L’ENTÊTEMENT
Je ne peux qu’approuver le dernier billet du blog L’Affaire Seznec revisitée. L’entêtement de Bertrand Vilain à asséner des contre-vérités, à ignorer les preuves et les critiques apportées par ses contradicteurs et à mépriser ces derniers tout en faisant constamment l’éloge de sa propre ingéniosité est tout simplement prodigieux et insupportable.
La ténacité peut être une valeur admirable. Dans certains cas, elle peut également être fort pénible, comme nous le constatons aujourd’hui avec Bertrand Vilain.
Ce n’est pas à sa personne que je m’attaque. Je n’évoque jamais sa profession, ni sa vie familiale. Ce que je rejette, ce sont ses erreurs flagrantes d’interprétation, ses affirmations ne reposant sur rien1, et bien entendu sa méthodologie défectueuse. Il n’est pas indispensable d’avoir suivi une formation universitaire d’historien pour appliquer de bonnes méthodes d’exploitation des sources, car c’est surtout une question d’esprit de rigueur, et c’est une qualité qu’en tant qu’auteur il ne possède pas.
Il affirme à nouveau aujourd’hui sur son blog :
Turrou part du Havre pour rejoindre les Etats-Unis en mars 1923 pour revenir peu de temps après. Il est en France pendant l’affaire Seznec. Son nom apparait sur la liste de passagers du transatlantique Berengaria.
Le nom de Leon Turrou apparaît au retour à New York, mais nous ne possédons pas encore la liste des voyageurs à l’aller. La troisième phrase étant censée prouver la seconde est en réalité sans rapport avec elle. Pour l’instant, nous ignorons totalement si Turrou était en France au moment de la disparition de Pierre Quéméner. Qu’il ait embarqué à Cherbourg pour New York le 7 juillet 1923 ne nous indique pas la date de son arrivée en Europe, ni par quel moyen il a voyagé.
L’auteur ajoute :
Turrou au début des années 20 est un individu douteux qui trempe dans toute sorte de combines louches. Il est un peu escroc. Un de ses amis indique qu’en 1923, il a monté une arnaque en France.
Il y a deux jours, Turrou était selon le même auteur un « escroc minable ». Aujourd’hui, il est « douteux » et « un peu escroc ». Bertrand Patenaude2, qui semble avoir un avis assez négatif sur Turrou, a concédé à chaque fois que rien n’avait été prouvé dans les affaires pour lesquelles il avait existé des doutes concernant sa moralité. Turrou est entré au F.B.I. après un examen approfondi de sa personnalité et de son passé, et il a servi le Bureau pendant dix ans en apportant entière satisfaction. Ce n’était pas à la portée de tout le monde, d’autant qu’il n’avait pas reçu la formation nécessaire. Il avait donc compensé par d’autres qualités, qui se devaient d’être exceptionnelles.
Je ne sais si je dois commenter la dernière phrase de cet extrait, car madame Langellier et moi-même avons suffisamment dit et répété qu’il s’agissait là soit d’un mensonge éhonté, soit d’un aveuglement coupable. La vérité, c’est que l’un de ses anciens amis, interrogé en 1938 au moment où il déteste Turrou suite à un différent (ce dernier ayant essayé de lui extorquer de l’argent pour se taire sur un incendie qu’il jugeait volontaire), a déclaré entre deux verres d’alcool que Turrou avait monté à New York aux environs de 1923 (et qui s’est avéré être à la toute fin de 1924) une affaire d’exportation de champignons depuis la Pologne qui avait très mal tourné. Il n’a jamais parlé d’arnaque, ni de la France, et il a par ailleurs apporté son aide financière à Turrou à cette occasion pour le sortir d’embarras.
Je tiens à préciser que je n’exclus pas une implication de Leon Turrou dans l’affaire de Cadillac. Tant que nous n’avons pas d’élément certain qui s’y oppose, il est possible que Turrou en ait été l’organisateur. Mais je ne pense pas que, dans cette hypothèse, il ait été le soi-disant Charly, qui n’était apparemment qu’un contact. Je considère comme plus probable que le véritable commanditaire ait utilisé Scherdy (peut-être Francis Gherdi) et Ernst Achermann comme relais parisiens. De plus, je n’y vois pas nécessairement une arnaque, mais plutôt un trafic non officiel qui devait rester discret.
L’hypothèse de Bertrand Vilain sur le déroulement des événements du 26 au 28 mai, par contre, est grand-guignolesque et se heurte à nombre de faits établis. Avec ce livre3 rempli d’erreurs et de mensonges, il brise la pierre qu’il tentait d’apporter. Certain d’avoir trouvé un élément jusque-là ignoré et convaincu par la prétendue solidité de l’histoire de Petit-Guillaume, il a pensé résoudre l’une des plus célèbres affaires criminelles françaises en recollant tous les morceaux avec son scénario improbable. Il ne lui vient jamais à l’esprit que cette affaire a vraisemblablement déjà été résolue depuis très longtemps, par celui qu’il accuse de forfaiture, le commissaire Vidal, dès le 29 juin 1923 (le reste n’étant que détails). Il ne comprend pas que, même si Turrou peut avoir été lié à l’affaire de Cadillac, Guillaume Seznec a très probablement été bien jugé. Toute autre conclusion serait extrêmement étonnante et requerrait des preuves autres que celles qu’il avance de façon désordonnée et souvent fautive dans son livre.
L’histoire de Petit-Guillaume ouvre ce qui est pratiquement l’unique voie à la semi-innocence de Seznec. Je comprends donc pourquoi certains s’y accrochent désespérément, mais elle n’est pas fiable. Il est donc très périlleux de fonder un scénario sur les propos décousus d’un homme qui n’a jamais pu croire que son père était un meurtrier.
1. Sixième stratagème de L’Art d’avoir toujours raison d’Arthur Schopenhauer : postuler ce qui n’a pas été prouvé.
2. The Big Show in Bololand: The American Relief Expedition to Soviet Russia in the Famine of 1921, Stanford University Press, 2002.
3. Affaire Seznec : Les Archives du FBI ont parlé, Saint-Éloy, Éditions MonsieurBrocanteur, 2020.
ADDENDA
Je réponds ici aux paragraphes ajoutés le 11 mars par Bertrand Vilain à son billet de la veille intitulé « Encore Turrou ».
Je considère comme impossible que l’épisode de Monte Carlo ait eu lieu en 1923, pour la simple raison que Turrou n’aurait pas retrouvé d’autres pigeons pour repartir aux champignons en 1924. Je dis « pigeons », car ils le seraient devenus en 1924 si Turrou leur avait tout fait perdre en 1923, mais pour moi il n’y a eu qu’un seul voyage, de fin 1924 à début 1925, et c’était un projet honnête qui a mal tourné. Je rappelle au passage qu’il y a une période idéale, pour les champignons, et ce n’est pas de mai à juillet.
Et non, il n’y a pas un fossé entre 1925 et « some time around 1923 » (aux alentours de 1923) prononcé en 1938 (cela correspond aujourd’hui à « some time around 2005 », et je ne pourrais pas dire ce que je faisais cette année-là sans un gros effort de réflexion, et j’aurais même besoin de faire appel à mes archives), surtout quand le retour à New York se fait en février 1925 (sur un paquebot de taille très inférieure au Berengaria, notons-le, et certainement plus abordable financièrement) et que le départ était prévu fin 1924. Il s’agit très probablement là du voyage qui correspond à l’histoire de Davidowsky.
5 commentaires:
"L’hypothèse de Bertrand Vilain sur le déroulement des événements du 26 au 28 mai, par contre, est grand-guignolesque et se heurte à nombre de faits établis. Avec ce livre3 rempli d’erreurs et de mensonges, il brise la pierre qu’il tentait d’apporter. Certain d’avoir trouvé un élément jusque-là ignoré et convaincu par la prétendue solidité de l’histoire de Petit-Guillaume, il a pensé résoudre l’une des plus célèbres affaires criminelles françaises en recollant tous les morceaux avec son scénario improbable."
Ce que Vilain n'assimile pas, c'est que ce sont ses déductions fantaisistes qu'on lui reproche.
Pas le fait d'avoir lu le livre de Bertrand Patenaude (facile de lecture, comme tous les grands universitaires) ou encore les dossiers du F.B.I. que lui a fournis Richard Bareford.
Et que j'ai lus.
Il a utilisé ces deux sources et en a tordu le sens dans le seul et unique but de les raccrocher à son personnage Charly/Leon Turrou.
Ce besoin, chez lui, de toujours frimer en nous contant qu'il est allé lui-même et personnellement au F.B.I. de Washington…
Et de rabaisser les autres, tous les autres,
est juste insupportable.
Il reçoit aujourd'hui ce qu'il mérite.
Je me doutais bien qu'en tant que Normand, j'allais titiller la fibre bretonne avec mon commentaire sur les Bretons. J'ai donc amendé ce paragraphe pour enlever toute notion régionale.
Je précise que j'ai grandi au sein de la communauté bretonne de ma ville normande, et que durant mon enfance, j'ai assisté à toutes les fêtes bretonnes avec costumes et musique, et à aucune fête normande. Je n'ai jamais compris cette rivalité, alors que tout nous rapproche : cidre, crêpes, long littoral, pêcheurs vivant dans des conditions similaires... Le Mont-Saint-Michel est normand, et cela passe mal, certes. Les Bretons sont celtes et les Normands sont nordiques. Mais au final, nous nous ressemblons étrangement.
Quand je vivais à Nantes, qui est en Bretagne (si, si), je disais souvent pour plaisanter que je faisais très attention à parler sans mon (léger) accent normand, de peur d'être découvert et de me faire empaler sur la porte de la cathédrale Saint Pierre et Saint Paul.
J'ai donc fait cette concession à Skeptikos, suite à sa remarque. Par contre, je ne pourrai pas publier ici ses commentaires tant qu'il les parsèmera de piques contre madame Langellier. J'ajoute que je ne vois pas l'adresse e-mail de ceux qui commentent sur mon blog et que je ne peux donc pas répondre en privé (ce que je ne ferais sans doute pas, de toute façon).
Monsieur,
Je suis peut-être une fin de race, mais vous n'avez rien à me concéder.
Si vous vous doutiez que vous alliez engendrer une remarque des lecteurs bretons, vous auriez pu peser vos mots et , peut-être, vous abstenir. Mais bon, il n'y pas d'origine régionale pour la maladresse et une certaine forme de légèreté...
Et surtout, conservez ce ton condescendant , il vous va si bien.
Skeptikos
Il n'y avait aucune condescendance dans mon commentaire, cher Skeptikos. J'admettais que j'avais eu tort et que votre remarque était judicieuse. J'aurais dû m'abstenir, en effet. Je n'ai fait que préciser ensuite que je n'avais pas de préjugés envers les Bretons (ma plaisanterie nantaise n'était, justement, qu'une plaisanterie, puisqu'elle était absurde).
Je crois qu'il y avait malentendu sur le mot "concession", Skeptikos. Je voulais dire : j'ai fait une faute de goût, je vous le concède. Je n'aurais pas retiré ce passage si je n'avais pas jugé, suite à votre remarque, que ce n'était pas très bien de ma part. Je n'ai pas changé la phrase hypocritement par diplomatie.
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