Vendredi 29 juin 1923

28 juin 1923 | 30 juin 1923
DOCUMENT  : Perquisition de Ker-Abri
PRESSE  : La Dépêche de Brest

ÉVÉNEMENTS

 De bonne heure, Guillaume Seznec revient à la Sûreté générale, où il déjeune d’un bol de lait et de deux croissants1. Vers 9 heures, le commissaire Vidal le fait venir dans son bureau pour l’entendre à nouveau, puis lui demande de l’accompagner à Dreux2.
 Vers 9 heures, le juge d’instruction Binet et le procureur de la République Guilmard de Brest arrivent à Landerneau pour effectuer une perquisition de la villa Ker-Abri, assistés par le commissaire Cunat et l’inspecteur Le Gall de Rennes, l’inspecteur Lecerre de la Sûreté générale et le greffier d’instruction Kutschner. La perquisition se déroule en présence de Jean Pouliquen et Louis Quéméner3.
 Vers 10 heures 45, Vidal, Seznec et deux inspecteurs de la Sûreté générale partent pour Dreux en voiture, où ils arrivent vers midi. Seznec ne parvient pas à indiquer le chemin de la gare et ne retrouve pas le restaurant où il a dîné avec Pierre Quéméner4.
 Quittant Dreux, Vidal et ses inspecteurs emmènent Seznec dans la direction de Houdan et interrogent en route les hôteliers. Le propriétaire de l’hôtel-restaurant Le Plat d’Étain à Houdan reconnaît formellement Seznec comme l’un de ses clients. L’hôtelier situe l’arrivée des voyageurs vers 21 heures 30 et leur départ après 22 heures. Seznec admet alors que c’est en effet à Houdan qu’il a dîné le 25 mai et que c’est probablement à la gare de cette ville qu’il a déposé Pierre Quéméner5.
 Dans la soirée, Vidal, ses inspecteurs et Seznec retournent à Dreux, où ils dînent vers 22 heures 30. Rejoint par le juge d’instruction Girod, Vidal reprend l’interrogatoire de Seznec après le repas, vers 23 heures, dans le bureau du commissaire Baumelou de Dreux6. Cette audition ne se termine que vers 2 ou 3 heures du matin7. Tout le monde passe la nuit à Dreux  : Vidal et ses inspecteurs à l’hôtel de France, et Seznec au commissariat8 ou à l’hôtel9, sous surveillance.

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1. Le Petit Parisien du 30 juin 1923.
2. Le Journal du 30 juin 1923.
3. Procès-verbal de transport sur les lieux ci-dessous.
4. Le Petit Parisien et Le Journal du 30 juin 1923.
5. Le Matin du 30 juin 1923.
6. Le Matin et Le Petit Parisien du 30 juin 1923.
7. Le Petit Journal et La Dépêche de Brest du 1er juillet 1923.
8. Le Quotidien du 1er juillet 1923. L’hôtel de France, fermé en 2002, était situé 24, rue Saint-Martin.
9. La Dépêche de Brest du 1er juillet 1923.

PROCÈS-VERBAL DE TRANSPORT
par le juge Binet (perquisition de Ker-Abri)

L’an mil neuf cent vingt trois, le 29 juin, nous soussigné Ernest Binet, juge d’instruction à Brest, accompagné de M. Guilmard, Procureur de la République, et assisté de Me Kustchner1, greffier d’instruction, déclarons nous être transportés à la villa Kerabri, propriété de M. Quémeneur, sise à Landerneau, à l’effet de procéder à une perquisition tendant à rechercher toutes pièces, documents, pouvant servir à la manifestation de la vérité dans l’information ouverte à l’occasion de la disparition du sieur Quémeneur, survenue dans des conditions suspectes et de nature à faire supposer un attentat criminel.
 Arrivés à 9 heures du matin à la villa Kerabri, nous y avons été reçus par M. Pouliquen, notaire à Pont-l’Abbé, beau-frère de M. Quémeneur, et M. Quémeneur Louis, frère du disparu.
 Après leur avoir fait connaître le but et l’objet de notre visite, ces messieurs nous ont introduits dans le bureau de leur beau-frère et frère, sis au rez de chaussée de la villa Kerabri.
 Avant de procéder aux opérations qui déterminaient notre visite, nous avons remarqué, tant sur le bureau de M. Quémeneur que dans les casiers ou armoires diverses qui garnissaient le local, un désordre manifeste  : des papiers, documents divers, registres, agendas, étaient pêle-mêle répandus un peu partout.
 Avec l’assistance de M. Cunat, commissaire de police mobile à Rennes, M. Legall
2, inspecteur de police également à Rennes, et M. Leserre3, inspecteur de la Sûreté générale, attaché au service des Recherches Judiciaires, nous avons procédé à l’examen minutieux du bureau de M. Quémeneur, des tiroirs de sa table de travail, des casiers adhérant au mur de la pièce servant de cabinet de travail, ainsi que du coffre fort s’y trouvant.
 Nous remarquons tout d’abord l’absence de toute comptabilité régulière  : nous ne rencontrons ni livres de commerce, ni copies de lettres, seulement quelques agendas, relatifs à un négoce de vins ou de bois remontant à des années antérieures et dans lesquels on ne saurait rencontrer aucunes indications utiles à l’affaire en cours actuel.
 Toutefois, nous saisissons divers documents pouvant présenter un intérêt quelconque, que nous plaçons sous scellés numérotés 1, 2, 3, 4 et 5, après les avoir revêtus de notre cachet, et qui se réfèrent  : le n°  1 à des tractations de voitures automobiles  ; le n°  2 à des projets de vente de la propriété Traonez  ; le n°  3 à des correspondances diverses, types de signature Quéméneur, photographies et livret militaire du disparu  ; le n°  4 comptes de Quémeneur à la Société Bretonne, carnets de chèques divers  ; le n°  5 dossier de Jaegher.
 Il convient d’observer que dans les investigations auxquelles nous avons procédé il nous a été impossible de découvrir une trace quelconque de correspondance échangée entre Quemeneur, Seznec et l’Américain dit Schardy ou Charly.
 Après avoir minutieusement inventorié le bureau de M. Quemeneur, nous avons parcouru successivement les différentes pièces composant l’appartement du dit, notamment sa chambre à coucher et les armoires ou meubles la garnissant  : nous n’y avons rien découvert.
 Nous ajoutons que notamment, ni dans le coffre fort, ni dans les tiroirs des meubles, nous ne trouvons aucune somme d’argent, ni espèces, ni billets, ni dollars.
 Le coffre fort contient des reconnaissances de dettes, pour des sommes importantes, souscrites au profit de Quemeneur par différents membres de sa famille et pour plusieurs centaines de mille francs.
 En foi de quoi, nous avons signé le présent procès verbal de transport, avec MM. Guilmard, Procureur de la République, Kustchner, greffier, Cunat, commissaire de police mobile à Rennes, Legall, inspecteur de police mobile à Rennes, et Leserre, inspecteur au Contrôle général des recherches à Paris.

Landerneau, le 29 juin 19234

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1. Le juge Binet a inversé deux lettres du nom de son greffier, qui s’appelait en réalité Kutschner, comme le montrent sa signature et un article de L’Ouest-Éclair du 16 juillet 1925, page 5.
2. Pierre Le Gall.
3. Henri André Lecerre, graphie confirmée par sa signature et par des décrets publiés au Journal officiel de la République française.
4. J’ai reproduit ce texte à partir de photographies du procès-verbal manuscrit. J’ai respecté les graphies des noms propres, ainsi que l’absence de traits d’union à «  procès verbal  », «  rez de chaussée  » et «  coffre fort  », qui suit l’ancien usage, mais j’ai modifié la ponctuation erratique et la présentation de la liste des scellés. Il existe une ancienne copie dactylographiée de ce texte, qui est principalement fautive sur la transcription des noms du greffier («  Kusdetunen  ») et de l’inspecteur de la Sûreté générale («  Lesetre  »), et qui a rendu «  Charling  » là où je vois «  Charlie  » corrigé en «  Charly  ».

LA DISPARITION DE M. QUÉMÉNEUR

La Dépêche de Brest & de l’Ouest, 29 juin 1923, pages 1, 2 et 5.

Au conseil municipal de Saint-Sauveur — Une étrange attitude
Les prix exagérés de certains garages — Pour éviter
de payer des droits — M. Seznec longtemps interrogé à Paris

 M. Pierre Quéméneur, on le sait, était conseiller général de Sizun  ; mais il était aussi, et depuis bien plus longtemps encore, [c]onseiller municipal de Saint-Sauveur.
 Venu de Commana, où il participait à l’exploitation d’une ferme avec ses parents, il s’était établi marchand de vins vers 1906 en ce bourg, dont les électeurs le portaient à l’hôtel de ville en mai 1908.
 Depuis cette époque, toujours réélu, on comprend que M. Quéméneur était connu de tous à Saint-Sauveur et que sa disparition y ait causé une profonde émotion. Il devait d’ailleurs se fixer à nouveau en ce pays, où il n’avait connu que des jours heureux et de bons compagnons.
 À cet effet, il avait, en 1922, fait acquisition d’un terrain à l’entrée du bourg, dans l’intention d’y construire un important immeuble qui devait lui servir de résidence. Pourtant, au début de cette année, il en cédait la moitié, partie à Mlle Rolland, dont la maison s’édifie actuellement, partie à M. Picard, qui doit prochainement y faire construire la sienne.
 En dépit de ce morcellement, le conseiller général n’avait pas abandonné l’idée de venir habiter Saint-Sauveur. Il lui restait suffisamment de terrain pour y planter sa tente.
 Le 24 mai, nous l’avons dit, le conseil municipal de Saint-Sauveur se réunissait. Comme tous ses collègues, M. Quéméneur avait été convoqué.
 Dans la soirée du 21, comme il traversait le bourg en automobile, il fit1 la rencontre du secrétaire de mairie, auquel il dit  :
 —  Je ne manquerai certainement pas d’assister jeudi à la séance.
 Son intention ne peut être mise en doute car, on se le rappelle, le mercredi 23 mai, il s’était rendu dans la soirée chez M. Legrand, à Landerneau, et lui avait déclaré  :
 —  Je pars demain à 5 heures pour Saint-Sauveur pour assister à la séance du conseil municipal, qui doit avoir lieu à sept heures. Il est indispensable que j’y sois, car je dois traiter une question de chemins vicinaux. Mais, comme je dois prendre le train pour Rennes, je ne pourrai pas assister au banquet qui suit d’ordinaire ces réunions.
 «  Ce soir-là, ajoutait M. Legrand, M. Quéméneur m’a paru quelque peu anormal. Je trouvai tout d’abord étrange qu’il vint me voir à une heure aussi tardive, puisque la nuit tombait, et puis son attitude m’étonnait. En un mot, il me paraissait drôle.  »
 À Saint-Sauveur, le lendemain, on attendit vainement M. Quéméneur. On l’attendit précisément à cause de la question des chemins et aussi parce qu’il y avait une importante décision à prendre au sujet de la construction d’une nouvelle école. Et ce fut une surprise générale de ne point le voir à l’ouverture de la séance, retardée à son intention jusqu’à 9 heures environ.
 —  Vers 10 heures, nous dit M. J.  F. Abgrall, maire, on me remit une lettre de M. Quéméneur, datée du jour même à Landerneau, 24 mai, s’excusant de ne pouvoir venir à la séance «  car il était très fortement grippé depuis quelques jours.  »
 «  Aucune mention d’un voyage quelconque, mais quelques phrases ayant trait à la question des chemins vicinaux et ruraux. Il me priait d’en donner connaissance au conseil, ce qui fut fait immédiatement.
 «  Notre banquet ordinaire, ajoute M. Abgrall, n’eut pas lieu ce jour-là. En raison des travaux des champs, nous avions résolu de le reporter à un dimanche. La date choisie avait été le 27 mai. Comme tous, M. Quéméneur en avait été avisé et nous fûmes surpris de ne recevoir de lui aucune réponse.
 «  Dans tout cela, ce qui nous étonne le plus, c’est que le disparu ait cru devoir prétexter une indisposition pour ne pas assister à la séance, alors qu’il partait le matin même du jour où il datait sa lettre pour un voyage  !  »
 Chose étrange, au cours de notre enquête, nous croyons devoir le dire, plusieurs de nos interlocuteurs nous ont déclaré tout comme M. Legrand  : «  Depuis quelque temps, l’attitude de Pierre Quéméneur nous semblait drôle  !  »
 À quoi cela tenait-il  ? Vraisemblablement à l’enthousiasme qu’il éprouvait pour cette affaire d’automobiles et qui lui faisait dire à M. Seznec  :
 —  Sois confiant  ; bientôt, mon vieux, nous roulerons sur l’or  !

Pourquoi M. Seznec a cru devoir revenir de Dreux à Morlaix

 Tandis que, par toute la région, pour ne pas dire par tout le pays, bien que cette mystérieuse affaire ait accaparé l’attention générale, on émet inlassablement des hypothèses, on retrouve sur toutes les lèvres la même question  :
 —  Pourquoi M. Seznec, se trouvant à Dreux, c’est-à-dire à 80 kilomètres de Paris, a-t-il jugé plus pratique de rebrousser chemin pour regagner Morlaix, c’est-à-dire de faire à nouveau 480 kilomètres  ?
 À cela, nous avons déjà fourni sommairement la réponse de l’intéressé  ; mais nous croyons utile aujourd’hui de la donner complète. Nous l’avons reçue de nouveau hier de Mme Seznec et elle confirme pleinement ce que nous avait indiqué son mari dès le premier jour  :
 —  Mon mari n’a pas voulu poursuivre son chemin vers Paris après avoir quitté M. Quéméneur à Dreux, car, après la dernière panne qui l’immobilisa durant la nuit, à une dizaine de kilomètres de toute habitation, il ne pouvait songer à présenter la voiture à un acquéreur dans cet état  ; d’autant moins qu’elle était la première de celles que nous devions livrer.
 «  Certes, on pouvait la faire réparer à Paris, mais nous étions fixés depuis déjà longtemps sur les habitudes de certains garagistes parisiens. Nous l’étions d’autant mieux que nous avons dû, il n’y a pas très longtemps, laisser ainsi à Paris, durant un an environ, une limousine Westinghouse en parfait état. Lorsqu’on nous l’a rendue, la carrosserie ne se reconnaissait plus, tellement on s’en était servi.
 «  De plus, nous avons dû payer 2.400 francs de garage et 600 francs environ de transport. C’est pour éviter le renouvellement de semblable fait que mon mari a préféré rentrer à Morlaix, en dépit du mauvais état du véhicule.  »
 Et Mme Seznec nous présente la Cadillac qui fait aujourd’hui l’objet de tant de conversations. On répare en ce moment ses multiples avaries  : coussinets fondus, etc. Comme elle a roulé à plat depuis Le Ponthou jusqu’à Morlaix, la jante droite avant est complètement usée.
 —  Mon mari à son retour, ajoute notre interlocutrice, avait les mains dans un état lamentable, tant il avait dû faire d’efforts pour mener à bien les innombrables réparations entreprises en cours de route.

Une propriété payée en or

 La famille Quéméneur, dit un télégramme venu de Paris, élève des doutes au sujet de certaines inscriptions du carnet et surtout au sujet d’un acte sous seing privé en date du 22 mai, et signé Quéméneur et Seznec. Cet acte concerne la vente d’une propriété.
 Nous avons soumis ce télégramme à Mme Seznec, qui nous a exposé ce qui suit  :
 Je me plaignais depuis déjà longtemps d’habiter Morlaix à cause surtout des injustices qu’on faisait subir à mon mari. Comme je le faisais devant M. Quéméneur, qui fréquentait notre maison où il couchait lorsqu’il venait à Morlaix, il me dit un jour  :
 «  Pourquoi donc n’achetez-vous pas la propriété que je possède à Plourivo, dans les Côtes-du-Nord  ? Elle est très bien située et comporte environ 90 hectares de terrain.  »
 «  Je savais, par lui-même, que M. Quéméneur avait coupé une partie importante de cette propriété et qu’il en avait tiré pour 100.000 francs environ de poteaux de mines  ; aussi nous discutâmes du prix.
 «  Vers la fin d’avril, mon mari et moi nous accompagnions M. Quéméneur à sa propriété, qu’il tenait à nous faire visiter. Elle nous plut. Mais la somme qui nous était demandée nous paraissait trop forte.
 «  Depuis longtemps déjà, de son côté, notre ami eût bien voulu que nous lui cédions des dollars en or que j’avais amassés alors que je blanchissais à Brest le linge des hôpitaux et celui des Américains. J’avais ainsi mis en réserve 19 pièces de 20 dollars et 206 pièces de 10 dollars  ; mais je ne voulais m’en séparer à aucun prix.
 «  Pourtant, pour obtenir la propriété désirée, je me voyais contrainte de m’y résoudre.
 «  —  Quand vous aurez vu la propriété, me répétait M. Quéméneur, vous vous déciderez certainement à vous séparer de votre or.  »
 «  Il avait vu juste. En effet, après la visite faite à Plourivo, je me décidai. Le prix convenu devait être représenté par les dollars, plus une somme de 35.000 francs. Pourtant, afin d’éviter les frais d’enregistrement, on résolut de ne point mentionner les dollars dans l’acte de vente.
 «  Et voilà pourquoi le 22 mai mon mari, portant l’or dans une boîte de carton, se rendait à Brest où il passait marché avec M. Quéméneur. Celui-ci, après accord décidé dans un café, se rendit chez un ami du voisinage où il fit taper à la machine les deux formules  ; puis, à la main, il ajouta  : «  Lu et approuvé, fait en double le 22 mai 1923  », et tous deux signèrent.
 «  M. Quéméneur a-t-il emporté les dollars à Paris  ? Voilà ce qu’il serait important de savoir  !  »

L’interrogatoire de M. Seznec

 Paris. — L’enquête ouverte par le parquet de Brest pourrait bien recevoir une solution prochaine assez inattendue.
 M. Vidal, commissaire de police à la sûreté générale, a interrogé M. Seznec, le camarade de l’infortuné M. Quéméneur pendant son voyage de Landerneau à Dreux.
 Nous disons infortuné, car la sûreté générale a de plus en plus la conviction que le conseiller général du Finist[è]re a été assassiné. Quel serait l’assassin  ? Quel serait le mobile du crime  ? La sûreté générale nous le dira peut-être bientôt, dès que ses soupçons seront devenus certitude.
 Arrivé à sept heures du matin à la gare Montparnasse, M. Seznec fut accompagné à la sûreté générale, où M. Vidal commença un long interrogatoire.
 Interrompue par le déjeuner, l’audition du témoin fut reprise vers deux heures et se prolongea fort avant dans la journée  : les circonstances du voyage en auto, si malencontreusement interrompues, furent rappelées. Puis, le commissaire se livra à un examen minutieux des affaires traitées entre M. Quéméneur et Seznec.
 Cet examen porta notamment sur un acte sous seing privé comportant promesse de vente d’une propriété de 90 hectares appartenant à M. Quéméneur, appelée «  Taou-Nez  »2, dans les Côtes-du-Nord. Cet acte est dactylographié.
 Où fut rédigé cet acte  ? Quel fut le dactylographe  ? À ces questions, M. Seznec a répondu simplement  : «  C’est M. Quéméneur lui-même qui a fait taper cet acte à Brest.  »
 Aucune autre précision ne fut donnée. Ce contrat est signé par M. Quéméneur. Ainsi que l’exige la loi, la signature est précédée des mots Lu et approuvé, de la même écriture. On lit encore, écrit à la main  : «  Fait en double à Landerneau, le 22 mai 1923  ».
 Aucun témoin n’a assisté à la rédaction ni même à la signature de l’acte. Cette signature, d’après M. Seznec, fut donnée par M. Quéméneur, café des Voyageurs, à Brest.
 L’enquête faite par les soins des polices de Brest et de Paris a mis en lumière la mauvaise situation financière de M. Seznec. Il a eu à maintes reprises — il le reconnaît — recours à des emprunts et fut menacé plusieurs fois de saisie.
 Dans ces conditions, M. Vidal s’étonna que M. Seznec ait pu donner à M. Quéméneur 4.040 dollars-or, qui représentent une somme d’environ 65.000 francs. L’enquête n’est d’ailleurs pas terminée sur ce point.
 Notons que M. Seznec fut toujours entendu à titre de témoin.
 On sait que M. Pouliquen, notaire à Pont-l’Abbé, et Mlle Quéméneur, beau-frère et sœur du disparu, sont à Paris depuis quelques jours. Hier, ils avaient déjà émis des doutes sur l’authenticité des notes et inscriptions relevées sur le carnet de M. Quéméneur.
 Aujourd’hui, ils ont déclaré que l’écriture des mots manuscrits tracés au bas de l’acte de promesse de vente de la propriété de Taou-Nez n’était pas celle de M. Quéméneur. Ils ont affirmé leur doute malgré les dénégations de M. Seznec.
 On apprend du Havre que les vérifications se poursuivent.
 Dans cette ville, où la présence de M. Quéméneur aurait été signalée les 11, 12 et 13 juin, aucun indice probant n’a été trouvé.
 D’autre part, M. Vidal a reçu la visite de deux personnes, qui ont fait des déclarations au sujet de l’affaire Quéméneur, déclarations qui vont être vérifiées. Elles portent, croyons-nous, sur des points de détail qui n’ont qu’un rapport lointain avec la disparition du conseiller général.

Autour d’un télégramme

 Landerneau, 28. — Des doutes ont été émis au sujet de l’authenticité de la dépêche  : Ne rentrerai Landerneau que dans quelques jours. Tout va pour le mieux, et soi-disant signée  : Pierre, expédiée du Havre à la date du 13 juin à Quéméneur, négociant à Landerneau. Aujourd’hui, continuant nos recherches, nous apprenons que ce télégramme, qui avait fait cesser pendant quelques heures les recherches, n’était pas signé Pierre, mais bien du nom propre Quéméneur, et qu’à sa réception sa sœur, connaissant les démarches déjà entreprises par son frère Louis, marchand de bois à Paimpol, pour retrouver Pierre, fit immédiatement la remarque suivante à des personnes présentes  : «  Tiens, c’est drôle, des nouvelles de mon frère, mais la dépêche est signée Quéméneur, et je ne sais lequel de mes deux frères me l’expédie  !  »
 L’incertitude ne fut pas de longue durée, car, le soir même, Louis revenait à Landerneau.
 Voilà donc un nouveau fait qui a aussi son importance. Après le titre de négociant que nous avons relevé, hier, sur l’adresse, nous apprenons aujourd’hui que la dépêche est signée Quéméneur, alors que, logiquement, et pour calmer les inquiétudes des siens, qu’il n’avait jamais laissé si longtemps sans nouvelles, il devait, comme d’habitude, signer Pierre.
 Des inspecteurs de la sûreté de Paris et de la brigade mobile de Rennes sont à Landerneau depuis deux jours, et procèdent à des recherches. Ils interrogent ceux qui furent en relations avec M. Quéméneur, pour relever certains détails encore obscurs jusqu’à ce jour.

L’AFFAIRE QUÉMÉNEUR

L’Enquête au Havre

 Le Havre, 28. — Des inspecteurs de la sûreté, continuant leur enquête, ont appris que le dimanche 10 juin un voyageur, répondant au signalement de M. Quéméneur et vêtu d’un costume gris clair, a déjeuné dans un restaurant du boulevard Albert Ier. Il est revenu dans le même établissement le lendemain ou le surlendemain.
 Diverses autres recherches dans la région du Havre n’ont donné aucun résultat.

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1. Une ligne a été insérée par erreur après ce mot  : «  immeuble qui devait lui  ».
2. Traou-Nez.

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