SCHERDIN, BOULEVARD MALHERBES À PARIS
En avril 2018, grâce à maître Denis Langlois, j’ai pu donner sur ce site une transcription complète du procès-verbal de l’audition d’Ernst Achermann du 27 juin 1923 à Paris. Jean Pouliquen, entendu plus tôt ce jour-là par le commissaire Vidal, lui avait très certainement raconté sa visite du 12 juin à Achermann, ajoutant qu’il soupçonnait cet homme d’avoir été impliqué dans l’affaire d’automobiles américaines qui occupait Pierre Quéméner, malgré ses dénégations. Achermann avait donc été convoqué le jour même à la Sûreté générale pour être entendu.
Depuis le 25 juin, les propos de Guillaume Seznec reproduits dans la presse bretonne et parisienne mentionnaient un courtier américain du nom de Scherdy, Scherldy ou Scherdly, avec lequel Pierre Quéméner aurait eu rendez-vous le 26 mai à 8 heures du matin, avenue du Maine à Paris. Concernant le domicile de cet homme, Seznec avait dit le 10 juin à Pouliquen « qu’il habitait boulevard Malesherbes numéro 6, 26 ou 16, il ne pouvait préciser », selon l’exposé de l’affaire écrit par le notaire. Le 12 juin à Paris, Jean Pouliquen et Louis Quéméner avaient cherché en vain ce mystérieux contact : « Comme je m’y attendais, il était inconnu aux numéros indiqués par Seznec, mais je ne fus pas peu étonné de me trouver au numéro 6 de cette rue devant le bureau de poste numéro 3. » C’était en effet le bureau où Pouliquen avait envoyé son pli chargé à destination de Quéméner, contenant un chèque non barré de 60.000 francs, prêt consenti pour quelques jours à son beau-frère. Je suppose que Pouliquen avait alors imaginé que Seznec avait confondu l’adresse de l’Américain avec celle de ce bureau de poste, se trahissant par cette erreur, car il n’était pas censé connaître les détails concernant l’envoi du chèque.
Le boulevard Malesherbes, mentionné dans la presse à partir du 26 juin en relation avec le bureau de poste restante, y est également donné le 27 juin comme l’adresse de l’introuvable Américain. Mais la police parisienne, à ce moment-là, a déjà retrouvé la trace d’un suspect : l’avocat suédois Bror Oskar Scherdin.
Le commissaire Vidal, qui interroge Achermann ce 27 juin 1923, après avoir évoqué son passé et ses relations avec Seznec, lui demande de but en blanc s’il connaît monsieur Quéméner et un dénommé Scherdin, en lui présentant leurs photographies. Achermann dit qu’il ne les a jamais vus. Le commissaire lui demande alors s’il connaît « la rue Lafontaine à Auteuil » et Achermann répond qu’il ne s’y est jamais rendu, « ni de jour, ni de nuit ».
Cette photographie de Scherdin paraît pour la première fois dans Le Journal du 30 juin 1923. Elle est accompagnée de ces mots :
Le mystérieux Charly, jusqu’ici introuvable, est, paraît-il, lui-même identifié. Ce fait vous est peut-être déjà connu à Paris. Charly, qui se nomme en réalité Chardin, est en fuite, mais on suit actuellement sa trace dans les pays Scandinaves.
En disant « Ce fait vous est peut-être déjà connu à Paris », le journaliste fait sûrement allusion à un article de dernière heure du Matin, imprimé ce même 30 juin à 5 heures du matin, qui peut apparemment s’enorgueillir du scoop (mais Le Journal a celui de la photographie) :
BREST, 29 juin. — Téléph. Matin. Le parquet de Brest s’est rendu aujourd’hui à Landerneau et une perquisition a eu lieu dans la maison de M. Quemeneur. On y a cherché vainement des lettres de M. Sezenec, ainsi que du mystérieux Charly qui, d’après M. Sezenec, aurait eu rendez-vous à Paris avec M. Quemeneur. On se demande aujourd’hui si ce Charly ne serait pas un certain Cherdin qui voyagea en Bretagne et qui, ayant habité Paris, serait actuellement en Norvège. D’autre part, on recherche activement une autre personne qui séjourna à Morlaix et s’y rencontra avec M. Sezenec.
On peut penser que les informations du Matin proviennent du juge d’instruction Binet à Brest, qui les tient sûrement de la police parisienne. Le Petit Parisien publie le même jour :
Quels furent les acteurs de toute la mise en scène dont s’entoure la fin tragique de M. Quémeneur ? Très certainement le fameux Scherdly, aujourd’hui identifié sous le nom de Scherdin. Cet individu est aujourd’hui en fuite, et se serait réfugié, croit-on, dans les pays scandinaves. Mais il eut certainement des complices, et, en dehors de M. Sezenec, dont l’attitude apparaît suspecte, la justice aurait, assure-t-on, découvert la participation d’un autre individu dont l’arrestation ne serait plus qu’une question d’heures.
Toujours le 30 juin, une dépêche de l’agence de presse Havas paraît dans la rubrique de dernière heure du Gaulois et de L’Ouest-Éclair :
La brigade mobile a identifié un Américain du nom de Charly, avec lequel M. Quemeneur était en relations d’affaires ; c’est un nommé Chardin, de Paris, actuellement en fuite, sans doute en Norvège. Un autre individu, qui a quitté précipitamment Morlaix, est aussi recherché.
Je ne m’attarderai pas sur ce second individu, qui est un autre sujet, et je n’en ai gardé la mention que pour le contexte d’une traque aux complices.
Ayant vu la photographie de Scherdin dans Le Journal (apparemment le seul quotidien à l’avoir publiée ce jour-là) et ayant reconnu un ancien ami, un journaliste suédois, monsieur Gylden, se présente dans la journée à la police pour protester de l’honorabilité de son ami. Il est reçu par le commissaire Auguste Darru.
Les journaux du lendemain 1er juillet relatent cette visite. Je donne tout d’abord une version courte parue dans L’Homme libre :
M. Daru, commissaire aux délégations judiciaire[s], a reçu la visite d’un journaliste suédois qui lui a déclaré que la photographie parue dans les journaux d’hier matin sous le nom de Chardris, dit Charly, est celle d’un Suédois : Dunnar Scherdin, 32 ans, qui serait encore à Paris.
Ce journaliste dit avoir connu Scherdin en 1914, à Stockholm, où il était fabricant de pâte à papier.
Ces informations sont très inexactes, comme nous le constatons en lisant l’article du Matin, qui a des sources de première main :
Après la disparition de M. Quemeneur, Sezenec, on le sait, avait déclaré à la famille du disparu que celui-ci avait rendez-vous, à Paris, pour affaires importantes, avec un certain Scherdly, ou Charly, qu’on rechercha en vain par la suite. Or, hier, un publiciste suédois, M. Gylden, s’est présenté au cabinet de M. Darru, commissaire aux délégations judiciaires à la préfecture de police, et lui a déclaré qu’il croyait connaître ce personnage, qu’il aurait rencontré, en 1914, à Stockholm, où il faisait son droit. Né en Suède, il s’appellerait en réalité Gunnar Scherdin, âgé de 35 ans. Il serait venu en France en 1917, où il se serait livré à la propagande bolchevik et antifrançaise, et aurait été expulsé de France en 1919. Mais le décret d’expulsion aurait été rapporté, et Scherdin serait resté à Paris, où il aurait pris un emploi dans une fabrique de pâtes à papier. Il aurait fait alors de fréquents voyages en Bretagne pour y acheter du bois destiné à la fabrication de ces pâtes, et aurait ainsi connu Sezenec.
Cependant, la femme de M. Scherdin, qui habite rue La Fontaine, à Auteuil, affirme que son mari n’a jamais été en relations avec Sezenec, qu’il ne connaît même pas de nom.
— D’ailleurs, a-t-elle ajouté, mon mari est en voyage en ce moment en Autriche. Il est à Saint-Maxence, près de Vienne, et sera de retour le 4 juillet. J’ai encore reçu un télégramme de lui aujourd’hui. Dès son retour, il démontrera sans peine que son nom ne peut être mêlé en quoi que ce soit à cette aventure.
D’autre part, hier après-midi, Sezenec avait déclaré à l’envoyé spécial du Matin qui suivait les opérations de la police à Houdan qu’il ne connaissait pas M. Scherdin et qu’il entendait pour la première fois prononcer ce nom.
Cette réponse de Guillaume Seznec est assez amusante, venant d’une personne qui, depuis au moins trois semaines, parle tous les jours d’un certain Scherdy, Scherdly ou Scherldy, mais il est possible qu’au moment de lui poser la question on ait prononcé ce nom « Chardin », à la française, plutôt que « Scherdinn ». Notons d’ailleurs que par une ironie du sort, ce même 1er juillet, lendemain de son arrestation, Seznec est transféré le soir au dépôt et remis à la disposition du procureur de la République... Edmond Scherdlin. Cela ne s’invente pas.
Dans Le Journal, on trouve des réflexions intéressantes et d’autres détails donnés par la femme de Scherdin :
Toute l’affaire Quémeneur semble tourner autour de ce mystérieux et insaisissable personnage qui a nom Charly-Chardin. Cet étrange négociant peut avoir des raisons personnelles de ne pas se présenter à la police — et ceci autoriserait le doute quant à son honorabilité — mais il y a, avant tout, une impossibilité matérielle : Charly-Chardin est hors de France. Les policiers le savent bien, aussi considèrent-ils ce voyage à l’étranger comme une fuite, donc comme une raison de plus de croire que Chardin a joué un des principaux rôles, sinon le principal, dans la disparition de M. Quémeneur. En outre, cette hypothèse peut paraître d’autant plus vraisemblable, que Chardin a quitté Paris le lendemain du dernier jour où, d’après le carnet retrouvé dans la valise, M. Quémeneur aurait déjeuné au Havre. Si, comme on le suppose, l’inconnu qui a inscrit les notes sur le carnet, afin de faire croire que M. Quémeneur était au Havre, n’est autre que Chardin, il aurait eu le temps de rentrer à Paris et d’en repartir le lendemain.
Il n’était donc pas inutile, en présence de ces soupçons, de demander quelques éclaircissements sur les occupations de ce négociant. Et voici ce que sa jeune femme nous a répondu, dans cet appartement d’Auteuil où le ménage habite depuis deux ans et demi : « Je suis persuadée que la police fait fausse route en croyant que mon mari est l’X mystérieux avec lequel M. Quémeneur devait traiter une affaire d’autos. D’abord, pour la raison bien simple que mon mari ne s’est jamais occupé d’automobiles : il fait, et il n’a jamais fait que des affaires de pâtes à papier ! D’autre part, il n’est pas Américain, mais Suédois. En outre, il n’a jamais mis les pieds en Russie, et n’a jamais été en relations avec des représentants des soviets. Enfin, il n’est jamais allé en Bretagne, et n’a traité aucune affaire avec des personnes du nom de Quémeneur, Sezenec, ou quelque chose d’approchant. Et de cela, j’en suis convaincue, car je suis au courant de toutes les affaires que traite ou doit traiter mon mari. Je connais même celles qu’il fit avant notre mariage, il y a trois ans. Si mon mari voyage, c’est uniquement pour son commerce de pâtes à papier ; il est actuellement en Autriche, et il sera à Paris mardi prochain, 3 juillet ! »
À cette précision ajoutons le témoignage de M. Gylden, journaliste suédois, domicilié 1, rue de la Pépinière, qui, au sujet du négociant, nous a déclaré : « J’ai été son camarade de faculté lorsqu’il étudiait le droit, à Stockholm, et je puis vous affirmer que son honorabilité est au-dessus de tout soupçon ! »
Remarquons au passage la fâcheuse manie des journalistes de l’époque de donner l’adresse personnelle des témoins (habitude très utile pour nous un siècle plus tard, mais pas vraiment rassurante pour ces derniers au moment de la parution des articles). Le Journal, d’ailleurs, quotidien nationaliste de droite, se tournera vers le fascisme dans les années 1930, s’enthousiasmera pour Adolf Hitler en 1937, versera dans la collaboration en 1940 et sera suspendu puis supprimé en 1944, certains de ses journalistes étant alors condamnés à mort par contumace.
Il est important pour la suite de signaler que La Liberté publie ce jour-là en première page, côte à côte, une version retouchée de l’unique photographie de Seznec prise le 28 juin à Paris et le portrait de Scherdin que Le Journal avait donné le 30 juin, et glisse, au cœur d’un long article, un petit paragraphe sur le prétendu Charly :
M. Seznec a-t-il des complices ? On semble le croire et on recherche activement l’énigmatique Charly, qui, aux dires de ce dernier [en fait aux dires de Seznec], aurait eu rendez-vous, à Paris, avec M. Quémeneur. Les plus mauvais renseignements sont donnés sur cet individu qui aurait été vu à Paris le 1er juin et qui a disparu depuis.
Enfin, je me dois d’ajouter à cette longue mais nécessaire présentation un passage mal informé de l’article de L’Ouest-Éclair, car il m’a induit en erreur il y a deux ans au sujet du personnage de Scherdin, sur lequel j’avais fait des recherches qui n’avaient donné publiquement que quelques notes sous la déposition d’Achermann et dont j’avais gardé l’essentiel sous silence.
On croyait avoir identifié l’américain Chardin, dit Charly, lequel serait en fuite et réfugié en Suède. Cet après-midi M. Daru, commissaire aux délégations judiciaires, a reçu la visite d’un journaliste suédois qui lui a déclaré que la photographie de Chardin, dit Charly, publiée dans un journal du matin, n’était pas celle de cette personne, mais celle de M. Cunnar Escherdin, suédois, âgé de 30 à 33 ans, qui serait encore à Paris. Le journaliste a connu Cunnar en 1914 à Stockholm alors que ce dernier s’occupait de la fabrication de la pâte à papier. Il l’a revu pour la dernière fois à Paris en 1919. Ces renseignements viennent d’être transmis à la Sûreté générale.
J’avais déduit alors que les policiers avaient eu des soupçons sur un avocat suédois très douteux, Bror Oskar Scherdin, sur lequel j’avais des informations grâce aux généalogistes suédois, mais qu’ils s’étaient retrouvés par erreur en possession de la photographie d’un autre Scherdin, prénommé Gunnar, et avaient imprudemment donné ce portrait au Matin pour publication, afin de susciter des témoignages. Ils en avaient provoqué au moins un, d’ailleurs : celui de monsieur Gylden. Je pensais que ce pauvre Gunnar, à la conduite irréprochable, avait été sali par la mauvaise réputation de cet autre Scherdin, avec lequel on l’avait identifié dans la presse. Je croyais que les faits de propagande bolchevique et antifrançaise, conduisant à une décision d’expulsion, avaient été commis par Bror Oskar et faisaient partie du dossier de la police, et qu’ils avaient été ajoutés par erreur dans les journaux à la liste des renseignements fournis par Gylden à propos de son ami Gunnar.
Ayant depuis longtemps le projet d’écrire une série de courts articles biographiques sur les différents personnages liés à l’affaire pour y rassembler quelques renseignements d’état civil, j’ai décidé avant-hier de commencer par l’un des plus difficiles à cerner, Scherdin, et j’ai repris mes recherches. J’ai alors compris que ces deux hommes n’étaient qu’un : Bror Oskar Scherdin. Et j’ai découvert que cet homme avait eu un bureau au 1, boulevard Malesherbes en 1923 !
En réalité, rien d’étonnant à cela, car en cherchant un Scherdy boulevard Malesherbes, la police avait de grandes chances d’être plus efficace que Jean Pouliquen et Louis Quéméner. Une fois que j’avais compris que le Scherdin de la photographie était bien l’homme recherché par les policiers, je m’attendais à voir cette adresse apparaître dans mes recherches à tout moment. Ce qui est incroyable, c’est qu’apparemment Bror Oskar Scherdin n’a pas été entendu par la justice à son retour d’Autriche. C’est tout du moins ce qu’il a prétendu en 1924 et 1925 dans le cadre d’une plainte pour diffamation, mais il est possible qu’il ait été interrogé par la police, au moins informellement, et écarté en raison d’une attestation d’honorabilité fournie par le consul de Suède à Paris, qu’il utilisera plus tard dans un procès contre Le Petit Parisien.
Je vais donc essayer de présenter dans l’ordre chronologique les renseignements que j’ai trouvés sur cette personne.
Bror Oskar Scherdin est né le 27 septembre 1888 à Stockholm et a été baptisé dans l’église Adolphe-Frédéric de cette ville, selon des renseignements généalogiques fournis par Felix Åhrberg et mis à jour très récemment. Il est le fils d’Oskar Scherdin, juge assesseur de cour d’appel, et d’Anna Freding, fonctionnaire. Son père meurt le 13 avril 1891, à l’âge de 41 ans, quand Bror n’a encore que deux ans et demi. Il a un frère, Bengt Alexander Scherdin, né le 3 février 1890, qui deviendra juge d’appel en Suède.
En 1914, Bror a 26 ans et étudie le droit à Stockholm quand il rencontre monsieur Gylden, qui suit les mêmes études. Il semble donc qu’à cette époque, Bror se fasse appeler Gunnar ; cela me semble l’explication la plus plausible à l’étrange déclaration de Gylden sur ce point.
En 1917, selon Gylden ou selon la police (les journalistes peuvent avoir combiné leurs informations), Scherdin arrive en France, âgé de 29 ans, probablement diplômé, mais se livre bientôt à une propagande bolchevique qu’on qualifie même d’activité antifrançaise, suffisamment pour qu’une décision d’expulsion soit prise à son encontre en 1919, et Gylden le voit pour la dernière fois cette année-là. Mais, selon Le Matin, le décret d’expulsion est rapporté, c’est-à-dire qu’il n’est pas appliqué, et Scherdin reste à Paris.
Vers le milieu de 1920, il se marie avec Gerd Backer, 25 ans, née le 17 août 1895 à Larvik en Norvège. Aux environs du mois de janvier 1921, ils emménagent au 26 bis, rue La Fontaine (aujourd’hui rue Jean-de-La-Fontaine), dans le seizième arrondissement, une belle adresse. Le 16 mars 1921, ils ont un fils, Bror Oskar Marius Cathrinus Justus Scherdin (le père de Gerd s’appelle Marius Cathrinus Backer), qui deviendra, semble-t-il, juge à la cour suprême d’Oslo, en Norvège. Cette naissance est déclarée dans le quinzième arrondissement.
Au moment de la disparition de Pierre Quéméner, Scherdin est, selon Le Matin du 1er juillet, employé dans une fabrique de pâtes à papier. Sa femme parle de son commerce et de ses affaires de pâtes à papier comme s’il en est le directeur. Deux jugements de 1925, dont je reparlerai, le qualifient de représentant pour le commerce de la pâte à papier et de négociant. Quant aux renseignements généalogiques, ils le disent avocat d’affaires et directeur, sans préciser à quelle période.
Le 26 janvier 1924, le bi-hebdomadaire Archives commerciales de la France, qui republie des annonces légales, signale pour la date du 14 janvier à Paris la formation de la société anonyme des Pâtes à Papier Scherdin, 1, boulevard Malesherbes, pour une durée de 50 ans, avec un capital de 500.000 francs, à compter du 17 décembre 1923.
La date de création de cette entreprise est surprenante, puisque les déclarations de madame Scherdin dans Le Journal semblaient indiquer que son mari s’occupait de pâtes à papier depuis des années et n’avait jamais fait d’affaires dans d’autres domaines, même avant leur mariage. Le Matin situait le début de cette activité en France vers 1919. Quant aux articles de L’Homme libre et de L’Ouest-Éclair, qui le plaçaient en 1914 à Stockholm, au moment de la rencontre avec Gylden, ils n’étaient qu’un mauvais résumé d’informations prises ailleurs.
Je pense donc que Scherdin était soit le directeur, soit le représentant d’un commerce de pâtes à papier depuis 1919 à Paris où en région parisienne. Je précise que je n’ai pas trouvé trace de son mariage dans les tables décennales des vingt arrondissements de Paris, et qu’il n’était donc apparemment pas domicilié dans la capitale avant de s’installer rue La Fontaine vers janvier 1921 (date estimée à partir des propos de sa femme). Il avait pu créer une autre société ailleurs. Par contre, je suppose qu’en juin 1923 il possédait déjà un bureau sur le boulevard Malesherbes, car je ne pense pas que la police aurait pu le soupçonner d’être le Scherdy de Seznec sur les seules bases de son nom de famille et de son activité de propagande bolchevique en 1919.
Le 20 juin 1924, Le Temps publie le rapport de l’assemblée générale ordinaire de la Banque des Pays de l’Europe centrale, qui a eu lieu deux jours plus tôt. On s’y félicite des bons résultats de l’année précédente, et il est mentionné que le siège social parisien de la banque, 12, rue de Castiglione, a participé à la création de sociétés nouvelles, dont la société des pâtes à papier Scherdin. La banque possède également un siège à Vienne et des agences en Autriche.
Rentré à Paris en juillet 1923, Scherdin s’était certainement procuré la presse des jours précédents, car il avait porté plainte pour diffamation contre Le Matin, Le Journal, Le Petit Parisien et La Liberté. Un premier jugement est rendu le 21 juillet 1924 par le tribunal civil de la Seine, condamnant La Liberté et rejetant la plainte concernant Le Petit Parisien. J’ignore quel a été le sort des deux autres journaux, mais les quatre décisions ont fait l’objet d’un appel. Le 24 juin 1925, la huitième chambre de la cour d’appel de Paris condamne les quatre journaux à payer à Scherdin des dommages-intérêts (dont 15.000 francs et une publication du jugement pour La Liberté, et 1.500 francs pour Le Petit Parisien, sans insertion).
Le 28 mars 1928 dans Excelsior et le lendemain dans Candide, paraît une annonce publicitaire pour la mousse de bain suédoise Osmos. Pour l’acheter ou demander une notice, contacter B. O. Scherdin, 1, boulevard Malesherbes à Paris.
Le 5 avril 1928, dans L’Intransigeant, on recherche un jeune homme de 14-15 ans pour bureau, courses. S’adresser à Scherdin, 1, boulevard Malesherbes. Se présenter avec références ou certificat. On recherche des garçons du même âge pour les mêmes fonctions dans d’autres annonces sur la même page. Rien de plus ordinaire, à une époque où l’on peut commencer à travailler avant l’âge de 11 ans. Il s’agit peut-être ici d’aller livrer les paquets de mousse Osmos pour un seul bain à 16 francs pièce aux « femmes élégantes » et aux « hommes sportifs » visés par l’annonce publicitaire parue huit jours plus tôt.
Le 26 janvier 1931, un jugement que l’on retrouve dans plusieurs journaux déclare la faillite de « Scherdin Bror Oskar, mécanique et fonderie de bronze, 26 bis, rue La Fontaine, avec usine à Nogent-le-Roi (Eure-et-Loir), 9 et 11, rue Valmorin. » Je ne sais pas depuis combien de temps Scherdin possédait cette entreprise. Au recensement de 1921, le directeur de l’usine est Eugène Dubois, né en 1875 au Havre. En 1926, Charles Bacon, né en 1902 à Versailles, est directeur de la fonderie.
Déclaration de la faillite de l’entreprise de mécanique et fonderie de bronze Scherdin dans La Liberté du 28 janvier 1931, parmi les jugements du 26 janvier. On retrouve la même annonce dans Le Petit Journal et Le Petit Parisien du 27 janvier, Le Temps et La Revue hebdomadaire du 28 janvier, Le Soir du 29 janvier et Le Journal du 2 février 1931.
Sachant que l’on peut se rendre de la Queue-lez-Yvelines à Dreux via Gambais, Nogent-le-Roi et éventuellement Chérisy, évitant ainsi de traverser Houdan en plein jour et de se rappeler y avoir dîné la veille, de nuit et à moitié endormi, il y a matière aux hypothèses les plus folles, non ?
La première femme de Scherdin, Gerd Backer, meurt à Oslo en 1961. Avaient-ils divorcé ? Je l’ignore. Les renseignements généalogiques situent leur fils, sur le plan professionnel, à la cour suprême d’Oslo sans indiquer d’année. Bror Oskar Scherdin père se remarie avec une Italienne prénommée Irma Constanza, née le 21 juillet 1912, de 24 ans sa cadette. Il meurt à Stockholm le 7 janvier 1977, à l’âge de 88 ans. Il est enterré à Solna, près de cette ville. Sa seconde femme meurt près de là en 2001.
Est-ce que je pense que Scherdin était le Scherdy de Seznec ? Non. Mais, au moins, j’en sais désormais un peu plus sur cet homme.
ADDENDA
Amusant paragraphe trouvé dans L’Humanité du 3 juillet 1923 :
Depuis que M. Sézenec s’appelle M. Seznec, le témoin migrateur (Norvège ? Suède ? Autriche ?) Charly-Chardin-Cherdin commence à s’appeler Scherdin (la Presse) et même Scherlin. Mais Scherdlin serait... le procureur de la République (la Liberté), tandis que le juge d’instruction, qui était un M. Binet, est devenu un M. Binec, juge parti en vacances. Que de changements !
Billet précédent : La conversation du radoteur
Billet suivant : Complément sur Bror Oskar Scherdin
10 commentaires:
nogent
Bonjour, Guy. Que voulez-vous dire à propos de Nogent ?
En fait, rien n'indique que Scherdin possédait déjà cette entreprise en 1923, car sa femme a déclaré qu'il ne s'occupait que du commerce des pâtes à papier.
J'imagine qu'en 1923, Charles Bacon était trop jeune pour diriger la fonderie et qu'Eugène Dubois était toujours en place. Le fait qu'il était originaire du Havre est une coïncidence amusante. Le placement d'un tout jeune Versaillais à la tête de la fonderie entre 1921 et 1926 me semble indiquer la reprise d'une entreprise en difficulté avec l'intention de la relancer, par contre. Mais ce ne sont que des suppositions.
Une fonderie à Nogent-le-Roi…
Amusant…
Je suis proche des Loiselet, dont la fonderie se situe Faubourg Valmorin et qui est bien connue de tous les Nogentais.
Depuis 1850.
Lire : https://www.loiselet.com/fr
Je savais que c'était sur vos terres, chère Liliane. Superbe travail sur le site de Loiselet. Il y avait donc compétition à Nogent. Cinq cents mètres séparaient ces usines, apparemment. Une enquête sur la date de reprise de l'autre fonderie par Scherdin serait intéressante, mais dans les conditions actuelles, c'est difficile.
On retrouve Henri Loiselet, né en 1875 à Nogent, au 63, faubourg Valmorin dans le recensement de 1921. La fonderie est indiquée au 65, comme aujourd'hui. Mais la distinction est bien faite entre la "rue du Valmorin" et le "faubourg Valmorin" dans le recensement. L'ancienne rue du Valmorin n'est donc pas la rue du faubourg Valmorin d'aujourd'hui.
Eugène Dubois est retranché de la liste des électeurs de Nogent-le-Roi en 1922 ("a quitté la commune"). Alexis Bacon, né en 1866 à Gif, est ajouté en 1924 ; il est indiqué comme négociant en 1924-1925 puis fruitier en 1926-1927. En 1927, justement, Charles Bacon, mécanicien, est ajouté aux listes électorales.
Il semble donc que Charles Bacon ne soit arrivé à la fonderie qu'en 1926, juste avant le recensement. Le départ de Dubois en 1922 peut coïncider avec l'année de la reprise par Scherdin, mais tout cela est très incertain.
Après vérification, Charles Bacon est bien le fils d'Alexis Bacon, comme je le supposais. Dubois est probablement remplacé en 1922 par Alexis Bacon, négociant (il était employé de banque 20 ans plus tôt), ou bien la continuité est assurée par le mécanicien Léon Foulon, qui est à cette usine pendant toute cette période. En 1926, le jeune Charles Bacon devient le directeur de la fonderie.
Pour moi, il n'y a qu'UNE SEULE fonderie à Nogent-le-Roi, la fonderie Loiselet.
Rue du Faubourg Valmorin.
Qui a employé beaucoup de Nogentais.
Votre Dubois est chef d'usine à Foulon sur le recensement 1921.
Qui est, en fait un moulin-à-eau.
https://www.nogentleroi-tourisme.com/les-moulins-a-eau
Mais on s'éloigne de plus en plus de l'affaire Seznec, là...
Bonjour, chère Liliane. Bien entendu, il n'y a qu'une seule fonderie à Nogent-le-Roi, mais il y en avait une autre, apparemment pour une très courte période.
En 1921, Eugène Dubois, au 9, rue du Valmorin, est directeur de l'usine de Foulon, en effet.
En 1926, à cette même adresse, Léon Foulon est "fondeur constructeur", Charles Bacon est "directeur de fonderie" chez Foulon. Et au numéro 11 de la même rue, André Richer est mécanicien chez Foulon.
En 1931, la faillite de l'entreprise de "mécanique et fonderie de bronze" Scherdin, avec siège social au 26 bis de la rue La Fontaine à Paris et usine aux 9 et 11 de la rue du Valmorin à Nogent-le-Roi, est déclarée.
Dans le recensement de 1931, Léon Foulon est toujours au 9 de cette rue, mais il n'a pas de profession (il a 65 ans). Au 11, Henri Reniers est mécanicien.
Je pense donc que Scherdin a repris l'usine dont Foulon était le chef mécanicien et que l'activité de fonderie de bronze n'a existé à cette adresse que sous la responsabilité de Charles Bacon, de 1926 à 1931.
Je vous suggère d'aller lire mon P.S. en bas de mon dernier article.
Je connais très bien (et mieux que vous) la différence entre le faubourg Valmorin et la rue de Valmorin.
Je vous le re-dis la seule fonderie de Nogent-le-Roi est la fonderie Loiselet.
L'usine Foulon est en fait un moulin entre l'Eure et le Roulebois.
J'ai lu votre PS, et je ne vois pas la contradiction entre ce que je dis et ce que vous dites. L'usine Scherdin (à la courte existence) était aux 9 et 11 de la rue du Valmorin et n'avait aucun rapport avec Loiselet.
Mes remarques sur la différence entre la rue du Valmorin et le faubourg Valmorin étaient adressées à moi-même. Puisque ce n'était pas la même rue, la distance de 500 mètres que j'indiquais plus haut était une fausse estimation. En effet, j'avais mesuré la distance qui sépare actuellement les numéros 9 et 65 de la rue du Faubourg Valmorin, mais c'était une erreur.
Après consultation du plan cadastral de 1834, je constate que l'ancienne "rue du Val Morin" est l'actuelle rue Henri Lemouettre (Henri Lemouettre vivait au 10-12 rue du Valmorin en 1921, d'ailleurs).
Je constate également que Léon Foulon était déjà "fondeur constructeur" (c'était lui le patron) au 9 de la rue du Valmorin en 1911, et on trouvait à la même adresse un ingénieur et un mouleur en fonte. L'activité de fonderie avait donc commencé beaucoup plus tôt que je ne le disais.
La distance qui séparait les usines Loiselet et Foulon était de 750 mètres.
Annonce parue dans "Le Petit Parisien" du 5 février 1926 et "Le Petit Journal" du 5 septembre 1926 : "On demande bons mouleurs, Fonderie Foulon, Nogent-le-Roi (Eure-et-Loir)."
Je crois qu'il est inutile de remettre en cause l'existence d'une fonderie Foulon à Nogent-le-Roi depuis au moins 1911 et le fait qu'elle ait appartenu à Scherdin au moment de la faillite de janvier 1931, car les preuves abondent. Je pense que 1926 est l'année de la reprise par Scherdin et que cette usine ne concerne aucunement notre affaire.
Foulon se retrouve sans profession au recensement de 1931 et c'en est fini de sa fonderie. Par contre, son atelier de mécanique du 11 de la rue du Valmorin est repris par un Belge.
Au 9 de la même rue, se situe l'entrée d'une grande cour dans laquelle il y a plusieurs bâtiments (on peut les voir sur les images satellite). Deux ou trois familles vivaient à ce numéro aux différentes périodes et il y avait visiblement une usine (modeste).
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