous a dit  :
M. Quemeneur est venu me rendre visite précisément la veille de son départ pour Rennes. Il m’a informé qu’il s’occupait actuellement de l’achat d’automobiles américaines demeurées en France, et qu’il devait les livrer à Paris à un commissionnaire américain; nommé Scherdly, qui s’en rendait acquéreur au prix de 30.000 francs pièce. Il paraissait enchanté et me dit  :
 »  — Nous allons bientôt rouler sur l’or  !
 »  — Mais, pour réaliser votre projet, lui dis-je, il faut beaucoup d’argent  !
 »  — Je mets 80.000 francs dans l’affaire, et Sezenec, de Morlaix, en met 40.000[.]

 Disons que M. Pierre Quemeneur était originaire de Saint-Sauveur (Finistère).
 C’est en 1919, après avoir été élu conseiller général, qu’il vint s’installer à Landerneau, où il acheta une propriété, nommée Ker-Abri.

Enquête vaine

 Jusqu’ici, hormis les découvertes étranges que nous signalons d’autre part, rien n’a pu apporter la moindre lumière. On recherche en quel endroit de l’avenue du Maine M. Quemeneur pouvait avoir le rendez-vous annoncé à M. Sezenec. De même, on recherche le courtier américain, M. Scherdly. L’entrevue eut-elle lieu  ?
 En tout cas, il est établi dès maintenant que dans la matinée du 26 mai, jour où le conseiller général du Finistère avait ces rendez-vous à Paris, quelqu’un se présenta au bureau de poste du boulevard Malesherbes et demanda au guichet de la poste restante si un pli chargé n’était pas arrivé à l’adresse de M. Pierre Quemeneur. Mais ce pli n’était pas encore arrivé et ne put, en conséquence, être délivré. Ce pli était celui contenant le chèque de 80.000 francs demandé par M. Quemeneur son beau-frère. Est-ce M. Quemeneur qui se présenta ce matin-là au bureau de poste du boulevard Malesherbes  ? C’est possible. Mais on n’a pu l’établir de façon formelle.
 Par ailleurs, des recherches ont été faites par le service des garnis dans les hôtels de Paris. Nulle part, on ne trouve trace de M. Quemeneur.

AUTRES ARTICLES

La Croix, page 5.
La Dépêche de Brest (supra)
L’Écho d’Alger, page 1.
Excelsior (supra)
Le Figaro, page 2.
Le Gaulois, page 2.
L’Humanité, page 3.
Le Journal, page 1.
Le Matin (supra)
L’Ouest-Éclair (supra)
Le Petit Journal, pages 1 et 3.
Le Petit Parisien, page 1.
Le Populaire, page 1.
La Presse (supra)


In Le Journal.


In Le Petit Journal.


In Le Petit Parisien.

Aucun commentaire: