Mardi 3 juillet 1923

2 juillet 1923 | 6 juillet 1923
PRESSE  : Le Journal - Le Matin - Le Petit Parisien

LES CHIENS DE POLICE À LA RECHERCHE
DU CADAVRE DE M. QUÉMENEUR

Le Journal, 3 juillet 1923, page 1.

Un document capital  : la dépêche du Havre

Fac-similé du télégramme envoyé du Havre le 13 juin à la sœur de M. Quémeneur, alors que, d’après les conclusions de l’instruction, celui-ci était déjà mort. Qui l’a rédigé  ? Évidemment celui qui est allé au Havre «  perdre  » la valise de M. Quémeneur. S’il est démontré qu’il est de la main de Seznec, celui-ci ne pourra plus nier le crime. En bas, trois photographies de Seznec, prises hier1.

[DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL]

 DREUX, 2 juillet. — L’automobile de la Sûreté générale continue de sillonner la région de Dreux à la Queue-les-Yvelines. Dans la seule journée d’hier on a noté cinq fois son passage à Houdan. Cette randonnée incessante et qui menace de se prolonger quelques jours encore, a pour but principal de retrouver le cadavre de M. Quémeneur. Elle n’a permis, jusqu’ici, que la découverte du cadavre d’un veau  !

La dépouille d’un veau  !

 Le plus sérieusement du monde, la chose est arrivée aux abords du village de Chérisy. Un cultivateur de l’endroit, M. Henri Patriarche, avait, rassemblant ses souvenirs, déclaré que sur la fin du mois dernier2 une odeur macabre et tenace frappa ceux qui passèrent, à trois kilomètres de Dreux, près de la côte de Lary. Cette déclaration, jointe à celles d’un laitier de Dreux et du gendarme Aggrabal3, motiva aujourd’hui une orientation nouvelle des recherches. C’est à 2  h.  30, de l’après-midi, en présence de MM. Romillat, procureur de la République, Girod, juge d’instruction, et Vidal, arrivé de Paris le matin même, que des fouilles furent organisées aux lieux indiqués. Inspecteurs et gendarmes s’élancèrent dans les taillis et les fourrés qui bordent la route. Les chiens de police, à leurs côtés, humaient le sol. M. Patriarche renouvelait ses déclarations aux magistrats. «  C’est ben là, qu’je vous dis.  » L’attente fut courte. Après quelques minutes, les policiers revenaient et annonçaient gaiement la nature de leur trouvaille  : la pauvre dépouille d’un veau, dont il ne restait d’ailleurs que quelques ossements et le cuir desséché.
 D’autres recherches, conduites autour des étangs de Gambais, car le drame actuel emprunte le cadre tristement célèbre où Landru se révéla, n’ont pas donné davantage de résultats.
 Mais si l’enquête judiciaire n’apporte aucune nouveauté quant au malheureux destin de M. Quémeneur, elle a, aujourd’hui encore, fourni à l’accusation un surcroît de preuves de la culpabilité, désormais admise, de Seznec.

Des témoignages

 Une audition du garagiste Hodey, de Dreux, où s’arrêta Seznec en venant de Morlaix et en y retournant, a précisé certains détails dans l’esprit de M. Vidal.
 «  Quand Seznec m’a donné la première fois sa voiture à réparer, dit M. Hodey, il paraissait très soucieux d’arriver rapidement à Paris. «  Croyez-vous que nous y arriverons  ?  » me demanda-t-il. Moi, je lui réponds  : «  Je le crois tellement que je vais, si vous le voulez bien, amener moi-même votre voiture à Paris. Vous n’avez qu’à prendre le train, et demain votre auto vous rejoindra.  » Mais aussitôt il changea d’attitude et il ne fut plus question de douter des qualités de l’auto.  »
 M. Hodey a également remarqué que le lendemain, lorsque Seznec revint seul, le dessous de sa voiture était maculé de goudron. Il sautait aux yeux que Seznec avait parcouru à toute allure une route fraîchement goudronnée. Ce détail important va sans doute permettre — une fois connue la route ainsi goudronnée le 25 mai — de localiser les recherches.
 Enfin, le garagiste de la Queue-les-Yvelines, M. Coulon4, interrogé de nouveau, a indiqué que Seznec, en s’arrêtant chez lui le 26 au matin, lui avait emprunté un cric. Or, M. Hodey affirme, lui qui a inspecté l’auto de Seznec dans tous les sens, que la veille celui-ci possédait un cric. Et aussitôt la question se pose  : est-ce de ce cric que Seznec s’est servi pour se débarrasser de son compagnon  ?
 Mais on n’en est plus à compter les contradictions de cet homme. Appelé à Paris par M. Vidal, Seznec, on s’en souvient, s’était arrêté dans un café voisin de la gare Montparnasse. Il portait une mallette à la main, qu’il confia au tenancier du café. Quand M. Vidal lui demanda s’il n’avait rien apporté de Brest5, paquet ou bagage, il répondit négativement. Qu’avait-il à cacher dans cette mallette  ? On croit le savoir depuis hier  : on a, en effet, retrouvé parmi du linge trois feuillets détachés d’un carnet. Des indications, qui coïncident curieusement avec celles que l’on releva sur le carnet de Quémeneur, y sont notées d’une écriture à peu près identique pour laquelle son auteur s’est servi d’un même crayon-encre. Enfin, sur une page, divisée en deux colonnes, où on lit, au-dessus de chacune d’elles  : Frais Seznec, Frais Quémeneur, on a relevé, colonne Quémeneur, ces mots  : Pris le train à Dreux. On demande à Seznec  : Qui écrivit cela  ? Je l’ignore, répond-il.
 Voilà déjà bien des faits qui le condamnent. Hier, cependant, M. Vidal s’est rendu, de toute la rapidité de son auto, au village de Grignon, où il est arrivé assez tard. Il y a reçu la déclaration de la tenancière de l’hôtel Laurisson6 qui, dans la nuit du 25 au 26, avait suppléé sa tante, gérante de l’hôtel de la Queue-les-Yvelines, où Seznec s’est arrêté.
 Cette déclaration, dont l’importance est capitale, va être incessamment contrôlée. Elle comporterait, un élément décisif de l’affaire qui nous occupe. — A.  L.

___
1. La veille de la rédaction de l’article, c’est-à-dire le 1er juillet.
2. Le mois de mai. Si cette odeur avait été remarquée quelques jours plus tôt, fin juin, le cadavre d’un veau en état de décomposition avancée n’en aurait pas été considéré comme la source probable et M. Patriarche n’aurait pas eu besoin de «  rassembl[er] ses souvenirs  » pour la situer dans le temps. De plus, Le Matin du même jour situe les faits environ une semaine après le 25 mai et Le Petit Parisien les place au début du mois de juin.
3. François Abgrall.
4. Édouard Coulomb.
5. En réalité de Morlaix, par le train de Brest.
6. Nourisson.

LA DISPARITION DE M. QUEMENEUR

Le Matin, 3 juillet 1923, pages 1 et 3.

Des battues sans résultat entre Houdan et Dreux

Les chiens de police n’ont trouvé qu’un cadavre de veau

L’ENQUÊTE A CHERISY
 1. Le témoin PATRIARCHE. — 2. M.  ROMMILLAT, procureur de la République. — 3. M.  VIDAL, commissaire à la Sûreté générale.

 DREUX, 2 juillet. — Par téléphone — Secondés par les gendarmes, les gardes champêtres et des particuliers, ayant même fait appel, pour la circonstance, au concours de quelques gars débrouillards peut-être un peu braconniers, les inspecteurs de la Sûreté générale ont continué à fouiller le bois des Quatre-Piliers, dont les taillis s’étendent en bordure de la route de Brest à Paris entre Houdan et la Queue-les-Yvelines.
 Vers midi, alors qu’il déjeunait dans un hôtel de Houdan, le commissaire Vidal reçut un renseignement qui lui parut lors d’un intérêt capital.
 Ce renseignement émanait du parquet de Dreux. M. Rommillat, procureur de la République, et M. Girod, juge d’instruction, avaient été avisés, dimanche, que divers habitants de Cherisy, petit bourg distant de Dreux de 4 kilomètres, avaient constaté, une huitaine de jours après la date où se place la disparition de M. Quemeneur, qu’une odeur de cadavre en décomposition s’était dégagée durant un certain temps d’un taillis qui, à 1.500 mètres de Cherisy et à 3 kilomètres de Dreux, sépare la voie ferrée de la route nationale.
 Le fait avait été confirmé par le gendarme Abgrall, originaire de Landerneau comme M. Quemeneur, qu’il connaît d’ailleurs particulièrement. Enfin, un autre habitant de Cherisy avait signalé, ce qui ajoutait encore à l’intérêt de l’affaire, que quelques jours avant que fût constatée cette odeur suspecte, il avait aperçu, sur la route de Brest-Paris, non loin du taillis, des flaques de sang s’étendant sur cinquante mètres environ  ; fait plus étrange encore, le même témoin étant, le 3 juin, occupé dans un champ, avait vu une automobile à carrosserie noire, torpédo identique à celle de Seznec, stopper aux abords du fourré. Un homme, grand, mince, sec, répondant au signalement de Seznec, en était descendu et avait pénétré dans le taillis où il était demeuré un bon moment  ; remonté en voiture, il était parti vers Cherisy d’abord, puis, faisant demi-tour au village, il s’était définitivement éloigné vers Dreux.
 M. Vidal et quelques-uns de ses inspecteurs quittaient aussitôt Houdan en automobile. À une allure de record, ils gagnèrent Cherisy. Le village fut dépassé, les autos s’arrêtèrent à la côte du Lary, entre Conteville et Cherisy. Un groupe d’hommes nombreux attendait les policiers sur la route. C’étaient MM. Rommillat, procureur de la République  ; Girod, juge d’instruction  ; le commissaire Beaumelou, de Dreux, les gendarmes et quelques sergents de ville de cette localité, avec de nombreux chiens policiers, et, enfin, les témoins amenés de Cherisy. Sur place ces derniers précisèrent le point d’où leur avaient paru se dégager les odeurs. L’endroit était sinistre à souhait  : un ravin profond recouvert de broussailles et d’une impénétrable végétation bordant la voie ferrée. On décida de battre immédiatement le coin.
 Les chiens, démuselés, excités par leurs conducteurs, eurent tôt fait de courir vers une masse informe cachée sous les broussailles et que recouvraient de vieux morceaux de sacs. C’était bien un cadavre mais non celui qu’on recherchait. On se trouvait tout simplement en présence de la dépouille d’un veau que son propriétaire, quelque paysan des environs, était venu déposer là pour s’éviter les fatigues d’un pénible ensevelissement.

UN AUTRE MENSONGE DE SEZNEC

Son auto n’était pas en mauvais état

 Profitant de ce qu’il se trouvait à proximité de Dreux, le commissaire Vidal décida d’entendre à nouveau le mécanicien Oudé1, qui, à deux reprises, le 25 mai, à son passage, et, le lendemain, à son retour vers Brest, répara l’auto de Seznec.
 En quel état était la voiture et que pouvait-on attendre d’elle  ? Telle était la question que le commissaire comptait poser à M. Oudé.
 La réponse fut celle qu’attendait M. Vidal  :
 — L’auto, en bon état, pouvait effectuer sans panne une longue course.
 Et M. Oudé ajouta cette précision. La réparation effectuée, il s’était rendu avec M. Seznec dans un débit de vin de Dreux, où il avait fait au marchand, de bois de Morlaix cette proposition  :
 Si vous n’avez pas confiance en votre voiture, confiez-la-moi. J’ai des pièces de rechange à aller chercher à Paris, Je conduirai votre voiture dans la capitale. Vous aurez, vous, la ressource de vous y rendre par le train. Mais Seznec préféra gagner Paris en auto.
 Pourquoi, dans ces conditions, avait-il, le lendemain matin, abandonné son projet  ? Sans doute parce qu’alors il s’était débarrassé de son compagnon de route après l’avoir dépouillé de son argent. C’est du moins le mobile que la police attribue au crime.

La valise tragique

 L’hypothèse des magistrats et des policiers est en effet que Seznec tua M. Quemeneur aux environs de Houdan. Ils ne sont pas éloignés de croire que le marchand de bois frappa sa victime à coups de cric. M. Quemeneur mort, Seznec, après s’être débarrassé du cadavre, aurait gardé dans la voiture la mallette de celui qu’il venait d’assassiner et dans laquelle, avant d’aller l’abandonner au Havre, il aurait eu soin de glisser un certain nombre de documents ayant pour but d’égarer la justice et de servir les intérêts qui l’auraient poussé à commettre son crime. C’était d’abord le fameux carnet de comptes de M. Quemeneur tenu à jouir jusqu’au 13 juin, alors que depuis le 26 mai on ne retrouvait plus aucune trace du conseiller général. Ensuite l’acte sous seing privé qui, pour une somme relativement minime, rendait Seznec propriétaire du domaine de Taounez (Côte-du-Nord).
 À ce sujet, la brigade mobile de Rennes a nettement établi hier que les deux feuilles timbrées ayant servi à la rédaction de l’acte auraient été achetées par Seznec dans un bureau de tabac de Morlaix, et, suivant le témoignage d’une personne qui va être entendue, l’achat serait postérieur à la disparition de M. Quemeneur. Cette découverte démontrerait péremptoirement le caractère nettement apocryphe non seulement de l’approbatur placé au bas de chaque exemplaire de l’acte, mais de l’acte lui-même. On comprend que pour rendre valable un pareil contrat, il était indispensable que M. Quemeneur disparaisse.
 Afin de vérifier les différents points qui constituent cette hypothèse, en fin d’après-midi, M. Vidal a entendu, à la Queue-les-Yvelines, le mécanicien Coulon2 qui aida, le 26 mai, Seznec a réparer les pneus de sa voiture et qui pour ce travail dut amener un cric de son atelier. Seznec possédait bien un de ces outils, mais pour des raisons qu’il n’a pas fait connaître — son cric était-il taché de sang ou, ainsi qu’il le prétend, l’avait-il égaré la nuit précédente sur la route  ? — il n’en fit point usage.
 Enfin, M. Vidal a entendu, au Petit-Pré, Mlle Carignon3 qui, le 26 mai, à l’hôtel Nourrisson, à la Queue-lez-Yvelines, vit sur la Cadillac de Seznec une mallette répondant au signalement de la mallette de M. Quemeneur.
 — Cette valise est à moi, a affirmé Seznec.
 La police, qui en doute, va aujourd’hui interroger à ce sujet Mme Seznec à Morlaix.

Les chiens policiers inquiètent Seznec

 Seznec, au dépôt où il a passé la nuit, semblait ce matin complètement remis de l’état d’abattement et de fatigue où l’avait plongé son arrestation. Il s’informa auprès d’un inspecteur qui était venu le visiter ce matin du résultat des recherches et demanda si les chiens policiers qu’on employait étaient de quelque utilité.
 — Je doute, dit-il, qu’ils aient assez de flair pour découvrir un cadavre enfermé sous deux mètres de terre.
 Étrange question  ! à laquelle ne crut pas devoir répondre l’inspecteur.
 Déjà une première fois il avait interrogé à ce sujet le brigadier de police de Dreux qui, ces jours derniers, au cours des investigations de M. Vidal, aux environs de Houdan, tenait en laisse un berger d’Alsace réputé fameux parmi les détectives à quatre pattes.
 Aucune décision n’a encore été prise en ce qui concerne le transfert de l’inculpé à Brest, qui est ajourné jusqu’au moment où seront terminées les recherches entreprises et seulement si elles ne donnent pas de résultat. Au cas contraire, si l’on découvrait le cadavre de M. Quemeneur ou toute preuve irréfutable du crime, Seznec serait vraisemblablement conduit au parquet du lieu compétent. Dreux ou Versailles, suivant le cas, et le parquet de Brest devrait alors se dessaisir en faveur de ce parquet.

Le bidon d’essence taché de sang

 BREST, 2 juillet. — À propos des taches remarquées sur le bidon d’essence trouvé dans la voiture automobile qui transporta M. Quemeneur, Mme Seznec déclare que depuis que son mari a eu la figure brûlée, il saigne très facilement de la face. Physiologiquement, cette sensibilité de l’épiderme aurait été reconnue exacte. (Havas.)

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1. Émile Hodey.
2. Édouard Coulomb.
3. Hélène Conogan.

APRÈS LA DISPARITION DE M. QUÉMENEUR
SEZNEC AVAIT-IL ENCORE DANS SA VOITURE
LA VALISE DU CONSEILLER GÉNÉRAL  ?

Le Petit Parisien, 3 juillet 1923, page 3.

De nouvelles charges ont été relevées contre l’inculpé,
au cours de la journée d’hier

 Si les recherches commencées aux environs de Houdan, dont on lira plus loin le compte rendu, n’ont pas encore permis de retrouver le cadavre de M. Quémeneur, l’enquête a révélé plusieurs charges nouvelles contre son assassin présumé, Guillaume Seznec.
 Celui-ci était arrivé à Paris le 28 juin, à huit heures du matin, pour se rendre à la convocation de M. Vidal. Portant à la main une petite valise d’osier longue de quarante centimètres et large de vingt centimètres environ, il se rendit au café-restaurant de la Ville de Brest, 5, place de Rennes1. Il mangea plusieurs croissants, but un verre de vin blanc et une tasse de café sans se douter qu’à la table voisine, un inspecteur de la sûreté générale épiait ses faits et gestes. Il demanda les journaux, les parcourut hâtivement, avec une évidente curiosité. Puis, ayant réglé son addition, il déposa sa valise à la caisse, en annonçant qu’il viendrait la reprendre le soir même.
 On sait comment il en fut empêché.
 En interrogeant l’inculpé, M. Vidal lui demanda tout à coup  :
 — Vous êtes donc venu de Morlaix sans valise  ?
 — Mais oui, répondit Seznec  ; mon voyage doit être si court  !
 À sa profonde stupéfaction, on lui présenta alors sa petite mallette d’osier. Elle contenait des victuailles et divers papiers  : une lettre de Mlle X..., de Morlaix, qui lui réclamait le remboursement d’une avance de six mille francs venant à échéance à fin juin, et une feuille de papier identique à celles qui composaient le carnet de M. Quémeneur.
 Sur cette feuille, Seznec avait écrit au crayon-encre — bien qu’il eût nié auparavant avoir eu jamais pareil objet en sa possession — deux noms séparés par un trait  : le sien et celui de M. Quémeneur.
 Dans la colonne concernant le disparu figuraient ces mots  : pris le train à Dreux, sans indication de date.
 Sur le carnet de M. Quémeneur une indication semblable existe, avec un prix de billet inexact.
 Ce souci de mise en scène est évident, d’autant plus que, finalement, l’inculpé a déclaré qu’il avait quitté son compagnon de voyage à la gare de Houdan.
 D’autre part, M. Hodet2, le garagiste de Dreux, chez lequel Seznec fit réparer sa voiture le vendredi 25 mai, à huit heures du soir, peu avant la tragique disparition du conseiller général du Finistère, a déclaré que l’automobile était en état d’effectuer un long parcours.
 — Seznec, tandis que mon ouvrier travaillait à la réparation, m’emmena, dit-il, au café. Il me manifesta ses craintes de panne. Je le tranquillisai, lui indiquant qu’il pouvait, s’il le voulait, prendre le train pour Paris et que je lui amènerais sa voiture le lendemain. Il refusa.
 Lorsqu’il repassa par Dreux, le 26, sa voiture était maculée de taches de goudron. Or, à cette époque, on goudronnait deux portions de la route de Paris à Brest, l’une entre Houdan et la Queue-lès-Yvelines, l’autre au delà de bette dernière localité, à Pontchartrain.
 Une déposition de la plus haute importance a été, en outre, recueillie par M. Vidal.
 Mme et Mlle Carrignan3, qui habitent Petit-Pré, près de Plaisir-Grignon, étaient venues remplacer, pendant, quelques jours, leur parente, Mme Nourrisson4, propriétaire de l’hôtel du Croissant, à la Queue-lès-Yvelines, où s’arrêta, le samedi 26 mai, à huit heures du matin, Seznec.
 Mlle Carrignan, qui est âgée de quatorze ans, se souvient fort bien d’avoir vu dans la voiture une valise de cuir jaune, dont elle a donné un signalement qui concorde avec celui de la valise emportée par M. Quémeneur.
 Des précisions ont été demandées d’urgence à Brest et au Havre, car s’il était prouvé que Seznec avait encore, en sa possession, le 26 mai, la valise du disparu, tout son pitoyable système de défense s’écroulerait d’un coup.
 Enfin, on sait maintenant que les deux feuilles de papier timbré qui servirent à la rédaction des actes sous-seing privé de la prétendue vente du domaine de Plourivo ont été achetées à Morlaix, postérieurement, selon toute vraisemblance, à la disparition de M. Quémeneur. Les vérifications en cours ne manqueront pas de fixer ce point dans un très prochain avenir.
 Et dès lors, les présomptions accablantes deviendront des certitudes.

VAINES RECHERCHES

 Dreux, 2 juillet (de notre envoyé spécial.)
 Dès les premières heures ce matin, les recherches entreprisses samedi par les inspecteurs de M. Vidal ont recommencé dans les environs immédiats de la Queue-lès-Yvelines. Il ne faut pas se dissimuler les difficultés qu’offrent ces opérations. La région est particulièrement accidentée avec des taillis touffus, des fondrières nombreuses. Puis il y a les étangs, quantité d’étangs...
 M. Vidal, commissaire à la sûreté générale, est arrivé à Houdan, à midi trente. Il ne devait pas tarder à recueillir de nouveaux témoignages, dont certains ont paru, au premier abord, d’une grande importance. En effet, le parquet de Dreux n’avait pas abandonné l’enquête, et MM. Romillat, procureur de la République, Girod, juge d’instruction, Bouille, commissaire de police, avaient entendu plusieurs personnes se croyant en mesure de fournir à la police des renseignements intéressants.
 Un cultivateur de Chérizy, M. Maurice Patriarche, qui possède des terrains aux environs du lieudit carrières de Chérisy, entre Conteville et Chérizy, à 2  km  500 de Dreux, se dirigeant vers Paris, avait été au passage, dès le début de juin, incommodé par des émanations caractéristiques  ; de même, M. Lachaume, laitier à Dreux, qui, chaque jour, passe sur la route tout près de cet endroit.
 «  Certainement il doit y avoir une charogne du côté droit de la route, non loin de la voie ferrée  », avaient-ils dit à leurs voisins.
 Et quand ces temps derniers, le bruit se répandit que M. Quémeneur avait probablement été assassiné dans la région de Dreux, on se demanda si son cadavre ne gisait pas à l’endroit désigné par MM. Patriarche et Lachaume. ainsi d’ailleurs que par un gendarme de la brigade de Dreux, M. Abgral5.
 Aussi cet après-midi, vers trois heures, toutes les autorités judiciaires se retrouvaient-elles aux carrières de Chérizy. Inspecteurs, gendarmes, chiens de police fouillèrent les buissons, les carrières, les bouquets d’arbres. Soudain un cri, puis des rires. Et un inspecteur de M. Vidal revint, réprimant avec peine son hilarité. Dans un ruisseau comblé par des débris de poteries et de ferrailles, il venait de découvrir, en complet état de putréfaction, le corps d’un veau.
 M. Vidal est tenace, il décida donc de revenir à Dreux pour y entendre les témoins qui avaient déposé devant les magistrats de cette ville, puis de retourner à Chérisy, car si M. Patriarche, présent aux recherches, situait à droite de la route, c’est-à-dire en allant de Houdan à Dreux, l’endroit d’où provenaient les émanations, son fils Henri6, d’accord en cela avec le gendarme Abgral, déclare nettement qu’à la même époque il en perçut qui provenaient du côté gauche. «  Il doit y avoir là un pendu  », aurait-il dit.
 Mais M. Henri Patriarche était absent. Il sera entendu demain, tandis que se continueront les battues.
 On parle aussi d’un autre témoin qui, peu après le 25 mai, jour de la disparition de M. Quémeneur, aurait remarqué des traces de sang sur la route, non loin des fameuses carrières. Cette déposition vaut également d’être élucidée.
 Pour rester dans le domaine des témoignages, il me faut encore citer celui d’un habitant de la région. Le 3 juin, à une heure qu’il ne peut encore préciser, ce témoin aurait vu s’arrêter à la côte de Lary, c’est-à-dire près des carrières, une automobile venant de la direction de Paris. Un individu, dont le signalement correspondrait en tous points à celui de Seznec, en descendit, s’enfonça dans les buissons et y resta à peu près un quart d’heure. Puis, remontant dans son auto, il repartit dans la direction de Dreux. Est-ce l’assassin présumé qui, n’ayant pas suffisamment dissimulé le cadavre de sa victime, serait venu l’inhumer plus profondément  ? Est-ce tout bonnement un touriste  ? Peut-être l’enquête donnera-t-elle des précisions à ce sujet.
 Et l’on ne peut s’empêcher, en présence de toutes ces déclarations, de citer cette phrase de Seznec. Lorsque samedi les inspecteurs quittèrent Dreux pour Houdan avec celui qui n’était encore qu’un simple témoin, le marchand de bois morlaisien ne put retenir un geste d’étonnement en voyant monter dans l’automobile de la sûreté, les deux chiens policiers de M. Bouille, commissaire de Dreux. S’adressant alors à l’inspecteur Tissier7  :
 — Des chiens peuvent-ils trouver un cadavre humain enterré à deux mètres de profondeur  ?
 — Parfaitement, répondit le policier.
 — Ah  ! reprit Seznec.
 Et, avec indifférence, il devait poser la même question sous une forme un peu différente en arrivant à Houdan, puis au dépôt. Simple curiosité, peut-être  ; mais le fait méritait d’être signalé. — Édouard Mas.

La déposition de l’ouvrier sellier... est plutôt vague

 L’ouvrier sellier de la T.C.R.P.8 qui s’était présenté à la police judiciaire, déclarant qu’il avait rencontré le 9 juin à Paris M. Quémeneur, s’est enfin rendu hier à la sûreté générale. Il n’a pu confirmer son premier témoignage et a conclu que son entrevue avec le conseiller général du Finistère datait peut-être du mois de mai.

On crut un instant hier, au Havre,
avoir retrouvé le cadavre de M. Quémeneur

 Le Havre, 2 juillet (dép. Petit Parisien.)
 On a retiré de la mer, ce matin, un cadavre portant à la gorge une profonde blessure. On crut un instant qu’il s’agissait de M. Quémeneur  ; mais le mort avait toutes ses dents, et ses vêtements ne ressemblaient en rien à ceux que portait le disparu.

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1. Aujourd’hui À la Duchesse Anne, 5 place du 18-juin-1940.
2. Émile Hodey.
3. Clémence Conogan, née Rouvray, et sa fille Hélène Conogan.
4. Alexandrine Nourisson, née Rouvray.
5. François Abgrall.
6. Le journaliste a inversé les prénoms du père, Henri, 60 ans, et du fils, Maurice, 26 ans.
7. Albert Séraphin Henri Tissier, né le 28 décembre 1897 à Guérigny, inspecteur à la Sûreté générale, mort le 1er avril 1935 à Houilles.
8. François Le Her, employé de la Société des transports en commun de la région parisienne, qui exploite alors le réseau de tramway de Paris et de sa banlieue depuis le 1er janvier 1921.

2 commentaires:

Liliane Langellier a dit…

Merci pour ce nouveau travail.
De la grande exactitude comme d'habitude.
Pas un luxe par les temps qui courent.
J'ai également lu avec plaisir l'article de Ouest-Eclair du 1er juin 1932.
Où le procureur général de la République de Rennes, M. Sauty réduit à néant la piste de Traou-Nez.
Maurice Privat et Charles-Victor Hervé étaient très très dérangés.
Et ils ont largement contribué à obscurcir encore un peu plus cette affaire qui n'en avait pas besoin…
Essayons désormais de faire simple.
Avec toute mon amitié.
Liliane

Marc Du Ryez a dit…

Merci, chère Liliane. Il faut en effet tenter d'y voir clair sur tous les points de cette affaire, qui a été embrouillée (à dessein ou non) par ceux qui tiennent absolument à ce que Seznec soit innocent. À partir de tout témoignage et de tout élément de preuve, on peut lire ce que l'on veut. Je pourrais m'amuser à trouver une justification à chaque petit détail. Seulement, il y a une telle accumulation d'éléments à charge contre Seznec que refuser d'envisager sa culpabilité relève de l'aveuglement.

Je crois que le verdict des jurés de 1924 était juste (plus juste que la thèse de l'accusation, qu'il est parfaitement inutile d'attaquer car elle n'était que la position du procureur avant le procès), mais je reste ouvert à toute théorie et à toute explication présentée avec sérieux. Dans tous les cas, cette affaire reste un mystère, car de nombreux éléments sont mal cernés et nous pouvons essayer de les éclaircir un peu.