LEON TURROU, TOURISTE DE TROISIÈME CLASSE
Le billet publié hier par Bertrand Vilain sur son blog, loin d’appuyer ce que son livre1 avance sans le prouver, fusille sa propre théorie, ou tout du moins la ramène au rang de simple spéculation sans fondement, car nous pouvions penser qu’elle émanait d’éléments fiables que nous ne possédions pas. Nous savons maintenant qu’elle repose sur des déductions ineptes.
L’hypothèse centrale de Bertrand Vilain dépend entièrement d’un fait qui n’a pas été prouvé à ce jour, à savoir la présence de Leon George Turrou à Paris le 26 mai 1923, lieu et date du rendez-vous de Pierre Quéméner avec son contact américain.
Nous savons pour l’instant que Turrou débarque le 24 mars 1923 à New York en provenance du Havre avec femme et enfants, qu’il rencontre Herbert Hoover peu avant le 14 mai à New York et qu’il embarque seul le 7 juillet à Cherbourg sur le Berengaria à destination de New York. Il est donc revenu en Europe entre ces deux dernières dates.
Bertrand Vilain, ayant besoin pour empêcher sa théorie de s’effondrer que Turrou soit à bord de l’un des premiers navires en partance de New York pour la France après ce rendez-vous avec Hoover, ose affirmer dans son livre :
Le planning de Turrou est assez serré car il repart en France. En effet, il a réservé une place à bord du transatlantique Berengaria opéré par la Cunard line qui assure des rotations entre Southampton et New York avec une escale à Cherbourg. Le prochain départ de New York est situé vers le 15 mai avec une arrivée prévue à Cherbourg le 20 ou 21 mai.
Remarquons que l’auteur ne s’est pas donné la peine de préciser plus avant les dates de cette traversée du Berengaria, alors qu’elles sont essentielles pour sa démonstration et qu’il était possible de les obtenir en consultant la presse, comme Thierry Lefebvre l’a démontré.
Mais ce qui choque le plus, c’est que le billet auquel j’ai fait référence nous apprend que cette affirmation qui semble indiscutable dans le livre n’était en fait que le fruit d’une « déduction logique » dont l’auteur a le secret. Bertrand Vilain considère même que les preuves apportées récemment par ceux qu’il vilipende pourtant régulièrement sur son blog confirment ce qu’il avait avancé dans son livre, alors qu’elles ne font qu’apporter une précision qui lui faisait cruellement défaut et rien d’autre.
En réalité, le passage du livre que j’ai cité ci-dessus était tout simplement mensonger. On ne peut pas affirmer que Turrou a réservé une place sur le Berengaria quand on n’en sait strictement rien. On ne peut pas non plus dire que l’arrivée à Cherbourg est prévue le 20 ou 21 mai, quand le seul élément qu’on possède (comme il l’avoue dans son billet d’hier) est une arrivée à Southampton le 22 mai et que la traversée de Cherbourg à Southampton ne prend que six heures. Il s’agit de propos malhonnêtes, destinés à tromper le lecteur.
Je me demande d’ailleurs si l’auteur ne cherche pas à se tromper également lui-même. Rappelons-nous les paroles de la chanson Mythomane d’Étienne Daho :
Je me raconte des histoires à dormir debout
Je raconte des histoires à qui veut me croire
Je suis le premier à tomber dedans
Tous les efforts de Bertrand Vilain consistent à essayer de concilier deux croyances, l’une en l’identification de Turrou avec le prétendu Charly de l’affaire Seznec et l’autre en l’histoire racontée par Petit-Guillaume à son neveu et à ses fils, élevée au rang de témoignage et éradiquant tout ce qui la contredit. Nous entrons là dans la pseudo-science, telle qu’elle est parfaitement définie en tête de l’un des récents articles de Liliane Langellier. Il part de deux conclusions fort discutables, rassemble (voire invente, comme on l’a vu) des éléments qui lui semblent venir en soutien de sa théorie et rejette tout ce qui s’y oppose, y compris de simples conseils de circonspection.
C’est ainsi qu’il a formé cette idée totalement absurde que Leon Turrou avait pris un billet aller-retour de « troisième classe touriste » sur le Berengaria, parce que le tarif était avantageux.
Comme Liliane Langellier l’explique en toute fin de son article publié hier, Turrou n’a pas besoin de se faire envoyer 200 dollars par ses amis et par sa femme (qui en apporte près de la moitié) si son retour en bateau est déjà payé, puisqu’une petite fraction de cette somme lui suffit pour se rendre en train de Monte Carlo à Cherbourg. Je crois même que cela reste vrai s’il voyage en première classe et descend dans un hôtel confortable à Paris, ce qui serait abuser de la générosité de ses amis et surtout du sacrifice de sa pauvre femme, dont l’argent n’est autre que celui du couple. Pourquoi abuserait-il de ses propres ressources alors qu’il est dans une situation calamiteuse ? La somme demandée ne s’explique que par le besoin d’acheter son billet sur un transatlantique.
J’ajoute que, s’étant rendu en Europe pour affaires, Turrou ne peut pas connaître à l’avance la date de son retour, car elle dépendra entièrement du déroulement des opérations. Il ne peut pas prendre le risque de voir tout s’écrouler parce que son retour a lieu un peu trop tôt, juste avant de conclure son marché.
Mais le plus ridicule à mes yeux est de supposer que Turrou voyageait à l’aller en troisième classe.
L’article de presse américain découvert par Thierry Lefebvre concernant l’arrivée du Berengaria à Cherbourg le 21 mai 1923 donne les statistiques suivantes : 155 passagers de première classe, 127 passagers de deuxième classe, 39 passagers de troisième classe et 1.850 sacs de courrier. Le registre des entrées et sorties du port de Cherbourg, que j’ai consulté, compte pour cette même arrivée : 282 passagers, 89 émigrants et 1.800 sacs de dépêches. Il est clair que le nombre 39 dans l’article découle d’une erreur de lecture d’une source manuscrite et qu’il y avait 89 passagers de troisième classe, que le registre du port compte comme des émigrants... probablement parce qu’il s’agissait d’émigrants.
La S.N.C.F. a supprimé sa troisième classe en 1956. Cependant, il y a bien longtemps, dans un autre pays et sur un autre continent, j’ai pu voir ce qu’était la troisième classe dans un train : bancs en bois, promiscuité, poules vivantes, etc. J’avais dû prendre un billet de première classe pour accéder à un confort à peu près acceptable. J’ai également connu la deuxième classe dans un navire traversant la mer Méditerranée : cabines à partager avec au moins trois autres hommes, généralement des ouvriers aux revenus modestes. La troisième classe sur un paquebot était réservée aux émigrants pratiquement sans le sou. J’imagine très mal Turrou voyager sur un transatlantique autrement qu’en première classe, surtout s’il était porteur de 6.000 dollars à l’aller. Je crois même qu’il lui fallait réserver une cabine à deux lits pour lui seul, par sécurité. Au retour, par contre, il a pu se contenter de la deuxième classe.
Je constate également à la lecture du billet de Bertrand Vilain qu’il insiste pour imaginer un débarquement éclair à Cherbourg, alors qu’on lui a prouvé le contraire. Il écrit : « Le débarquement des passagers à Cherbourg est très rapide, entre 30 minutes et 2 heures. » Aujourd’hui, certainement, mais j’ai expliqué chez madame Langellier qu’à l’époque les paquebots n’arrivaient pas à quai et restaient dans la rade. Des transbordeurs venaient chercher les passagers et c’était très long. Un exemple donné par un document de la Cité de la Mer à Cherbourg montrait qu’en 1925 il fallait aux passagers d’un transatlantique près de quatre heures avant de monter dans les trains spéciaux, qui se trouvaient tout près de la gare maritime.
De plus, le registre du port de Cherbourg indique que le paquebot est ressorti le jour de son arrivée et il n’est arrivé à Southampton que le lendemain. Pour un navire comme le Berengaria, il ne fallait qu’environ six heures pour rejoindre Southampton. Par conséquent, arrivé vers 16 heures, il n’est reparti que tard dans la soirée, alors que seulement six passagers sont montés à bord à Cherbourg pour se rendre en Angleterre. Ce sont donc les opérations de débarquement d’un très grand nombre de passagers qui l’ont fait rester plusieurs heures en rade de Cherbourg.
En résumé, la « déduction logique » de Bertrand Vilain est à rejeter complètement. Leon Turrou peut en effet s’être trouvé parmi les passagers du Berengaria débarquant à Cherbourg le 21 mai 1923, mais pas pour les raisons qu’il avance. Surtout, il peut avoir voyagé sur un tout autre navire et être arrivé dans un tout autre port européen à une tout autre date. Il peut être arrivé fin mai au Havre, s’être rendu directement en Pologne et n’en être revenu que fin juin pour se rendre à Monte Carlo. Cette hypothèse est tout aussi valable que celle de notre romancier.
Pourquoi n’a-t-il pas dit à ses lecteurs que la présence de Turrou à Paris le 26 mai n’était qu’une supposition ? Je me souviens d’un commentaire de l’un de ses disciples qui semblait persuadé que Turrou s’y trouvait à l’heure même du rendez-vous, que c’était un fait établi par l’auteur. On le comprend, puisque ce dernier affirme avec aplomb des choses qu’il ignore. Or, rien n’est démontré, ni sur ce point, ni sur tous les autres points essentiels de la théorie.
1. Affaire Seznec : Les Archives du FBI ont parlé, Saint-Éloy, Éditions MonsieurBrocanteur, 2020.
1 commentaire:
Le paquebot Vilain, avec, à bord, notre auteur mythomane, est en train de sombrer avant même d'arriver au port…
Et ça ira plus vite car point ne sera besoin de transbordeurs.
Les derniers éclaircissements de Richard Bareford, le biographe de Leon George Turrou sur "Find A Grave" sont incontournables.
Non seulement M. Vilain n'est JAMAIS allé au F.B.I. de Washington car il a juste demandé à Bareford de lui transmettre ses documents…
Mais, en plus, Bertrand Vilain prend pour argent comptant le témoignage de Joseph Davidowsky contre Turrou.
Un Davidowsky qui était animé de haine et fin saoul quand il a témoigné.
Comment peut-on échafauder une telle hypothèse à partir de si mauvais témoignages ?
Comment peut-on mentir autant sur ses sources ?
Un proverbe africain dit :
"Quand le mensonge prend l'ascenseur, la vérité prend l'escalier. Même si elle met plus de temps, la vérité finit toujours par arriver !"
Dont acte.
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