Samedi 21 avril 2018

JOHANNES ACKERMANN, CRIMINEL ET MIGRANT

 Le père d'Ernest Acherman s'appelait Johannes. Je n'ai pas encore pu m'assurer que Johannes Ackermann, né vers 1815 à Benken dans le canton de Zurich, était son père, mais depuis mon dernier billet j'ai appris de nombreuses choses sur cet homme, qui a effectué deux voyages vers les États-Unis, en 1854 et en 1862, et mes découvertes ne rendent pas impossible cette paternité tardive, à l'âge de 62 ans, à Zurich. Cela nous éloigne beaucoup dans l'espace et dans le temps de l'affaire Quéméner, mais c'est assez intéressant.

 Johannes Ackermann était le fils illégitime de Jacob Ackermann, né en 1786 à Rollingen, lui-même fils illégitime de Christoph Ackermann de Rollingen, cordonnier, et d'Anna Meister de Benken. Christoph Ackermann ayant abandonné Anna Meister malgré une promesse de mariage, Jacob fut élevé par sa mère à Benken jusqu'à l'âge de 12 ans. Il quitta ensuite son village pour servir comme domestique ou garçon de ferme. Plus tard, il devint gendarme (Landjäger) et revint à Benken, où une terre lui fut concédée par la commune en 1816.
 Johannes, le fils du gendarme, né hors mariage en 1815 ou 1816, tourna assez mal. On trouve d'abord sa trace dans le Zürcherisches Wochen-Blatt (l'hebdomadaire de Zurich) du 30 juillet 1832, dans la rubrique Avertissements. Une amie allemande a fait pour moi cette jolie traduction de l'article en question :

 Il y a quelques semaines, s'est clandestinement éloigné de Benken le garçon de 16 ans Johannes Ackermann dont on n'a pas de nouvelles depuis. Il a pris avec lui un double habit de coutil couleur de cendre et une casquette couleur de cendre. Il n'a pas de papiers sur lui. Comme il peut être supposé qu'il vagabondera seulement sans but par le pays, toutes les autorités policières et communales sont priées de prêter attention au garçon, et, s'il est employé quelque part, de reporter son lieu de séjour à Benken, mais s'il vagabonde seulement dans les parages, de le livrer à son lieu d'origine.
 Benken, le 24 juillet 1832.

 L'année suivante, le 22 août 1833, Johannes Ackermann, 17 ans, est jugé à Zurich pour avoir agressé sexuellement Esther Koch. Ayant confessé ce crime, il demande la clémence des juges, présentant sa jeunesse comme circonstance atténuante et arguant que, n'ayant pas encore reçu sa confirmation, il n'est pas moralement responsable. Il ne montre cependant aucun signe de remords. Je n'ai pas eu accès à la décision du tribunal, mais je pense qu'elle ne lui a pas été favorable et qu'il a effectué une peine de prison. Bien que le lieu de naissance du prévenu ne soit pas mentionné dans ma source, il s'agit probablement de notre jeune homme.
 Six ans plus tard, le décès du gendarme Jacob Ackermann de Benken entraîne un examen par la justice de sa succession, à partir du 28 décembre 1839, car il n'a pas de descendance légitime. Le 18 février 1840, il est établi que Jacob Ackermann laisse un actif de 1686 florins. Ses héritiers possibles sont son fils illégitime Johannes Ackermann, sa belle-fille Regula Spalinger et deux parentes du côté maternel. Il est décidé dans un premier temps d'attribuer 300 florins aux caisses de l'État, 286 florins à Regula Spalinger et le reste, soit 1.100 florins, à Johannes Ackermann.
 Le 21 mars 1840, après un nouvel examen de la situation, il est finalement décidé de verser 186 florins à Regula Spalinger, 200 florins à Jacob Meister et 1.000 florins à Johannes Ackermann. Cependant, comme le comportement passé de ce dernier ne laisse aucune assurance qu'il en fera bon usage, cette somme n'est pas mise à sa disposition mais conservée jusqu'à ce qu'une autorité de tutelle considère qu'il peut l'administrer.
 Le 20 mai 1854, Johannes Ackermann de Benken, 38 ans, particulier (apparemment sans profession), obtient à Zurich un visa pour les États-Unis.
 Au début de l'année 1860, Johannes Ackermann de Benken, résidant à Ashford dans le Wisconsin, ayant un grand besoin d'argent, fait appel au consulat de Suisse à Detroit pour demander à récupérer une somme de 1.200 francs suisses qu'il a laissée à l'administration du district d'Andelfingen, dont dépend son village natal, au moment de son émigration en 1854. Il s'agit probablement de sa part d'héritage de 1840. Les autorités zurichoises lui demandent, avant d'approuver sa requête, d'envoyer un certificat d'acquisition de la pleine citoyenneté américaine et une renonciation à sa citoyenneté antérieure. Ackermann fournit des documents, mais l'argent ne vient toujours pas. Il écrit pour s'enquérir de la raison du retard, craignant que des lettres se soient perdues. En décembre 1860, l'affaire est toujours en cours d'étude par la justice zurichoise. Il ne semble pas qu'elle ait abouti.
 Dans le recensement américain de 1860, on retrouve John Ackerman, 44 ans, né en Suisse, domicilié à Ashford, comté de Fond du Lac, dans le Wisconsin, mais il ne semble pas figurer dans le recensement de 1870, ni dans les listes de naturalisation.
 Le 31 juillet 1862, Johannes Ackermann de Benken, cultivateur, 47 ans, obtient à Zurich un visa pour les États-Unis. Il n'est donc pas devenu citoyen américain. On peut aisément imaginer que, devant l'échec de sa requête de 1860, se trouvant en grande difficulté financière, il est rentré en Suisse, où il a pu récupérer la somme en question et s'installer comme cultivateur à Benken.
 Après ce nouveau voyage en Amérique, il revient assez rapidement en Suisse, puisque le 16 septembre 1863 à Zurich, Johannes Ackermann de Benken, cultivateur, 48 ans1, obtient cette fois un visa pour la France, l'Allemagne, l'Italie et les États pontificaux. Aucun autre visa ne lui est attribué jusqu'en 1870 (ma source s'arrête cette année-là).
 Je perds ensuite sa trace.

 Johannes Ackermann est donc revenu vivre en Suisse vers 1861. Ayant quelque peu stabilisé son existence, il peut s'être alors marié et avoir eu des enfants. Il n'est donc pas interdit de penser qu'il est le père de l'Américain Ernest Acherman, né à Zurich en 1877, probablement sous le nom d'Ernst Ackermann. Cette filiation n'est qu'une conjecture. L'intérêt d'Ernest Acherman pour l'Amérique du Nord pourrait être né de l'expérience paternelle. Quoi qu'il en soit, il m'a semblé intéressant de reconstituer en partie la trajectoire de Johannes Ackermann de Benken, un curieux personnage.

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1. L'âge indiqué sur les visas de 1862 et 1863 semble indiquer une naissance en 1815, tandis que les sources de 1832 et 1833, le visa de 1854 et le recensement de 1860 suggèrent une naissance en 1816, mais il s'agit certainement du même homme, car on imagine mal deux voyageurs suisses vers l'Amérique portant le même nom et étant nés à un an d'écart dans le même village, qui ne comptait alors qu'environ 500 habitants. Pour concilier ces informations, on peut supposer qu'en juillet 1832, Johannes Ackermann vient tout juste d'avoir 17 ans, un an de plus qu'indiqué dans l'avertissement, et que lors du procès en août 1833, on retient son âge au moment des faits, mais il a déjà 18 ans. La fourchette que j'avais calculée dans mon dernier billet pour sa date de naissance, entre le 21 mai et le 31 juillet 1815, reste valide. Le recensement américain de 1860 ayant débuté le 1er juin et ayant duré cinq mois, Johannes Ackermann, alias John Ackerman, peut avoir été recensé en juin, peu avant son quarante-cinquième anniversaire.

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