Mardi 10 avril 2018

ERNEST CONRAD ACHERMAN, LE CONTACT PARISIEN

 Ackerman ou Ackermann est l'un des deux contacts américains à Paris de Pierre Quéméner désignés par Guillaume Seznec, tout d'abord à Jean Pouliquen le 10 juin 1923, puis au journaliste de La Dépêche de Brest le 25 juin (article paru le 26, dans lequel on donne même l'adresse personnelle de cet homme, 16 rue de l'Asile-Popincourt). Et dans la valise de Quéméner retrouvée au Havre le 20 juin, se trouvait « une carte de Seznec recommandant à M. Ackermann de réserver bon accueil à son ami Quemeneur » selon Pouliquen.
 Je reviendrai plus tard sur ce que je pense de l'implication de ce personnage dans l'affaire. J'avais à cœur de l'identifier un peu mieux dans un premier temps. Tout d'abord, comment écrire son nom ? Ackermann chez Pouliquen ainsi que chez Bernez Rouz, qui est le seul auteur à s'être un peu intéressé à lui, et Ackerman dans La Dépêche de Brest. J'avais pensé que Pouliquen avait vu son nom sur sa boîte aux lettres ou sur sa porte, puisqu'il lui avait rendu visite à Paris le 12 juin, et qu'il avait probablement raison sur la graphie du nom. Cependant, sur le procès-verbal d'audition de cet homme il était écrit Ackerman.
 Pour m'aider, madame Liliane Langellier m'avait indiqué le résumé des recherches faites par la généalogiste Catherine Clausse et publié sur un site horriblement conspirationniste, truffé de fautes de frappe et pratiquement illisible. Voici ce résumé :

 Ernest ACKERMAN... l'Américain... celui qui s'est installé à Paris et que Pierre Quéméner devait aller voir. D'abord, il n'est [a]méricain que de nationalité, ayant laissé au porte-manteau sa Suisse natale, femme et enfants ! Entré sur le territoire américain par le Canada, il y résidera 8 années en Californie. Arrivé [en France] durant le premier trimestre 1918 avec les troupes alliées, il se retrouva à Brest au service du nettoyage et c'est très probablement là qu'il fera connaissance avec Guillaume SEZNEC. Parti de Brest pour s'installer sur Paris où il travaillera pour le service des cimetières américains (A.G.R.S.). Bigame, cela ne le dérangera pas pour convoler une seconde fois en noces avec une Audonien[n]e... qui finira par le planter là... s'apercevant peut-être qu'il a triché sur tous les coups. Divorcé et remarié de suite avec une Brestoise qu'il emmena avec lui dans ses bagages.

 Ce site ne donne pas ses sources, par manque de place, mais nous assure que toutes les informations données sont vérifiables. J'ai cependant souhaité commencer par le procès-verbal d'audition de cette personne le 27 juin 1923 devant le commissaire Achille Vidal de la Sûreté générale à Paris. La copie de la première page sur le site de Denis Langlois est malheureusement difficile à lire. J'ai cru distinguer : « Ackerman Ernest, sujet américain, 43 ans ». J'ai donc cherché dans le recensement américain de 1910 un Ernest Ackerman né en 1879 ou 1880 en Suisse. Parmi les dizaines d'homonymes, il y en avait un né vers 1880 en Allemagne de parents allemands, immigré en 1895 et vivant dans la même maison qu'une famille américaine dans le New Jersey.
 Je sentais que je faisais fausse route, donc j'ai décidé de me tourner vers les archives du onzième arrondissement de Paris pour la période allant de 1913 à 1932 et j'ai rapidement trouvé ce que je cherchais...

 Le 6 novembre 1920, à 13 heures 10, à la mairie du onzième arrondissement de Paris (acte no 4215), Ernest Conrad Ackerman, entrepreneur, né à Zurich (Suisse) le 12 août 1883, 37 ans, domicilié 16 rue Asile Popincourt, fils majeur de Johannes Ackerman, décédé, et de Lydia Fritz, sa veuve, sans profession, domiciliée à Zurich, épousait Julienne Pierrette Vorillion, sans profession, née à Vesoul (Haute-Saône) le 9 juillet 19001, 20 ans, domiciliée 16 rue Asile Popincourt, fille mineure d'Alfred Joseph Vorillion, mécanicien, domicilié à Pontcey (Haute-Saône), consentant par acte authentique, et d'Adèle Pierrette Rousselet, absente.
 Ce mariage fut dissous par un jugement de divorce prononcé par le Tribunal civil du Var, section de Toulon, le 6 avril 1927, « au profit de la femme et aux torts et griefs exclusifs du mari », jugement transcrit le 2 septembre 1927 sur les registres du onzième arrondissement de Paris (acte no 1907). Julienne Vorillion se remaria l'année suivante à Toulon2.
 Cinq ans après ce divorce, notre homme avait emménagé un peu plus loin dans le même arrondissement, la graphie de son nom avait changé ainsi que son année de naissance, mais le jour de son anniversaire restait le même et il avait conservé son goût pour les femmes beaucoup plus jeunes que lui et vivant sous le même toit que lui avant le mariage.
 En effet, le 21 juillet 1932, à 11 heures 40, à la mairie du onzième arrondissement de Paris (acte no 1499), Ernest Conrad Acherman, menuisier, né à Zurich (Suisse) le 12 août 1877, 54 ans, domicilié à Paris, 30 rue Keller, fils de Jean Acherman, décédé, et de Lydie Fritz, sa veuve, sans profession, domiciliée à Zurich, divorcé de Julienne Pierrette Vorillion, épousait Marie Victoria Quimerc'h, confectionneuse, née à Brest (Finistère) le 12 décembre 1895, 36 ans, domiciliée 30 rue Keller, fille de Jean Olivier Quimerc'h, décédé, et de Louise Pauline Guillou, sa veuve, sans profession, domiciliée à Brest. Les témoins étaient la concierge de leur immeuble et le cafetier à quinze mètres de leur porte d'entrée.
 Cette fois, on a sa signature, et on peut lire : Ernest C. Acherman. La signature toute tremblante de son épouse, Marie Quimerc'h, laisse à penser qu'elle n'avait pas une grande habitude de l'écriture.

 J'avais donc probablement mal lu sur le procès-verbal d'audition du 27 juin 1923. Il était certainement écrit « 45 ans », car étant né le 12 août 1877, il n'avait pas encore 46 ans ce jour-là3. On peut penser qu'il s'était rajeuni de 6 ans en 1920 (peut-être sur de faux papiers d'identité établis au nom d'Ackerman) pour faciliter son mariage avec la très jeune Julienne Vorillion, mineure4, et peut-être également pour essayer d'éviter tout problème dû à la bigamie évoquée par Catherine Clausse, mais qu'il reste à prouver.
 Enfin, j'ai trouvé qu'un nommé Ernest Conrad Acherman né en Suisse a été naturalisé américain le 31 mars 1920, alors qu'il résidait en Californie.

 En résumé, en s'appuyant sur tout ce que l'on sait et a lu, on peut donc estimer pour l'instant le parcours suivant : né en Suisse en 1877, Ernest Acherman a émigré aux États-Unis d'Amérique vers 1910 via le Canada. Il a servi l'armée américaine et est arrivé au camp de Brest en 1918, où il a connu Guillaume Seznec en 1919, selon ses propres déclarations. Puis il est retourné en Californie, a obtenu la nationalité américaine en 1920, avant de partir très rapidement s'installer à Paris, où il a épousé Julienne Vorillion.
 Notons que Marie Quimerc'h avait 23 ans en 1919 quand Acherman était à Brest, où elle vivait probablement à l'époque, et elle n'était ni veuve, ni divorcée au moment de leur mariage en 1932. Il n'est donc pas interdit de penser qu'il l'a connue avant Julienne Vorillion.

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1. Elle avait un frère jumeau, Gilbert Auguste Joseph (Vesoul, Haute-Saône, 1900, actes nos 103 et 104).
2. Le 21 juin 1928 avec Louis Gabriel Chrétin, né le 31 décembre 1890 à Toulon (acte établi le 2 janvier 1891), marié le 14 juin 1913 dans le neuvième arrondissement de Paris avec Hélène Frank, jugement de séparation de corps le 2 juillet 1924, mariage dissous par jugement de divorce rendu le 21 décembre 1927 par le Tribunal civil du Var, section de Toulon. Au moment de son premier mariage, Louis Gabriel Chrétin est enseigne de vaisseau de deuxième classe à bord du croiseur-cuirassé Léon-Gambetta et son père est mécanicien principal de première classe, chevalier de la Légion d'Honneur. Au moment de sa naissance, son père, originaire de la Haute-Saône comme Julienne Vorillion, était maître mécanicien de la marine et sa mère professeur de piano. Julienne et Louis se sont donc probablement rencontrés à Paris vers 1924 et sont partis vivre à Toulon en attendant leurs divorces respectifs, prononcés en 1927, pour se remarier l'année suivante.
3. J'avais en fait bien lu la première fois (voir mon billet du 26 avril 2018).
4. Acherman était plus âgé que la mère de Julienne.

3 commentaires:

Unknown a dit…

Chapeau !
Quelles belles recherches !
C'est important de savoir interpréter les archives.
Pour faire avancer notre histoire...

Anonyme a dit…

C'est fantastique !

MArco

Marc Du Ryez a dit…

Merci, Liliane et MArco. Je viens d'ajouter la suite dans un nouveau billet.