Lundi 25 juin 1923

24 juin 1923 | 26 juin 1923
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ÉVÉNEMENTS

 Suite à l’article paru la veille dans La Dépêche de Brest, une bonne partie de la presse nationale commence à s’intéresser à la mystérieuse disparition du conseiller général Pierre Quéméner (désigné systématiquement sous son nom commercial Quéméneur, avec ou sans accents).
Le Matin compare cette disparition à la célèbre affaire Cadiou, du nom d’un industriel disparu à Landerneau en 1913 et retrouvé mort un mois plus tard. La Dépêche de Brest publie un récit détaillé du voyage en Cadillac par Guillaume Seznec. De son côté, le journaliste de La Presse a obtenu des informations de la part de Jean Pouliquen. Concernant le chèque, on notera que Seznec parle de 80.000 francs et Pouliquen de 60.000 francs (la somme réelle). Cette cacophonie continuera dans la presse pendant quelques jours. Certains articles évoqueront même les sommes de 70.000 et 40.000 francs.

L’ÉTRANGE ABSENCE DE M. QUEMENEUR

Le Matin, 25 juin 1923, page 1.

Conseiller général du Finistère,
parti de Landerneau avec 10.000 francs sur lui
On ne l’a pas revu depuis un mois

[DE NOTRE CORRESPONDANT PARTICULIER]

 BREST, 24 juin. — Par téléphone. — Malgré le silence absolu de la sœur de M. Quemeneur, conseiller général du Finistère, qui a disparu depuis un mois, il n’est question à Brest, Morlaix et Landerneau que de cette affaire qui rappelle, par certains côtés, celle de l’industriel Cadiou.
 On croit, en effet, ici, que M. Pierre Quemeneur, dont la vie privée était irréprochable, a été victime d’un guet-apens.
 Interviewé, le beau-frère du disparu, notaire à Pont-l’Abbé, n’a voulu donner aucun renseignement. Mais de Morlaix, on a appris que le conseiller général, qui devait rencontrer à Paris un courtier américain et était porteur de 10.000 francs, avait quitté le pays dans l’automobile de M. Sezenec, avec qui il était en relations d’affaires. Arrêtés à Dreux par un accident de moteur, M. Sezenec retourna à Morlaix, tandis que M. Quemeneur gagnait la capitale en chemin de fer. Que fit-il à Paris  ? On l’ignore.
 L’enquête aurait simplement révélé jusqu’à présent qu’un individu, disant s’appeler Quemeneur, s’est présenté dans un bureau de poste de Paris pour toucher un chèque de 80.000 francs, adressé au conseiller général par son beau-frère. Le chèque n’était pas encore arrivé et aucune somme ne fut par conséquent versée.
 Le dernier télégramme parvenu à Mlle Quemeneur est daté du Havre et est conçu en ces termes  : «  Tout va bien. — Pierre.  » Or, les recherches faites au bureau de poste du Havre ont révélé que la dépêche n’avait pas été écrite par M. Quemeneur.

UN MYSTÈRE ANGOISSANT

La Dépêche de Brest & de l’Ouest, 25 juin 1923, page 2.

La disparition de M. Quéméneur, conseiller
général de Sizun, cause une vive émotion

Sans nouvelles depuis un mois. — Ce que dit son compagnon de route
Est-ce un guet-apens  ? — Mystérieuses interventions

 La disparition de M. Pierre Quéméneur, conseiller général de Sizun, négociant à Saint-Sauveur et Landerneau, a, comme bien l’on pense, causé la plus vive émotion dans la région.
 Très connu et fort estimé, une nouvelle de ce genre était bien faite pour surprendre. Rapidement, le bruit de sa disparition s’était répandu. Pouvait-il, d’ailleurs, en être autrement dans un pays où les liens de l’amitié étaient, pour lui, si développés  ?
 Après les premiers moments de surprise, les questions se précisaient  : comment et pourquoi un homme qui, comme lui, ayant pour sa famille des sentiments dont les témoignages se renouvelaient quotidiennement, n’avait pas donné signe de vie depuis plusieurs semaines  ?
 A cela point de réponse. D’autant moins, que tous ceux qui étaient susceptibles d’en fournir s’y refusaient.
 M. Quéméneur, on le savait, vivait avec sa sœur au sortir de Landerneau, route de Lesneven, dans une villa dénommée Ker-Abri. Il en était parti le jeudi 24 mai pour aller à Paris, et depuis ce jour on ne l’avait plus revu.
 Cela, tout d’abord, n’était pas fait pour provoquer la surprise  ; mais, lorsque l’on sut que vainement les jours succédaient aux jours, la crainte se manifesta réellement.
 On savait, en effet, que M. Quéméneur avait pour coutume de tenir sa sœur presque quotidiennement au courant de ses déplacements. Pourquoi donc, à présent, se taisait-il, en dépit de toute vraisemblance  ?
 Les jours se passant, les semaines s’écoulant, le bruit de sa disparition se répandait, non sans raison.

La famille ne veut rien dire

 Qu’est donc devenu M. P. Quéméneur, interrogeait-o[n]  ? Mais la question demeurait sans réponse. On ne savait, on ne voulait rien dire.
 La famille s’était pourtant bien occupée de l’affaire  ! A Ker-Alin1, s’étaient rendus M. Pouliquen, notaire à Pont-l’Abbé, et Mme, sœur du conseiller général  ; M. Louis Quéméneur, marchand de bois à Paimpol, son frère.
 Des renseignements avaient été fournis à la police mobile  ; mais on espérait qu’un dénouement heureux se produirait.
 Certes le conseiller général de Sizun avait coutume de tenir la plus jeune de ses sœurs, avec laquelle il vivait, au courant de ses moindres faits  ; jamais il ne s’absentait sans l’en aviser  ; mais voici que depuis des jours et des jours aucun indice ne permettait de retrouver sa trace.
 Nous ne voulions pas, dans ces conditions, nous faire l’écho de bruits recueillis depuis quelque temps déjà.
 Mais des faits particulièrement significatifs se déroulent, des précisions sont apportées et, comme en raison du temps écoulé il n’est plus possible de mettre en doute l’existence d’événements tout au moins inattendus, nous croyons devoir jeter un cri d’alarme.
 Chez les parents du disparu on ne croit pourtant pas encore devoir nous parler de l’affaire. Depuis un mois, dans des circonstances tout au moins étranges, M. Quéméneur ne donne plus signe de vie, mais on se refuse à nous fournir la moindre indication.
 Certains cependant que le simple exposé des faits est bien de nature à déterminer quelque révélation peut-être intéressante, nous avons procédé à une enquête que nous avons menée le plus complètement possible.
 M. Quéméneur, disions-nous hier, était, croit-on, accompagné d’un Morlaisien avec lequel il était en relations d’affaires.
 Ce Morlaisien était, nous l’avons découvert sans peine, M. Seznec, courtier.

Les derniers renseignements sur le disparu

 M. Seznec, qui a son atelier et ses chantiers sur la route de Brest à l’entrée de Morlaix, s’emploie, sous un hangar, à changer les chambres à air d’une automobile pour gagner Huelgoat, lorsque nous le joignons.
 Notre question ne le surprend guère. Il a depuis de si longs jours songé à cette affaire  ; il s’est tant efforcé de discerner les causes de cette disparition, qu’il ne songe pas, lui, à s’étonner que d’autres puissent s’en inquiéter.
 —  C’était, dit-il, le jour de la foire Sainte-Catherine à Morlaix, le jeudi 24 mai  ; j’avais rendez-vous avec M. Quéméneur à l’hôtel Parisien, à Rennes. Comme il était parti par le train du matin de Landerneau, je devais le rejoindre vers une heure de l’après-midi.
 «  Nous devions livrer une automobile Cadillac, qu’il avait vendue 30.000 francs, à Paris. Mais la voiture était chez moi depuis bien longtemps, et comme elle n’avait pas roulé, les pneus étaient très secs.
 «  C’est pourquoi, surpris de ne pas m’avoir encore vu, vers 4  h.  30, il téléphonait à Mme Seznec pour manifester sa surprise.
 «  Ma femme lui répondit que mon retard devait être la conséquence de multiples crevaisons. En effet, j’avais été contraint de réparer plusieurs fois, et, de plus, mon moteur, qui cognait, retardait la marche.
 «  Enfin, je parvins à Rennes vers 7  h.  30. Il était trop tard alors pour que nous songions à poursuivre la route.
 «  Le soir, M. Quéméneur se rendait à la poste pour télégraphier à M. Pouliquen, son beau-frère, notaire à Pont-l’Abbé. Il le priait, je crois, de lui adresser, poste restante à Paris, un chèque de 80.000 francs sur la Société générale.
 «  Nous avions prié le personnel de l’hôtel de nous réveiller à 5 heures le lendemain matin  ; mais, à 4 heures, M. Quéméneur frappait déjà à ma porte.
 «  C’est ainsi qu’une heure plus tard nous partions. Mais nous dûmes maintes fois regonfler. Enfin, 28 kilomètres après Vitré, à Erné2, nous nous arrêtions pour prendre notre petit déjeuner dans un hôtel qui fait l’angle de la route de Mayenne. Nous fîmes notre plein d’essence, et, une fois de plus, il nous fallut faire pousser la voiture pour reprendre le départ.
 «  A Mesle3, dans la Sarthe, on déjeuna. A 1  h.  30, on repartait. A Mortagne, comme nous n’avancions guère, nous recherchions des lampes électriques pour la nuit. Il nous fut impossible d’en trouver avec des culots américains.
 «  Il était environ quatre heures lorsque nous atteignîmes Dreux. Une panne nous immobilisa au milieu de la ville. Tandis que je gardais le véhicule, M. Quéméneur allait quérir un mécanicien. Dix francs, tel fut le prix du dépannage  ; la somme était modeste et mon compagnon, pour manifester son contentement, offrit l’apéritif au garagiste.
 «  Et l’on reprit la route de Paris. Mais, après avoir parcouru cinq ou six kilomètres, les difficultés étaient telles que nous prîmes la résolution de retourner à Dreux.
 «  Depuis Erné, M. Quéméneur avait pris le volant  ; comme nous arrivions à la gare de la petite vitesse4, le garde-boue arrière heurta le montant d’une barrière. Une simple bosselure fut le résultat du choc.
 «  Quelques instants plus tard, à la gare des voyageurs, M. Quéméneur me quittait pour prendre le train, car il avait rendez-vous, le lendemain samedi 26 mai, à Paris, à huit heures du matin, avenue du Maine.
 «  —  Tentez, me disait-il, de gagner Paris, si vous croyez la chose possible, avec la voiture  ; vous m’y retrouverez hôtel de Normandie, près de la gare Saint-Lazare.  »
 «  La nuit tombait à ce moment  : il était environ 10 heures, 10  h.  305. Quant à moi, je repris la route de Paris  ; mais, hélas  ! pour rester de nouveau en panne de pneu à 12 kilomètres environ de Dreux.
 «  Il était tard à ce moment et, après avoir vainement tenté de réparer, je m’endormis dans la voiture.
 «  Ayant abandonné tout espoir d’atteindre Paris, je repartis le lendemain à plat après avoir fait demi-tour. Et je revins, après de nouvelles difficultés, à Morlaix, et me retrouvais devant ma porte le lundi, vers deux ou trois heures du matin.  »

Où le mystère s’accroît

 Qu’est devenu depuis ce moment M. Pierre Quéméneur  ?
 Il avait dit qu’il avait rendez-vous, le 26 mai, à 8 heures du matin, avenue du Maine. Là, il devait rencontrer, paraît-il, un Américain du nom de Scherldy, avec lequel il avait entrepris une affaire assez considérable.
 Ce homme, qui lui écrivait sur papier à en-tête d’une Chambre de commerce des Etats-Unis, devait lui permettre de vendre un nombre important d’automobiles avec un bénéfice très appréciable.
 Que se passa-t-il alors  ? L’entrevue eut-elle lieu  ? On ne le sait.
 Ce que l’on sait cependant, c’est que la famille, ayant manifesté son inquiétude à la police mobile, reçut du Havre un télégramme la rassurant. Ainsi Mlle J. Quéméneur adressait la carte postale suivante à M. et Mme Seznec  :

«  Ker-Alin, le 14 juin 1923.

 «  Reçu hier, 13 au soir, un télégramme de Pierre.
 «  Tout va bien, soyez donc rassurés et croyez à mes meilleurs sentiments.  »

 Mais il ne vint plus rien ensuite, et ce ne fut pas sans une véritable angoisse qu’on découvrit que le télégramme n’avait pas été écrit de la main de M. Quéméneur.
 L’émotion s’accrut lorsque l’on constata, avenue du Maine, qu’il était impossible de retrouver Scherldy.
 Enfin, l’enquête menée à Paris démontrait qu’un mystérieux personnage s’était présenté au guichet de la poste restante désigné par M. Quéméneur pour entrer en possession du chèque de 80.000 francs. Mais, à ce moment, le chèque n’y était pas encore parvenu.
 Il semble résulter de cette première enquête que toutes les craintes relatives au sort fait au conseiller général de Sizun soient malheureusement justifiées.
 On espère obtenir prochainement des précisions nouvelles qui ne manqueront vraisembla­blement pas d’éclaircir quelque peu cet angoissant mystère.

___
1. Ker-Abri.
2. Ernée.
3. Le Mêle-sur-Sarthe.
4. Gare de marchandises.
5. Le soleil s’était pourtant couché vers 19 heures 38.

UNE ABSENCE INEXPLICABLE

La Presse, 25 juin 1923, page 1.

M. Quemeneur, disparu depuis un Mois
a-t-il été Victime d’un Guet-Apens  ?

Il était venu à Paris pour traiter une affaire avec un Américain
inconnu dont la police s’efforce de retrouver les traces

 Il y a un mois environ, M. Pouliquen, notaire à Pont-Labbé, avisait la Sûreté générale de la disparition mystérieuse de son beau-frère, M. Pierre Quemeneur, conseiller général du Finistère.
 M. Pouliquen avait accompagné M. Quemeneur à Landerneau. Le conseiller se rendait à Paris, où il devait traiter, disait-il, une affaire avec un Américain.
 A Landerneau, M. Quemeneur rencontra un ami, M. Senesec, de Morlaix, qui devait conduire son auto dans la capitale, où il avait l’intention de la vendre.
 M. Senesec proposa au conseiller de le prendre sur sa voiture et les deux hommes se dirigèrent sur Dreux.
 En cours de route plusieurs crevaisons de pneumatiques ralentirent sensiblement l’allure et finalement M. Quemeneur décida, en arrivant à Dreux, de finir son voyage en chemin de fer, tandis que M. Senesec ramenait l’auto à Landerneau.

Le Mystère commence

 Peu après, M. Pouliquen recevait une demande télégraphique d’argent de son beau-frère. Le notaire s’empressa d’envoyer, poste restante, bureau n°  3, les 60.000 francs demandés, mais que personne ne vint chercher.
 Comme on resta plusieurs jours sans nouvelles du conseiller qui avait l’habitude d’écrire régulièrement à sa sœur, M. Pouliquen s’inquiéta et ce fut alors que le notaire de Pont-Labbé se rendit à la Sûreté générale.
 Une enquête fut aussitôt ouverte.
 Peu de jours après pourtant, M. Pouliquen annonçait par téléphone, rue des Saussaies, qu’il venait de recevoir, du Havre, un télégramme ainsi conçu  : [«]  Tout va bien. Pierre  » et qu’il n’y avait pas lieu, en conséquence, de poursuivre les recherches.
 Il y a trois jours, enfin, nouveau coup de téléphone, pour obtenir une deuxième enquête, l’histoire du télégramme paraissait fort louche.
 L’affaire en est là. La Sûreté générale vient d’aviser le Parquet de Brest, qui a commis un juge d’instruction, lequel va envoyer des commissions rogatoires, afin de retrouver le texte de la dépêche du Havre et de voir si elle est bien de l’écriture de M. Pierre Quemeneur.

A la recherche de l’Américain

 M. Pouliquen croit plus à un crime qu’à une fugue.
 «  Mon beau-frère, qui est âgé de 45 ans, a-t il déclaré, vivait avec ses sœurs. Jamais il n’avait voulu se marier. Il était donc parfaitement libre de ses actes. C’était, en plus, un homme difficilement influençable et incapable d’un coup de tête dont je ne vois pas la raison  ».
 On recherche actuellement le fameux Américain qui, d’après M. Pouliquen, aurait tué le conseiller, puis, pour ralentir les recherches, serait l’auteur du télégramme envoyé au Havre où M. Quemeneur n’avait nul motif d’aller.

AUTRES ARTICLES

La Dépêche de Brest (supra)
Excelsior, page 3.
Le Gaulois, page 3.
L’Homme Libre, page 1.
La Lanterne, page 3.
Le Matin (supra)
Le Petit Parisien, page 1.
Le Populaire, page 3.
La Presse (supra)
Le Radical, page 3.
Le Rappel, page 3.

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