Samedi 7 mars 2020

LA DIVERSION

 Aujourd’hui, dans le cadre de notre étude sur L’Art d’avoir toujours raison d’Arthur Schopenhauer, nous allons observer le vingt-neuvième stratagème  : faire diversion. Bertrand Vilain nous en donne un exemple assez subtil dans la réponse qu’il a apportée à mon billet d’hier. Au passage, nous admirerons son emploi en conclusion de son article du quatorzième stratagème  : clamer victoire malgré la défaite. L’essentiel n’est-il pas pour lui de prêcher des convaincus et de conserver son aura de chef  ? Car, en effet, notre auteur est également un expert du vingt-huitième stratagème  : convaincre le public et non l’adversaire. Je suis pourtant toujours prêt à ce que l’on me démontre que j’ai tort. Encore faut-il que l’on apporte quelques arguments.
 Je répondrai donc à la version «  officielle et unique  » de son article, celle où il ne fait pas usage du trente-huitième stratagème (soyez personnel, insultant, malpoli) en m’appelant Mister Nobody et en me disant que je n’ai «  pas le niveau  ». Dans celle-ci, il m’appelle simplement «  un internaute  ». Parce que lui, quand il poste un billet sur son blog, il n’est pas un blogueur, ni un internaute. C’est une chose réservée aux autres. Lui, il existe dans la vraie vie. Moi, pas. Je pensais qu’Internet n’était qu’un moyen de communication entre êtres humains, mais j’avais probablement tort. Quand j’appelle quelqu’un au téléphone, je ne suis sûrement qu’un téléphonaute. Je vais devoir m’y faire.
 Cette diversion, chez Bertrand Vilain, a donc consisté à feindre de répondre à l’intégralité de mon billet tout en évitant soigneusement l’argument principal. L’a-t-il vu, en fait  ? J’admets que je ne sais pas s’il le fait exprès, parce qu’il donne très souvent des preuves de lecture inattentive, problème qui semble être à la source de la plupart de ses erreurs. C’est pourquoi, avant de répondre à ses contre-arguments, qui ne concernent que des éléments subalternes, je vais donner ci-dessous en italiques une version extrêmement condensée de mon billet d’hier  :

Bertrand Vilain ose affirmer dans son livre  : «  En effet, il a réservé une place à bord du transatlantique Berengaria.  » Cette affirmation qui semble indiscutable dans le livre n’était en fait que le fruit d’une «  déduction logique  ». Cette phrase était tout simplement mensongère. On ne peut pas affirmer que Turrou a réservé une place sur le Berengaria quand on n’en sait strictement rien.

 Que peut-il répondre à cela  ? Rien. C’est pourquoi il répond à côté quand il cite ces passages. Il y joint, par exemple, la partie sur la date exacte d’arrivée à Cherbourg pour pouvoir rétorquer  :

 Si! Je peux affirmer que le Berengaria est arrivé le 20 ou 21 mai car le 22 mai il est à Southampton. Les passagers ont débarqué dans la matinée. Il n’y a pas de débarquement pendant la nuit. Donc logiquement, le bateau est arrivé dans la nuit ou la matinée du 22 mai. Les affirmations du style "Il s’agit de propos malhonnêtes, destinés à tromper le lecteur" reposent uniquement sur de l’apriorisme et méritent un bonnet d’âne.

 Comme cela, un lecteur distrait croira qu’il a également réfuté la première phrase du paragraphe qu’il cite. C’est très habile, en effet.
 On notera qu’il explique ainsi la supposition du 21 mai, mais pas celle du 20. Pense-t-il que les voyageurs à destination de Southampton auraient apprécié d’admirer le port de Cherbourg pendant plus d’une journée sans bouger  ? Il faut n’avoir jamais vu cette ville pour avoir une pareille idée.
 Je lui avais reproché de ne pas avoir cherché à préciser cette date d’arrivée, essentielle pour sa théorie, et il me répond :

 J’avais la certitude que le Berengaria était arrivé à Cherbourg avant le 22 mai en consultant les archives du Royaume-Uni. Donc, je n’ai pas creusé d’avantage. Trouver un article de journal est à la portée de tous. J’avais déjà la preuve recherchée et j’avais des points beaucoup plus importants à vérifier.

 D’accord, mais si jamais un «  élève pas très doué  » découvrait que le paquebot était arrivé à Cherbourg le 21 mai vers 20 heures, on avait un problème, non  ? Il fallait assurer ses arrières. Cette arrivée pouvait également avoir eu lieu le 22 mai à l’heure du lever du soleil, vers 4 heures 30. Comme on peut débarquer 371 passagers et 1.800 sacs de courrier en trente minutes, paraît-il (en les jetant par-dessus bord, par exemple, même s’il faudra beaucoup de personnel pour aller aussi vite), il restait assez de temps pour arriver à Southampton le matin.
 Concernant la lenteur du transbordement dans le port de Cherbourg à l’époque (je ne sais pas si Bertrand Vilain a très bien imaginé le phénomène, appliqué à des centaines de passagers, qui doivent également récupérer leurs bagages), je cite à nouveau ma source, en y ajoutant une phrase qui montre que même les voyageurs américains prestigieux devaient se montrer patients  :

 À 5h30, 3 transbordeurs, le Traffic, le Nomadic et l’Alsatia, appareillent pour accoster le Majestic mouillé en rade de Cherbourg. Les passagers du Majestic débarquent à 8h. Ces derniers quittent Cherbourg à 9h15 en empruntant des trains spéciaux. Parmi ces passagers se trouve l’épouse de l’ancien Président des États-Unis, Woodrow Wilson.

 Ce passage est issu d’un document de 38 pages intitulé Les gares maritimes transatlantiques de Cherbourg et publié par la Cité de la Mer, un parc scientifique qui occupe les bâtiments de l’ancienne gare maritime de 1933. Je précise que je connais très bien Cherbourg, pour y avoir vécu. J’y ai vu à quai le très impressionnant Queen Mary 2 (tirant d’eau  : 10,30 mètres). Mais cette commodité était impossible pour le Berengaria, puisque le port en eau profonde n’avait pas encore été construit et que cet énorme paquebot (tirant d’eau  : 10,72 mètres selon Wikipédia, 11 mètres selon le registre des entrées et sorties du port) ne pouvait pas approcher du quai. Le document qui m’est opposé ne peut concerner que des paquebots de taille plus modeste, comme ceux que j’avais signalés pour les jours précédents et suivants (quelques dizaines de passagers descendent, seulement).
 Cela dit, j’admets qu’un passager du Berengaria aurait pu débarquer en environ deux heures ce jour-là. Ce que je n’admets pas, c’est que l’on affirme que ce débarquement prend nécessairement moins de deux heures quand il peut en nécessiter le double.
 Je ne reviendrai pas sur les discussions pénibles concernant la troisième classe sur un transatlantique, puisque le confort y était minime et qu’elle était fréquentée essentiellement et presque exclusivement par des émigrants (les listes de passagers en attestent). Quant à savoir ce que Leon Turrou pouvait s’offrir lors de son voyage pour son projet avorté d’exportation de champignons de Pologne, cela n’a plus la moindre importance, depuis que l’on sait grâce à Richard Bareford et à madame Langellier (qui, elle, comprend ce qu’elle lit) que ce voyage a eu lieu en 1924. En 1923, Turrou voyageait probablement à l’aller comme au retour aux frais de l’A.R.A.
 On me dit qu’il n’y a pas de raison d’acheter aujourd’hui un billet d’avion sans le retour (c’est hors sujet, je sais). Or, je dois bien en avoir une, puisque c’est ce que je fais à chaque fois, et je ne paie pas plus cher, car je prends des vols réguliers. Je vis plusieurs mois par an à l’étranger et je ne connais jamais à l’avance la date de mon retour. J’ai cessé de m’imposer une date de retour quand j’ai compris que je pouvais avoir de la flexibilité pour le même prix. Mais il est préférable de se contenter d’étudier les tarifs sur les transatlantiques en 1923.
 J’avais jugé absurde que Turrou, porteur de 6.000 dollars et partant pour affaires en Europe, avec les aléas de transports ferroviaires que cela représentait, eût pu déterminer la durée de son séjour à l’avance et eût pris un aller-retour en troisième classe. Je contestais à la fois l’aller-retour et la classe. L’auteur nous dit qu’il pense que sa supposition sur ce point «  est de loin la plus solide car logique.  » Que dire des autres, alors, puisque celle-ci ne repose désormais sur rien, le projet polonais n’ayant été mis en place que fin 1924 (à une période de l’année où il y avait des champignons, cette fois, ce qui est préférable).
 Bertrand Vilain affirme  : «  Je considère que le témoignage de Petit-Guillaume est solide.  » Une analyse un peu sérieuse de cette histoire, qui n’est aucunement un témoignage au sens légal en l’état (ce n’est pas en tout cas une preuve testimoniale), montre qu’elle n’est pas fiable. La juger solide relève donc de la croyance, comme je le disais.
 Il ajoute  : «  J’ai rassemblé sur Turrou un faisceau de présomptions bien plus convaincant que l’hypothèse de la justice qui est que Charly n’existe pas.  » Je répondrai qu’il existe en réalité un faisceau de présomptions autrement plus impressionnant contre Guillaume Seznec dans cette affaire. Ce n’est pas une suite de suppositions et de déductions à partir de lectures mal comprises, mais une très importante collection d’éléments de preuve à charge, rassemblés par des policiers et des hommes de loi. Et même si l’accusation a prétendu que «  Charly  », comme il dit, n’existait pas, le jury n’a pas retenu dans son verdict la préméditation, ni le guet-apens. Il n’a donc pas formé son opinion sur ce point. Le contester n’apporte strictement rien à l’affaire.

1 commentaire:

Liliane Langellier a dit…

Cher Marc,
J'ai l'impression que nous prêchons dans le désert.
Même si nous y mettons toute la foi qui nous habite.
Notre brocanteur ne supporte que les louanges pas les critiques.
Sa tribu de Pieds Nickelés l'a habitué à être considéré comme The King…
Alors, si nous allons contre lui, même en argumentant notre discours, nous commettons un crime de lèse-majesté…
Et les disciples nous rappellent à l'ordre.
Rechercher la vérité, dans l'affaire Seznec lui importe peu, ce qu'il veut c'est être à tout prix celui qui a dénoué l'affaire Seznec.
Mais, pour ça, y'a encore beaucoup beaucoup de boulot !