Samedi 28 mars 2020

LES DIAMANTS DE LEON TURROU

 Mon dernier billet était censé être un adieu à Leon George Turrou, comme son titre l’indiquait, mais je vais donner ici quelques éclaircissements sur l’affaire des diamants, qui ne demande que de savoir lire ce qu’a écrit Bertrand Patenaude pour être comprise. Mais, quand on trouve son livre «  ardu, 800 pages en anglais dans un style universitaire  », je comprends que l’on ait des difficultés, car cet ouvrage est en réalité très plaisant à lire, accessible au grand public et son vocabulaire est même parfois familier (je lis des articles universitaires en anglais tous les jours, donc je connais la différence).
 C’est en fait Leon Turrou lui-même (ne cherchant donc pas à cacher l’affaire) qui a signalé le problème dans une lettre envoyée de Varsovie à William Haskell, le directeur pour la Russie de l’A.R.A., affirmant qu’il avait acheté à Moscou quatre diamants et une montre en platine pour 2.500 dollars, mais qu’en arrivant à Varsovie il avait constaté que les diamants étaient faux et n’étaient que des saphirs de l’Oural, d’une valeur d’environ 70 dollars. Il demandait dans sa lettre la permission d’envoyer les faux diamants via un coursier de l’A.R.A. à son ami letton Oscar Booman à Moscou, pour qu’il fît le nécessaire. Cette autorisation lui a été refusée par le sous-directeur Cyril Quinn, directeur par interim à Moscou en l’absence d’Haskell.
 Sans l’expliquer dans sa lettre, Turrou avait fait opposition au chèque, en déclarant qu’il lui avait été volé et que la signature était fausse. C’était un mensonge, mais, de toute évidence, son but était d’éviter de subir une perte énorme dans une opération qui devait à l’origine lui permettre de faire un très large bénéfice en revendant les diamants aux États-Unis ou ailleurs, et cette fausse déclaration lui permettait d’obtenir aisément le non paiement du chèque (la même personne qui condamne Turrou pour cela trouve parfaitement normal que Guillaume Seznec fasse de fausses promesses de vente pour remplacer de prétendues vraies promesses, afin de récupérer un prétendu gros investissement en dollars).
 Le vendeur moscovite s’est alors plaint du rejet du chèque. Quinn, qui trouvait ce vendeur «  d’un genre particulièrement indésirable  », pensait malgré tout (sans la moindre preuve) que les diamants étaient vrais et que Turrou était l’arnaqueur. Une fois rentré à New York, Turrou a déclaré au quartier général de l’A.R.A. qu’il avait confié les diamants à un dénommé Natchimoff, qui devait se rendre de Varsovie à Moscou, pour qu’il les remît à Volodine, agent du gouvernement russe, accompagnés d’une lettre demandant à ce dernier de les restituer au vendeur (et certainement de lui demander des explications). Quinn a alors été informé de ces déclarations et a répondu qu’aucun Natchimoff ne s’était présenté à Moscou et que cette histoire de diamants était un mensonge (à nouveau sans la moindre preuve).
 Quelques jours plus tard, Haskell, de retour à Moscou, a été informé par Walter Lyman Brown, directeur pour l’Europe de l’A.R.A., que Turrou avait été blanchi dans l’affaire des diamants après avoir signé une déclaration sous serment. Cette déclaration a disparu, mais elle ne devait être rien d’autre qu’une version extrêmement détaillée de ce qu’il avait raconté précédemment.
 Dans son livre, Bertrand Patenaude conclut sur cette affaire  :

 It is unclear what he confessed to because the affidavit is lost, but somewhere along the line Turrou may in fact have been suckered because the chiefs characterized his statement as “a long sad story of what purports to be his attempt to enter into the ‘get rich quick game.’”

 Je traduis ce passage ainsi  :

 On ignore ce qu’il a confessé parce que la déclaration sous serment est perdue, mais Turrou a probablement été roulé, car les chefs ont qualifié sa déclaration de «  longue et triste histoire de ce qui est censé être sa tentative de faire fortune rapidement  ».

 Bertrand Patenaude s’exprime parfois assez maladroitement. Il écrit  : «  somewhere along the line Turrou may in fact have been suckered  », ce qui signifie littéralement  : «  quelque part, Turrou peut en fait avoir été roulé  ». En disant «  en fait  », il admet que, malgré les apparences et la conviction sans fondement de Quinn, Turrou avait probablement été la victime et non l’arnaqueur dans cette affaire. N’oublions pas que même Quinn avait trouvé le vendeur louche, mais son inimitié évidente pour Turrou avait pris le dessus.
 Concernant le «  get rich quick game  », en l’assimilant à une vie d’escroqueries, Bertrand Vilain commet une nouvelle grave erreur d’interprétation, car il ne s’agit pas du tout dans cette phrase d’une charge contre Turrou. Il n’est pas accusé d’avoir été l’auteur d’une arnaque, puisque justement cette «  longue et triste histoire  » sous serment l’innocente si on la croit, et elle lui a valu d’être blanchi. Dans ce document, en toute logique, Turrou déclarait lui-même avoir tenté de devenir riche rapidement et s’être pathétiquement fait rouler par un vendeur malhonnête.
 Comment Bertrand Patenaude pourrait-il conclure que Turrou a probablement été roulé à partir d’une phrase qui dirait que la déclaration sous serment était le récit d’une tentative d’arnaque par Turrou ? C’est absurde, bien évidemment. Premièrement, Bertrand Vilain ne comprend manifestement pas le sens du verbe «  purport  » (prétendre, être censé), mais surtout, si le «  get rich quick game  » était une vie d’arnaques, la phrase de Bertrand Patenaude n’aurait plus aucun sens, car elle signifirait  : «  Turrou a probablement été roulé, car les chefs ont qualifié sa déclaration de longue et triste histoire d’une tentative de vivre une vie d’escroc  », ce qui est aberrant.
 Donc, à partir de la même citation, Bertrand Patenaude concède que, finalement, Turrou avait probablement été victime d’une arnaque, et Bertrand Vilain déduit que Turrou devait être un arnaqueur. L’anglais est la langue natale de l’un des deux, seulement. C’est à vous de voir.

Billet précédent  : Leon Turrou, fare you well
Billet suivant  : La conversation du radoteur

7 commentaires:

Liliane Langellier a dit…

Cher Marc…

Moi aussi j'ai aimé le style de Bertrand Patenaude. Un grand universitaire américain. Mon professeur de littérature à U.C.L.A., Michael J. Colacurcio possédait ce même style, brillant et parfois ironique, pour ceux qui savaient décrypter ses dires.
Cela me renvoie aux merveilleux romans de David Lodge sur la vie universitaire.

Le problème avec ce nouveau livre (s'il est un jour vendu ailleurs que dans une cave à vin villageoise) est qu'il est écrit par un vantard qui veut démontrer sa supériorité dans l'affaire Seznec. Cela peut séduire ses Pieds Nickelés, qui ne sont guère cultivés, mais, pas nous.

Merci d'avoir pris de votre précieux temps pour remettre les pendules à l'heure. Indispensable un jour où on en change justement d'heure !

C.J a dit…

On retient tout de même de l'histoire que Turrou a tenté un coup pour faire fortune rapidement. Renseignement précieux .On substitue les Cadillac aux diamants et on arrête de jouer les vierges effarouchées. Tout le monde reconnaît que les faux de Seznec sont un délit qui ne mérite pas la même punition qu'un meurtre, surtout quand l'accusé a lui-même été victime d'un chercheur d'argent facile, qui n'a pas fait opposition à un chèque cette fois -ci, mais a empoché les dollars or avant de disparaitre, appelé sans doute à des tâches urgentes!

Marc Du Ryez a dit…

Chère Liliane, je vois sur Wikipedia qu'il n'y a que des éloges de votre professeur, qui est toujours vivant :

https://en.wikipedia.org/wiki/Michael_J._Colacurcio

Bertrand Vilain pense qu'il sait tout, qu'il comprend tout, et adresse des insultes à ceux qui pointent ses erreurs. Ce n'est pas avec une telle attitude qu'une personne risque de progresser. En fait, nous signalons ces erreurs dans l'intérêt des lecteurs et nous savons très bien que nous ne parviendrons jamais à le convaincre de quoi que ce soit, puisqu'il a même rejeté la plupart des critiques qui lui ont été adressées par ceux qui lui avaient aimablement fourni des documents.

Prenons pour exemple l'un de mes commentaires récents où j'indique que Bernez et Thierry ont mal lu l'horaire des chemins de fer. Je l'ai fait dans l'intérêt de la réflexion sur l'affaire et j'ai une très grande estime pour ces deux personnes. Si j'avais fait la même chose avec Bertrand Vilain, je me serais fait traiter, au mieux, d'internaute "opinionated" n'ayant "pas le niveau", et il aurait insisté pour qu'un train parte de Landerneau à 8h44 et n'arrive à Guingamp que le lendemain à 5h23, il n'aurait pas vu l'absurdité d'un trajet Landerneau-Rennes en plus de 25 heures et n'aurait pas non plus compris pourquoi avec un tel train Quéméner ne risquait pas de se trouver le 24 mai au soir au Grand Hôtel Parisien de Rennes. C'est vraiment ainsi que je perçois ses entêtements habituels devant des démonstrations argumentées qui infirment ce qu'il avance. De plus, son attitude, pour moi, le rend infréquentable. Il est impossible de dialoguer avec un individu borné, suffisant, insultant et adepte des coups bas (comme la parodie puérile de blog qu'il a montée pour vous dénigrer). Je ne comprends vraiment pas pourquoi des personnes respectables comme Denis Langlois et Bernez Rouz lui adressent la parole. Enfin, l'un est resté silencieux et l'autre lui a offert un soutien qui n'en est pas un, puisqu'il mentionne l'absence de preuves, une théorie si crédible qu'il en faudrait une autre en complément, et l'impossibilité de faire ciller la Justice avec un tel ramassis d'âneries.

C.J a dit…

Insultons nous les uns les autres, ça ne résoudra pas le problème. Et surtout ne cherchons pas qui a commencé.
Le livre de Bertrand Vilain apporte à l'affaire Quéméneur une preuve par l'absurde. Seule sa théorie apporte une solution.
Le raisonnement par l'absurde (du latin reductio ad absurdum) ou apagogie (du grec ancien apagôgê) est une forme de raisonnement logique, philosophique, scientifique consistant soit à démontrer la vérité d'une proposition en prouvant l'absurdité de la proposition complémentaire (ou « contraire »), soit à montrer la fausseté d'une proposition en déduisant logiquement d'elle des conséquences absurdes.

Marc Du Ryez a dit…

Madame Jourdan, il ne faut pas confondre une théorie grotesque s'appuyant sur une histoire invraisemblable (avec variantes) racontée par Petit-Guillaume à son neveu et à ses enfants (tout aussi fiable que les délires de sa sœur et de son père âgé) avec des faits relatés par un historien. Ici, Turrou investissait ce qui représentait certainement une grand part de ses revenus de l'année (personne n'a avancé qu'il n'était pas solvable) dans l'intention de faire bientôt une forte plus-value. S'il avait voulu arnaquer le vendeur, il aurait signé un chèque en bois, plutôt que de prendre le risque de ne pas obtenir rapidement l'opposition sur son chèque. Il n'aurait pas non plus écrit à Haskell pour le mettre au courant de l'affaire. Ce que vous lui reprochez, c'est du commerce, tout simplement.

Pour ce qui est d'empocher des dollars or, même s'ils avaient existé à l'origine en nombre suffisant, cela aurait été difficile, puisque Quéméner a dit à Legrand le 23 mai que Seznec avait vendu ses dollars. Cela devrait signifier que ces pièces d'or ont été transformées en billets le 22 mai à Brest et n'ont donc pas pu être remises à Quéméner sous une forme sonnante et trébuchante ce jour-là (tout le reste s'oppose à cette remise, de toute façon).

Je ne compte pas écrire des pages et des pages sur ce que l'on reproche à tort à Turrou, mais cela serait facile si j'en avais le temps. Je dirai simplement sur l'affaire de l'incendie qu'un document du F.B.I. montre que, contrairement à ce qu'affirmait Davidowsky, ce n'est pas à sa demande qu'une enquête a été faite, car ce document dit que Davidowsky ayant refusé de payer Turrou pour qu'il se taise, ce dernier A PORTÉ PLAINTE. C'était tout de même osé, non, si c'était du bluff ? Apparemment l'enquête a conclu que l'incendie était accidentel, mais cela ne contredit pas la sincérité de Turrou dans cette affaire. Furieux d'avoir perdu ses affaires, il a d'abord demandé de l'argent pour ne pas porter plainte, ce qui l'aurait remboursé de sa perte dans un incendie qu'il considérait comme une escroquerie aux assurances et dont il ne voulait pas être la principale victime, puis il a porté plainte, espérant être dédommagé. Cela a mis un terme à leur amitié, c'est certain. Croyez bien que dans la même situation, si j'avais la conviction que l'incendie était criminel, je n'aurais pas tenté de trouver un terrain d'entente et j'aurais directement porté plainte. Essayez d'imaginer ce que vous ressentiriez si tout dans votre appartement ou maison était détruit, et vous comprendrez. Il y a des choses sans prix que l'on ne peut pas accepter d'avoir perdu à cause de la cupidité d'un ami.

"Seule sa théorie apporte une solution." Non. Premièrement, elle repose sur de mauvaises interprétations, sur des erreurs factuelles et sur une absence de preuves, donc elle n'est pas une solution. Deuxièmement, la solution où Seznec tue Quéméner près de Houdan est consistante avec les faits établis et avec le comportement de Seznec (déclarations variables et en désaccord avec les faits, tentatives de subornation de témoins). En s'attaquant à la préméditation, Bertrand Vilain s'attaque à un élément de l'accusation qui n'a pas été retenu par le jury. Si le verdict avait été en faveur de l'assassinat, il y aurait eu la possibilité de considérer la preuve de la véracité de cette affaire d'automobiles comme un élément nouveau, mais le cas ne se présente pas.

C.J a dit…

Quant à savoir ,Monsieur Du Ryez, si Turrou était ou non un honnête commerçant, je note qu'il cherchait l'argent facile. Cette histoire de diamants traduite d'une façon où d'une autre n'est pas très limpide.
Que Quéméneur ait emporté des billets plutôt que des dollars-or ne change rien à l'affaire.

Liliane Langellier a dit…

Mais enfin…
Est-ce que tout le monde se rend compte que, pour les hallucinations d'un mauvais auteur, on en est à devoir traduire et re-traduire un livre d'un universitaire californien qui n'a strictement rien à voir avec l'affaire Seznec.
Vous avez du mérite, cher Marc, je n'ai pas votre patience.
C'est vrai que les injures que j'ai reçues - et que je continue de recevoir via ce blog Wordpress minable et pathétique - ne m'ont pas enclin à l'indulgence.
"Cette histoire de diamants traduite d'une façon ou d'une autre" écrit la psy briochine..
Non, les mots sont des mots et leur sens aussi. Il n'y a qu'une seule traduction possible.
La vôtre.