Mardi 26 mai 2020

L’ÉDOUARD CORBIÈRE À GALLIPOLI

 En novembre dernier, j’ai fait un voyage de trois mille kilomètres en voiture en Turquie, partant de la province d’Antalya pour me rendre dans celle d’Istanbul par un trajet assez direct à travers l’Anatolie, avant de revenir en plusieurs jours le long des côtes de la mer Égée. J’ai donc traversé le Bosphore pour passer d’Asie en Europe, puis les Dardanelles pour revenir en Asie. N’étant arrivé qu’en fin de journée dans la péninsule de Gallipoli, j’ai pris le ferry pour passer la nuit à Çanakkale, en Asie, qui m’est apparu comme la ville la plus agréable de Turquie. Au matin, je suis repassé en Europe pour visiter la péninsule, lieu de combats intenses il y a plus d’un siècle, dans lesquels un demi-million d’hommes ont trouvé la mort, et aujourd’hui superbe sanctuaire essentiellement redevenu sauvage et parsemé de monuments. Depuis le très impressionnant Mémorial aux Martyrs de Çanakkale, qui se trouve à la pointe de la péninsule, on peut apercevoir le cimetière français, que j’ai visité ensuite. Il abrite 2.340 tombes individuelles portant des noms parfois incomplets, ainsi que des ossuaires contenant les restes de 12.000 soldats français non identifiés. La France a perdu en tout plus de 27.000 hommes dans cette campagne, morts au combat ou de maladie. La bataille a eu lieu en 1915 à l’entrée du détroit, assez loin de la ville de Gallipoli (ancienne Kallipolis, aujourd’hui Gelibolu).
 Ayant appris par plusieurs articles récents que le caboteur à vapeur Édouard Corbière, qui assurait la liaison entre Morlaix et Le Havre jusqu’en 1915, avait coulé au large de Gallipoli en 1917, je me demandais bien ce que faisait un bateau français dans ce secteur cette année-là. Je connaissais le naufrage du cuirassé français Bouvet le 18 mars 1915, mentionné sur un panneau du cimetière, et il me semblait qu’il était le seul navire français ayant coulé dans le détroit à cette époque. Le 21 mai dernier, Skeptikos a illustré l’un de ses billets mentionnant «  l’apparition répétitive de l’Édouard Corbière dans la baie de Gallipoli  » par une image représentant le «  débarquement de troupes britanniques à Gallipoli pendant le bataille des Dardanelles  », et j’ai décidé de faire des vérifications. J’ai rapidement découvert qu’en réalité, l’Édouard Corbière avait coulé au large de Gallipoli... en Italie. Tous les détails se trouvent sur un forum consacré à la première guerre mondiale. N’ayant été réquisitionné que le 24 juillet 1915, il serait arrivé un peu tard dans la bataille des Dardanelles, de toute façon, et il semble que son service en Méditerranée se soit principalement limité à des traversées entre l’Italie (Gallipoli, Otrante) et la Grèce (Corfou), et qu’il ne soit pas allé au-delà de Salonique (Thessalonique).
 Voilà donc un détail résolu. Vous me direz que tout cela ne concerne pas tellement la mystérieuse disparition du conseiller général Pierre Quéméner près de Houdan en 1923. Cependant, c’est à moi que l’on reproche d’écrire «  sur un thème qui n’intéresse personne en dehors de quelqu’un qui [ne] veut pas dire son nom  », tandis que l’on préfère parler en long et en large du caboteur Édouard Corbière, coulé six ans plus tôt, ou d’Émile Petitcolas, qui n’est devenu actif dans la défense de son beau-frère Guillaume Seznec qu’après le procès de 1924. On ne peut donc pas honnêtement me reprocher de m’être intéressé quelques minutes à un sujet qui passionne les autres. Pour montrer ma bonne volonté, j’ai même fait hier une mini-biographie d’Émile Petitcolas (une sorte de fiche d’état civil), dans laquelle je cite en références les récents articles de madame Langellier et de Skeptikos, qui se complètent, ainsi que la fiche généalogique établie par Thierry Lefebvre.
 Je vais multiplier ces mini-biographies, qui apparaîtront en premier quand on cliquera sur le nom d’une personne dans la marge, juste avant les pages dans lesquelles cette personne est mentionnée (en ordre chronologique inverse), à l’exclusion de mes billets de blog. Je n’ai fait que quatre fiches jusqu’ici  : Bror Oskar Scherdin, Fernand Stutzmann, Jenny Quéméner et Émile Petitcolas. J’ai également établi des listes de policiers et d’hommes de loi, qui vont remplacer la mention individuelle de ces hommes dans la marge, à part ceux qui sont également des témoins, comme Édouard Bienvenue, Joseph Gautier et Jean Vérant. J’ai dû m’y résoudre, car un article ne peut contenir plus de vingt libellés et je dépasse rapidement cette limite sur certaines pages si j’inclus magistrats et policiers. Pour voir la mini-biographie de l’un de ces hommes, il faudra cliquer sur son nom dans la liste, mais elle ne sera pas suivie des pages dans lesquelles il est mentionné.
 Enfin, je suis désolé d’annoncer que je compte écrire un troisième billet sur Bror Oskar Scherdin. En ce qui me concerne, je m’intéresse principalement à l’affaire Quéméner (1923-1924), dans laquelle Scherdin a une certaine importance. Nous ne savons pas exactement ce qui a fait de lui un suspect, ni ce qui a conduit ensuite la police à l’écarter (à part une attestation d’honorabilité fournie par le consul de Suède). Ma connaissance limitée du personnage fait que je n’exclus pas complètement qu’il ait pu être le Scherdy de Seznec. Dans tous les cas, il fait partie de l’enquête, dont j’essaie de reconstituer chaque journée dans ses détails. J’ai d’ailleurs constaté que maître Denis Langlois a mentionné sur son site mon premier billet sur Scherdin. Avec la commentatrice de mon second billet sur le sujet, j’ai donc eu deux lecteurs de qualité et cela suffit amplement à justifier mes efforts.
 Je reproduis ici ce que je disais dans un billet que j’ai supprimé depuis  : «  Mon unique souhait est de participer à la recherche de la vérité concernant la mystérieuse disparition du conseiller général Pierre Quéméner en 1923. Ma démarche ne consiste pas à essayer de déterminer le degré de culpabilité de Guillaume Seznec dans cette affaire, ma position étant parfaitement neutre par rapport à cet homme. Je souhaite simplement que l’on débarrasse cette histoire de tous les mythes et erreurs qui l’ont embrouillée à travers les décennies et que l’on cherche à rétablir les faits avec exactitude, non pas dans l’intérêt de la Justice, qui a déjà fait son travail, mais dans celui de l’opinion publique, qui a été constamment trompée. La tâche est immense et ne peut se faire que dans la sérénité, sans perdre son temps dans de vaines polémiques sur des théories qui, justement, nous éloignent fortement de la vérité. Je vais donc recentrer mes efforts sur cette clarification.  »

Billet précédent  : Complément sur Bror Oskar Scherdin
Billet suivant  : Les demandes au bureau de poste numéro 3

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Cher Marc,

Qui ne peut être favorable à une telle démarche ? c'est à dire séparer le fait prouvé de l'opinion, qui est estimable mais qui ne prouve rien. La difficulté, dans une affaire de ce genre, est l'extrême diversité de valeur des sources. Voici mon point de vue à ce propos.
Certaines sont quasi-nulles, il suffit pour s'en convaincre de constater le nombre d'erreurs de fait, le nombre de parti-pris. Certains ouvrages sont dans cette catégorie.
Une source à aborder avec méfiance est la presse : on y dépiste de nombreuses erreurs, là encore (l'exemple Scherdin est de ce point de vue très pédagogique).
Des sources de bonne foi sont les témoignages un peu tardifs (par exemple la relation de Me Pouliquen, qu'on dit avoir été faite à) l'automne 1923 comprend de façon évidente des modifications de la réalité, et je pense de très bonne foi).
Pour moi, les sources les plus fiables sont les procès-verbaux, et il faut alors les confronter à la réalité (de source factuelle) ou au bon sens (comment aurais-je agi dans de telles circonstances ?).

Cette notion d'action suivant les circonstances est ce qui mène, je crois, le raisonnement policier, et qui explique le fort intérêt pour ce qui se passe autour du 6, boulevard Malesherbes (et qui atteint indirectement ce malheureux Scherdin).

Quéméneur, à la veille de partir, écrit à Me Pouliquen qu'il lui indiquera ultérieurement son adresse. Il le fait ensuite par télégramme, c'est la poste restante du bureau n°3 à Paris, sans préciser l'adresse (elle n'a pas d'utilité, la poste étant à priori capable de retrouver ses propres bureaux.
Qu'est-ce que le bureau de poste numéro 3 ? celui de la Madeleine, situé jusqu'en 1900 place de la Madeleine elle-même. C'est un bureau sans doute de bonne taille, mais ce n'est qu'un des 106 bureaux de Paris que je compte en 1900 (il y a en a peut-être un peu plus ou un peu moins en 1923).
Pourquoi Quéméneur décide-t-il, assez tardivement (par le télégramme de Rennes de recevoir là le chèque, en un lieu aussi éloigné des gares qui desservent la Bretagne (Invalides et Montparnasse) et qui doivent lui être plus habituelles ?
Pourquoi ne se fait-il pas envoyer cette lettre à la poste centrale de Paris, dite Paris-Louvre, ouverte la nuit et les dimanches ? elle est pourtant assez proche...
Les policiers vont donc assez logiquement se dire "Quéméneur a choisi ce lieu assez tard, la veille au soir de sa disparition. Il a pris un bureau sur plus d'une centaine, ce bureau n'est pas du tout dans un quartier breton, il sera intéressant de voir ce qui se passe dans ce quartier".

Liliane Langellier a dit…

Je vous rappelle que Thierry Lefebvre - dont j'ai loué le travail - n'a pu le faire qu'avec comme base mes articles très documentés.
Après ce que j'ai dû supporter comme harcèlement...
Je ne souhaite pas venir discuter sur un blog où on accepte des contributeurs anonymes.
Vous ne m'y lirez donc que très rarement.

Marc Du Ryez a dit…

J'essaie de rendre à César ce qui est à César autant que faire se peut, chère Liliane. Quand vous avez vous-même attribué une découverte à Thierry, je fais de même. Nous savons tous ce que nous devons à vos deux blogs, qui sont nos références principales pour tout ce qui a trait à l'affaire. Vos articles seront cités dans presque toutes mes mini-biographies et je vous remercie d'en avoir dressé une liste.

Pour ce qui est de l'anonymat, j'encourage tout commentateur à sélectionner "Nom/URL" pour répondre et d'entrer au moins un pseudonyme (qui peut être une initiale ou plusieurs) ou un prénom, plutôt que de sélectionner "Anonyme". Il y a eu par le passé plusieurs commentateurs anonymes à la fois et cela ne facilitait pas la discussion.

Anonyme a dit…

Cher Marc,

Je ne voudrais surtout pas causer de difficultés.
Mon seul propos est d'étudier, tout comme vous le faites, les détails de l'affaire, je ne recherche aucun retour et mon identité est ainsi sans importance.
Je souhaite surtout échapper à toute polémique et ne pas en créer.
Je ne suis pas toute jeune et je maîtrise assez mal les notions de nom/URL. De quoi s'agit-il exactement ?
Je précise ne pas avoir de compte google.

Marc Du Ryez a dit…

Chère S, pour commenter, vous avez les choix suivants :

- Compte Google
- Nom/URL
- Anonyme

Il suffit de sélectionner "Nom/URL" et d'inscrire un nom ou pseudonyme ("S", par exemple). L'URL est facultatif (cela peut être un lien vers un blog, par exemple, mais on peut laisser cette case vide).

Je ne peux pas désactiver "Anonyme" parmi les choix sans désactiver "Nom/URL" en même temps, donc je laisse les deux, car je ne souhaite pas imposer aux commentateurs l'utilisation d'un compte Google.

S a dit…

Merci beaucoup, voici qui est fait (du moins je l'espère).

Je croyais que comme le mode anonyme était proposé personne n'y voyait à redire et j'ignorais totalement ces subtilités informatiques.